Pas à pas, la foi devient l’alliée du climat. Après Rome, Istanbul. Après l’Encyclique catholique, le symposium islamique. La semaine passée, les instances religieuses musulmanes étaient réunies en Turquie pour se pencher sur le changement climatique. Premier du genre, ce congrès était organisé à l’initiative de la Fondation islamique pour l’écologie et les sciences environnementales et des organisations Greenfaith et Islamic Relief Worldwilde. A l’issue de deux jours de discussions, décideurs politiques, leaders religieux et universitaires venus de vingt pays musulmans ont adopté mardi 18 août la première déclaration islamique sur les changements climatiques. Le texte, signé par plusieurs grands muftis, comme ceux du Liban et d’Ouganda, condamne « la cupidité de l’être humain » vis-à-vis des ressources naturelles et rappelle son « obligation morale » de conservation du « parfait équilibre » de la nature. Cette prise de position est au moins aussi importante celle du pape François. Voici pourquoi.
- Les pays pétroliers sous pression
Arabie Saoudite, Iran, Irak, Koweit, Emirat Arabes Unis : sur les dix plus gros pays producteurs de pétrole au monde, cinq sont musulmans. Et aucun d’entre eux n’a encore rendu ses engagements de réduction des gaz à effet de serre en vue de la COP21. De quoi être pris d’un léger embarras à la lecture de la déclaration d’Istanbul. Le texte reconnaît que « notre utilisation déraisonnable et court-termiste des ressources fossiles entraîne la destruction des conditions mêmes qui ont rendu la vie sur terre possible ». Les pays cités sont explicitement dans le viseur. « Nous appelons tout particulièrement les nations riches et les pays pétroliers à ouvrir la voie à la suppression progressive des gaz à effet de serre, à apporter leur soutien technique et financier aux pays les moins riches, (…) à investir massivement dans une économie verte », clament les auteurs.
- Gouvernements et multinationales pris à partie
Les pays du Golfe n’ont pas fini de grimacer. Le texte appelle même à laisser « les deux tiers des ressources fossiles sous terre » pour se donner une chance d’atteindre l’objectif d’une hausse moyenne de la température mondiale limitée à 2°C, voire à 1,5 °C. Pour ce faire, la déclaration islamique invite les acteurs privés à détourner leurs investissements des économies reposant sur l’exploitation des ressources fossiles. Dans le même temps, elle exige de tous les gouvernements la signature d’un accord ambitieux à l’issue de la COP21.
- 1,6 milliard de musulmans interpellés
Au delà des pays pétroliers, multinationales et décideurs, la déclaration s’adresse à chaque musulman directement. Ses auteurs voient dans la « crise climatique » une « crise morale » et appellent chaque fidèle, qu’il soit prédicateur religieux, entrepreneur, activiste ou chef d’Etat, à jouer un rôle actif dans la lutte contre le changement climatique. A l’échelle mondiale, ce message s’adresse donc à 1,6 milliard de personnes. C’est plus que le milliard de fidèles que compte l’Eglise catholique, même si la portée de l’Encyclique du pape Français se veut universelle. Et l’injonction est plus que symbolique. Selon le philosophe islamique Seyyed Hossein Nasr, cité dans le magazine New Republic, « dans le monde islamique, la foi a plus de pouvoir que la politique ».
- Les villes les plus polluées concernées
Karachi, Doha, le Caire, Amman, Abou Dhabi… Sans détrôner Delhi, bon nombre de villes à prédominance musulmane figurent parmi les plus polluées de la planète. Selon les dernières données rassemblées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), toutes ces villes présentent même des taux de microparticules supérieurs à ceux relevés à Pékin. Selon une étude du Pew Research Center, ces pays sont également les moins enclins à sacrifier la croissance économique au profit de la préservation de l’environnement. En accusant la cupidité humaine « de mettre fin à la vie telle que nous la connaissons sur notre planète », les autorités religieuses pourraient les inciter à réviser leur jugement.
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