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Train ou avion : qui pollue le moins ?
mardi, 20 avril 2010
/ Cécile Cazenave
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« Ils ne pouvaient pas trouver encore plus déséquilibré comme match à "Terra eco" ? », pensez-vous. Sûr qu’avec son appétit de kérosène, l’avion a une tête de gros méchant. Mais gare aux surprises, aux uppercuts et aux coups bas.
Il y a cinq mois, ils ont tous pris le train pour Copenhague. Objectif : sauver la planète ! Pour se rendre à la conférence de l’ONU sur le climat, les officiels, les journalistes et les militants ont voyagé quinze heures par le rail. Avec une ligne de conduite en tête : ceux qui aiment la planète prendront le train. Pas l’avion. Et pourtant, le combat ne fait que commencer.
C’est là qu’interviennent des Suédois pour une deuxième couche. Prêts à investir de très grosses sommes dans une ligne à grande vitesse entre Stockholm et Göteborg, ils mandatent une équipe de l’Institut local de recherche des transports. Verdict : pas assez de passagers pour que le train soit rentable, financièrement et carboniquement parlant. Le projet est suspendu. « Avec ces études, les chercheurs alertent surtout sur la TGVmania ! Selon les projets, le choix d’une ligne à grande vitesse est discutable », décode Yves Crozet, président de l’Observatoire Energie Environnement Transport, chargé du sujet lors du Grenelle de l’environnement. Une très récente étude de l’Union internationale des chemins de fer a listé les 3 principaux paramètres à regarder pour cerner l’impact carbone du rail en Europe : le mix énergétique du pays – en gros, l’origine de son électricité –, la fréquence du trafic et la construction de tunnels et de ponts. Selon les cas, la part des infrastructures dans l’empreinte carbone d’une ligne peut ainsi varier de 31 % à 85 % . Bien malin, alors, celui qui sortira le ticket gagnant universel.
Côté aérien, l’analyse d’un cycle de vie complet est chose rarissime. Pour sa défense, Pascal Lucciani, le sous-directeur du développement durable à la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), rappelle que l’aviation nécessite peu d’infrastructures. « Il y a 680 000 mouvements – atterrissages ou décollages – par an à Roissy : l’impact de l’aéroport représente une très faible part des émissions d’un vol qui dépend surtout de la consommation de carburant. »
Soit ! Ne prenons en compte que les kilomètres parcourus : alors c’est plié, l’avion peut jeter l’éponge. Exemple à travers un simple Paris-Marseille-Paris. En consultant les calculettes maison de la SNCF et d’Air France, on obtient 48 kg de CO2 émis par passager chez la première contre 176 kg pour le second. Comment une telle différence est-elle possible ? Car dans l’Hexagone, l’électricité est essentiellement nucléaire, donc peu carbonée. En outre, la géographie présente de bons couloirs de circulation et la population est concentrée dans les villes, ce qui favorise de hauts taux de remplissage des trains interurbains. « Dans ces conditions, le TGV est écologique à tous points de vue », tranche Yves Crozet.
A ce stade, l’avion est sonné, dans les cordes. Arrêt de l’arbitre ? Minute papillon ! Le récent slogan de la SNCF suggère un ambitieux « Objectif 0 % de CO2. Ou presque ».Tout est dans le presque, évidemment. En 2007, Anne-Marie Idrac, alors présidente, annonçait le TGV à 2,6 g de CO2 par km et par passager. Loupé : en octobre 2009, cette empreinte a été réévaluée à 22,3 g, soit presque dix fois plus. « Il s’agit d’une opération vérité basée sur nos achats réels d’électricité », justifie Jean-Louis Jourdan, directeur du développement durable de la SNCF. Entrons dans le détail de l’opération cartes sur table. La balance carbone de l’électricité en France affiche 80 g de CO2 par kWh. Pas si léger pour un pays branché sur le nucléaire. C’est la faute aux centrales thermiques qui prennent le relais de l’atome en cas de grosse demande, car elles sont capables de démarrer au quart de tour. « Il n’est pas question de dire aux passagers d’éviter les heures de pointe parce que l’électricité est plus carbonée ! », explique Jean-Louis Jourdan. Plus compliqué, la SNCF n’achète pas toute son électricité en France. Une partie vient du marché européen. Or, la moyenne s’y établit à 380 g de CO2 par kWh. « Le vrai problème, c’est qu’il n’y a pas assez d’énergie propre sur le réseau européen ! », pointe du doigt le Monsieur vert de la SNCF. Quant aux TER qui concentrent 17 % de l’activité passagers, ils fonctionnent au gazole et dégagent près de 60 g de CO2 par km et par voyageur. Les observateurs s’accordent sur ce point : un bus bien rempli vaut mieux qu’un wagon à moitié vide.
