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« La société civile doit être un contrepoids à la puissance des Etats »
mardi, 22 décembre 2015 / Amélie Mougey

Comment contraindre les Etats à respecter leurs engagements en matière d’environnement ? La question ressurgit après la COP21. Dans un rapport publié en novembre des juristes donnaient leur recette pour un droit international efficace.

Et maintenant ? La COP21 terminée, l’Accord de Paris adopté, les Etats qui ne respecteront pas leurs engagements s’exposent-ils à des poursuites judiciaires ou des sanctions économiques ? Pour que de tels scénarios soient redoutés tant en cas de laxisme en matière de climat que d’atteintes plus générales à l’environnement, le droit international devrait gagner en efficacité. La clé ? Impliquer la société civile à la fois lors de son élaboration et de son application. Tels sont les enseignements du rapport « Renforcer l’efficacité du droit international de l’environnement », publié en novembre par la commission « environnement » du club des juristes, un think thank qui réfléchit au rôle que doit jouer le droit dans nos sociétés. Yann Aguila, président de ce groupe d’une quinzaine de professionnels nous ouvre cette « boîte à idée » qui pourrait aboutir à un système juridique réellement garant du respect de la vie sur terre.

Terra eco : Les textes internationaux dont nous disposons aujourd’hui suffisent-ils à protéger notre environnement ?

Yann Aguila : Le droit à un environnement sain est présent dans plusieurs textes : la déclaration de Rio de 1992, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et plusieurs constitutions nationales. Sans oublier les accords comme celui qui vient d’être signé à Paris, auxquels s’ajoutent 500 traités internationaux qui touchent plus ou moins directement aux questions d’environnement. Mais ce droit est fragmenté. Pour le compléter et l’unifier, nous plaidons pour l’adoption d’un Pacte international sur la protection de l’environnement.. Il serait à la déclaration de Rio ce que les deux pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme sont à la Déclaration universelle de 1948. Sa force serait de rendre le droit lisible et d’avoir une valeur juridique obligatoire.

Les mécanismes juridiques dont nous disposons aujourd’hui sont-ils en mesure de faire appliquer ces textes ?

On voit deux faiblesses. D’abord au moment de l’élaboration du droit, puis lors de son application. Dans les deux cas la difficulté est la même : on se heurte aux enjeux politiques, aux blocages propres aux négociations entre Etats souverains. C’est là la question sous-jacente : notre conception du droit où la souveraineté nationale prime et héritée du XIXe siècle nous permet-elle de lutter contre la crise écologique actuelle ? Nous ne le croyons pas. Les territoires écologiques ne coïncident pas avec les territoires juridiques. Pour que le droit de l’environnement soit efficace, il faut se placer au niveau international. Mais tant que l’Etat souverain reste central, les diplomates sont confrontés à un dilemme : soit on adopte des textes ambitieux et contraignants qui réunissent un nombre limité de signataires, soit on se met d’accord sur des textes qui réunissent le plus de monde possible en optant pour des principes un peu flous, en se mettant d’accord sur le plus petit dénominateur commun.

Est-ce le cas pour la COP21 ?

L’accord de Paris comporte à la fois des déclarations d’intentions et un texte à portée juridique. Mais une fois le texte signé, se pose la question de son application, ce qui soulève le problème du mécanisme de sanction. A ce jour, il est insuffisant. Les accords internationaux n’ont pas de juges, les comités administratifs dédiés au suivi des conventions internationales n’ont pas de pouvoir contraignant. Leur seul pouvoir est celui du « name and shame ». (littéralement nommer et couvrir de honte, ndlr). Mais le peu de conséquences qu’a eu la sortie du Canada du protocole de Kyoto montre la portée toute relative de ce levier. Sans compter que le comités ne l’utilisent pas forcément : ils sont plutôt dans une logique coopérative, d’aide et d’accompagnement des Etats. Une des pistes serait de donner plus de pouvoir à ces comités et de les regrouper, on obtiendrait alors à une vraie Cour capable de faire appliquer, à l’échelle internationale, le droit à une environnement sain.

Il existe déjà une Cour internationale de Justice rattachée à l’Onu, ne peut-elle pas faire appliquer ce droit ?

La Cour internationale de Justice joue un rôle de plus en plus important en matière d’environnement. Elle peut consacrer des principes coutumiers, comme le principe de précaution ou l’obligation de mener des études d’impact. Elle présente cependant une limite de taille : sa reconnaissance par les Etats est facultative. La France par exemple n’a pas reconnu sa compétence permanente : elle ne le fait que ponctuellement, selon les litiges. C’est quand même surprenant quand on pense que la majorité des grands Etats en Europe la reconnaisse, et alors même le président de cette Cour est français. Voilà pourquoi on doit envisager de créer une instance dédiée. En outre, un meilleur respect des traités internationaux peut également passer par le juge national qui doit devenir le juge du respect des engagements des Etats en matière de climat et d’environnement. En ce sens, la condamnation des Pays-Bas obtenue par l’association Urgenda est un modèle.

Cette condamnation de l’Etat est le fait de citoyens. Quel rôle doivent-ils jouer dans l’amélioration du droit international ?

Il est crucial qu’ils soient au centre. La société civile – ONG, entreprises et simples citoyens – doit s’approprier le droit international. Au nom du droit à un environnement sain, elle a un intérêt à agir. A ce titre on devrait lui permettre de jouer le rôle de vigie, de contrepoids à la puissance des Etats. Cela passe par un accroissement de leur pouvoir de saisine des juridictions et en amont, par l’implication de la société civile dès l’élaboration du droit. Concrètement il s’agira d’inscrire dans les textes le principe de participation du public. On pourrait prendre exemple sur l’initiative citoyenne européenne, c’est-à-dire donner aux citoyens la possibilité de saisir les instances législatives internationales pour leur soumettre des propositions. Cela passe aussi par une révision des règles d’observation et d’intervention des ONG au sein de l’ONU afin de leur donner plus de poids. Plus généralement, il s’agit de transposer, à l’échelle internationale, les instruments de la démocratie participative, en améliorant notamment l’accès à l’information des ONG et citoyens.

En partant des idées que vous venez de développer, à quoi ressemblerait une COP idéale et efficace ?

L’exercice tient de la politique fiction mais essayons. D’abord la préparation, en amont du sommet. Là, les citoyens pourraient, en réunissant des milliers de signatures, soumettre des propositions au président de la CCNUCC ( convention cadre des nations Unies sur le changement climatique). De leurs côté, les ONG proposeraient des amendements qui, pour certains, seraient intégrés au texte. Leur rôle ne serait pas uniquement celui d’observateurs et d’organisateurs de manifestations parallèles au sommet. Ensuite le texte. Il serait rédigé en termes clairs, précis et opposables. Il serait contraignant, formulé à l’impératif. Il créerait des droits pour les individus qui pourraient ensuite s’en prévaloir devant leur pays d’origine. Puis vient la ratification. Elle aurait lieu dans chaque Etat car la société civile ferait pression sur les parlements nationaux. Ensuite, on disposerait d’un mécanisme efficace de suivi de l’application. Les comités, doté de larges pouvoirs et impliquant, là encore, des citoyens, seraient chargés d’examiner, à intervalles réguliers, les mesures prises par les Etats. Enfin, il faudrait que ces normes aient un juge. En cas de manquements constatés, les ONG pourraient saisir une juridiction. Il ne resterait plus qu’à réfléchir aux types de sanctions efficaces.


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