https://www.terraeco.net/spip.php?article63043
|
Pour la clôture de la COP, les militants célibataires se draguent
vendredi, 11 décembre 2015
/ Amélie Mougey
|
Chez les activistes, on l’appelle le « D12 ». Le samedi 12 décembre marquera l’apogée de la mobilisation pour le climat. Pour booster la participation aux actions de désobéissance, des séances de « speed dating » sont organisées.
Le drame de l’activiste en devenir est d’avoir des amis pantouflards. Le drame de l’activiste chevronné est d’avoir laissé les siens à Durban ou à Philadelphie pour venir faire entendre sa voix à Paris. La meilleure des choses qui puisse arriver à ces deux-là est de se rencontrer. Pour permettre à ce moment d’arriver, l’espace culturel Le Centquatre, devenu le temps d’une semaine le quartier général de la Coalition climat 21, abrite dans ses sous-sols une agence matrimoniale de militants.
Presque chaque jour, du 7 au 12 décembre, en matinée ou en soirée, des formateurs y organisent des sessions de speed dating. Le concept est emprunté au mouvement Reclaim the Power qui réunit les antigaz de schiste et fracturation hydraulique britanniques. A Paris, en pleine COP21, l’objectif est de créer des groupes de 7 ou 8 personnes qui participeront ensemble à l’action de désobéissance civile prévue pour la clôture des négociations, samedi 12 décembre. « En troupeau, on est rarement intelligents. En petits groupes, on est plus imaginatifs, plus flexibles », explique Isabelle Frémeaux, sociologue, membre du laboratoire d’imagination insurrectionnelle et formatrice de ces actions. « A plusieurs, on part également plus confiants, on évite les moments de panique », précise-t-elle.
Une novice, un Black Bloc assagi
En cercle à ses côtés, un couple venu de Montreuil (Seine-Saint-Denis), un autre de Toulouse et une dizaine d’électrons libres islandais et bretons l’écoutent attentivement. Leurs expériences de militantisme vont du rien au tout : de Clémentine, la novice qui considère « qu’il est grand temps de s’y mettre », à Johan, membre des Black Blocs, qui auraient pris la décision, au niveau national, d’abandonner leurs tactiques habituelles « de destruction symbolique » jugées « inimaginables pendant l’Etat d’urgence », selon l’activiste. Dans l’assemblée, on trouve aussi un jeune Manceau venu en tracto-vélo de Notre-Dame-des-Landes. Leur point commun ? Un sens aigu de l’urgence climatique. « J’ai trois enfants et je ne veux pas leur laisser le fruit de nos irresponsabilités », explique Gaëlle, venue spécialement de Toulouse pour les mobilisations en marge de la COP21.
Les présentations faites, reste à repérer les affinités. Pour ce faire, Isabelle Frémeaux demande à ses élèves du jour de se placer dans l’espace. « Ici, imaginez que c’est l’utopie, un monde où on a réglé la question climatique, où l’on a supprimé le racisme et le patriarcat », indique la formatrice en s’approchant d’une chaise à fond de la salle. « Là-bas, ce serait la dystopie, un monde où le chaos et les divisions l’emportent. » « Quel est le scénario que vous estimez le plus probable, sur la ligne qui va de l’un à l’autre ? Où vous positionnez-vous ? » Après s’être réparti avec homogénéité entre les deux pôles, chacun justifie sa position. « Je pourrais être optimiste, commence Johan, car tous les mouvements sociaux de ces deux derniers siècles ont fini par aboutir. » Mais le succès arrivera-t-il à temps ? Le jeune homme se place du côté de la dystopie.
« Imaginons que je prenne du gaz lacrymo, comment réagis-tu ? »
Sur le même modèle, la marieuse du jour demande au petit groupe de se positionner en fonction de sa forme physique – « Est-ce que vous êtes supermobiles et prêts à courir ? » – ainsi qu’aux risques qu’il est prêt à prendre – « Est-ce que vous avez dépassé la peur d’être arrêté(e) ou est-ce que cela ne doit absolument pas arriver, parce que vous avez un visa, des enfants en bas âge ? »
Bernadette, Bretonne de 57 ans, fait la navette entre deux groupes :« Ici, ça parle trop anglais. Là-bas, pourquoi pas ? Ils sont comme moi, ils ne sont pas trop casse-cou et ils n’ont pas envie de finir au poste. » Dans le groupe voisin, Clémentine teste la solidarité de ses futurs acolytes. « Imaginons que je prenne du gaz lacrymo dans les yeux et que je ne sois plus capable de m’orienter, comment réagis-tu ? » Ce scénario n’est pas l’objectif de organisateurs : « C’est une action non violente, on ne va pas à la confrontation. » Le mode opératoire envisagé ? « Pour contourner l’interdiction de manifester, c’est-à-dire de se retrouver à plusieurs, on formera des binômes, explique Laurence, proche de l’équipe organisatrice. Au signal, tous les binômes se retrouveront pour former une ligne et sortiront des accessoires rouges : chapeaux, parapluies, etc. » La symbolique est celle des points sur lesquels l’accord ne devrait pas transiger : la sortie des énergies fossiles, le plafonnement contraignant des émissions par pays. « On sait déjà que nos lignes rouges seront franchies », souligne Isabelle Frémeaux.
Son atelier de « rencard express » aura finalement dépassé les deux heures. « Prendre le temps de poser ces bases, c’est important. Il s’agit de partager des moments très forts avec des gens qu’on connaît à peine », justifie-elle. Derrière elle, trois groupes sont désormais constitués : celui de Johan, de Gaëlle et des plus déterminés en parfaite santé, celui des moyennement téméraires mais en bonne forme physique et celui de préretraités peu enclins à galoper. Une fois les numéros échangés, rendez-vous est pris pour samedi.
A lire aussi sur Terraeco.net :
Les désobéissants du climat : « On est des gentils, c’est notre meilleure arme »
Au Centquatre, l’antiCOP où les luttes entrent en ébullition