https://www.terraeco.net/spip.php?article7301
Dominique Nora au pays de l’or vert
vendredi, 6 novembre 2009 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Dans son dernier ouvrage, “Les pionniers de l’or vert”, Dominique Nora a arpenté les labos et les salles de réunions de la côte ouest américaine, traîné ses guêtres dans la Silicon Valley et traqué les nouvelles technologies vertes. Conclusion : ils ont l’air beaucoup plus avancés là-bas qu’ici, estime la journaliste du Nouvel Observateur. En tout cas, ils sont plus enthousiastes...

Terra eco : Vous avez choisi de vous pencher sur le cas de la Californie. Sont-ils vraiment plus avancés là bas qu’en France ?

Dominique Nora : "L’idée de ces acteurs californiens, c’est de relancer l’économie avec les technologies vertes. Du coup, ils s’y lancent tous à fond : les venture capitalists [capital-risqueurs], les labos d’universités prestigieuses comme Berkeley ou Stanford, les grandes entreprises... En France, l’engagement écologique suscite plutôt de l’agacement. D’autant que ses acteurs font souvent dans le catastrophisme. En Californie au contraire, on pense qu’il est possible de réconcilier le capitalisme et l’écologie. C’est notamment la thèse d’Amory Lovins [1]. Il prône le “natural capitalism” et défend l’idée que le capitalisme n’est pas antinomique avec l’écologie. Il est à la tête d’un “Think-and-do-tank” comme il l’appelle, qui joue les consultants auprès des banques ou des multinationales. Certes, il s’est fait critiqué pour ça. Mais après tout, si Wall Mart [2] fait des efforts dans le secteur, ça pourra démocratiser l’écologie. Wall Mart c’est l’Amérique ! Je préfère un discours moins pur et plus répandu qu’un discours pur qui ne s’adresse qu’à une élite et qui ne résoudra pas le problème des émissions de CO2."

D’où viennent ces entrepreneurs et lobbyistes que vous avez rencontrés ?

"Au fur et à mesure de mon enquête, je suis retombée sur des gens que j’avais croisés lors de mes enquêtes précédentes. T.Boone Pickens par exemple, un ancien raider des compagnies pétrolières qui a longtemps défrayé la chronique. A 80 ans, celui-là réapparaît aujourd’hui dans le secteur de l’éolien. C’est très symbolique, cette soif américaine d’aller vers le nouveau. C’est la même chose pour Bill Gross qui faisait des Cds éducatifs avant de monter un incubateur d’entreprises. A un moment, il a créé E-Solar, une startup spécialisée dans le solaire thermique. Idem pour Shai Agassi. Ce manager de SAP [3] a tout laissé tomber pour lancer sa compagnie Better place qui a imaginé un service de location et de recharge de batteries pour les voitures électriques. Tous ces gens ont la foi. Ils sont certains que leurs idées peuvent changer le monde. Mais leur objectif n’est pas seulement de lutter contre le réchauffement climatique, ils veulent avant tout œuvrer pour plus une plus grande indépendance énergétique de l’Amérique et participer à la relance verte."

Les compagnies de tout genre et de toute taille se multiplient, certaines même sont farfelues. Mais comment parviennent-elles à lever des fonds ?

"L’écosystème de la Silicon Valley marche de telle façon que les gens se précipitent sur les pistes nouvelles. Les Khosla, les Doerr [4] ont gagné beaucoup d’argent avec internet. Et cherchent aujourd’hui de nouvelles frontières. Certes, il y aura de nombreux échecs et beaucoup de sociétés s’écrouleront rapidement. D’ailleurs Alan Salzman [5] le dit. Sur 100 idées, 10 survivront tandis qu’une seule deviendra le Google de l’énergie propre. Certes, la crise a un peu douché tout ça. Mais ils sont tous persuadés que ça va repartir."

Ces acteurs de nouvelles technologies bénéficient-ils aussi d’un soutien politique ?

"Dans le discours, oui. Dans son plan de relance, Obama a prévu des fonds pour l’isolation thermique ou la recherche sur les biocarburants. Mais il faut qu’il arrive à faire passer sa loi climat. Et notamment le système d’un marché d’échange de carbone. Toutes ces industries attendent ça pour se développer. C’est là qu’elles deviendront compétitives par rapport aux centrales à charbon. Mais les États marrons [ceux qui dépendent de l’industrie du charbon] freinent le plus possible. Et même si le plan passe, il risque d’être décevant. Il faut quand même se rappeler que l’Amérique part de loin avec sa culture des grosses bagnoles, des macMansions [immenses villas], et des dépenses énergétiques fortes."

A lire aussi dans Terra eco :
- Better place, bienvenue au paradis de la voiture électrique.
- Entretien avec Amory Lovins
- Californie : l’Eldorado vert ?

“Les pionniers de l’or vert”, Dominique Nora, éd. Grasset, 360p.

Photo : Beauregard