Voilà pour les nuances. Qui ne suffisent pas à faire remonter l’avion sur le ring. Selon la DGAC, l’empreinte des vols domestiques s’envole à 100 g de CO2 par km et par voyageur. Et si l’on voulait avoir mauvais esprit et aller plus loin dans le cycle de vie, il faudrait encore ajouter les émissions provoquées par l’extraction du pétrole servant à produire le kérosène… « On estime que l’impact pourrait être majoré de 10 % », explique Eric Vidalenc, expert de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Mais il y a pire dans le ciel. En dehors du CO2, la combustion de carburant dégage de la vapeur d’eau et des oxydes d’azote (NOx), producteurs d’ozone. Ces réactions chimiques ont des impacts encore mal connus sur le changement climatique. Jusqu’à présent, les experts du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ont utilisé le concept de « forçage radiatif » pour les consigner, multipliant par deux, faute de mieux, les émissions de CO2 de l’aviation. Mais en réalité, cet indice ne tient pas compte du long et du court terme : le CO2 conserve un effet radiatif sur plus d’un siècle, alors que les NOx ont des effets instantanés.
Alors comment réduire la douloureuse ? En matière d’économies de carburant, mieux vaut opter pour un gros avion, bien rempli, et de technologie récente. L’A380, lancé en novembre 2009 sur le Paris-New York, consomme 25 % de carburant en moins par passager que les générations précédentes d’Airbus. Il devrait, au passage, faire économiser 15 millions d’euros annuels à Air France. La compagnie a en outre lancé des tests de « vols verts » : en clair, optimisés pour réduire les émissions gazeuses et sonores. Ainsi, le 6 avril, un vol Paris-Miami en Boeing 747 a économisé 6 à 9 tonnes de CO2 juste en coordonnant mieux ses temps de roulage et ses choix d’altitude et de vitesse. « Mais sur les moyens-courriers, les technologies ont plus de vingt ans. Nous en attendons une nouvelle pour 2020, mais pas avant, car les constructeurs ont concentré leurs efforts sur le long-courrier », souligne Pierre Caussade.
Il y a pourtant un critère sur lequel il est possible de jouer rapidement pour faire baisser la note de CO2 par passager : le confort. Mais cette option, Air France n’est pas prête à la sacrifier. Ce sont donc les low cost qui sortent gagnantes de ce round, comme le démontre une étude de l’Université britannique de Cranfield. L’équation magique : un plus grand nombre de sièges, un excellent taux de remplissage et moins de poids mort (produits duty free, magazines, bouteilles de vin…) Mais les chercheurs s’interrogent sur l’aptitude des voyageurs à adopter la sobriété heureuse entassés dans des carlingues volantes et sans plateau-repas… Le vol aux émissions optimales ? Un avion archi-booké, parcourant 5 000 km – au-delà, la consommation de carburant par passager augmente – ne décollant qu’avant 7 heures du matin, quand il n’y a pas d’attente sur la piste. « Une compagnie qui prendrait comme principe directeur la limitation maximale de son impact sur l’environnement ferait faillite », tranche Pascal Lucciani. Le temps des voyageurs pressés est précieux. D’ailleurs, pour rentrer de Copenhague, beaucoup de ceux qui aiment la planète – l’équipe de Terra eco en première ligne – ont pris l’avion…
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