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Les médecins de demain s’arment contre le lobby des labos
jeudi, 22 octobre 2015
/ Amélie Mougey
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Des étudiants en médecine proposent des « livrets d’autodéfense » face à l’influence des laboratoires pharmaceutiques.
Partons d’une mise en situation. Après six années d’intense bachotage, l’étudiant en médecine commence son internat. A peine arrivé dans le service où il va faire ses classes, on lui explique, qu’ici, chaque vendredi, on prend le petit-déjeuner à l’hôpital. Un laboratoire pharmaceutique régale. Le jeune Padawan n’est pas emballé mais, intimidé par les pontes qui l’entourent, il n’ose protester. Puis il relativise : « Je suis suffisamment intelligent pour ne pas être influencé » et de toute façon « je n’y fais pas attention ».
Faux ! Lui rétorque le « livret d’autodéfense face aux labos », un petit ouvrage écrit « par et pour des étudiants en médecine » lancé à la fin de l’année 2014 et à ce jour diffusé à 2500 exemplaires. Le manuel, conçu « pour se glisser dans la poche de la blouse », fait l’inventaire de ces « idées reçues » et donne aux « étudiants avides de comprendre » des clés pour « garder leur indépendance ».
« A la fac, nous ne sommes pas épargnés »
L’initiative, portée par la « Troupe du rire », un collectif de futurs médecins des universités Paris 5 et Paris 7, part de plusieurs constats. Le premier : entre 1981 et 2004, « 68% des nouveaux médicaments n’apportaient rien de nouveau », selon la revue Prescrire. Le second : « Les Français consomment plus de médicaments que leurs voisins européens et pourtant ils ne sont pas plus malades. » Un diagnostic que les membres du collectif n’ont pas pu s’empêcher de corréler à d’autres chiffres : en France, « l’industrie pharmaceutique emploie 20000 visiteurs médicaux » ou encore qu’« entre 1999 et 2004, le nombre de présentations faites par des médecins et financées par des entreprises pharmaceutiques a été multiplié par quatre », comme nous l’apprend le manuel.
« Bien sûr, les médecins les plus influents sont les plus sollicités, reconnaît Auriane, l’une des étudiantes rédactrices de l’ouvrage. Mais à la fac, nous ne sommes pas épargnés. » La jeune femme regrette par exemple que dans les livres sur lesquels elle a planché, les médicaments soient souvent présentés sous leurs noms commerciaux. Elle renvoie également à un exemple concret de lien d’intérêt : celui d’un cardiologue qui, dans son corrigé d’examen blanc, met en avant « l’efficacité » voire la supériorité de certains anticoagulants oraux, les « Naco », simples « alternatives » à d’autres aux yeux de la Haute autorité de santé (HAS). « Quels sont les liens d’intérêts du rédacteur (l’auteur de la correction, ndlr) avec les laboratoires ? », s’interroge le livret. En introduisant une obligation de transparence, la loi de modernisation du système de santé qui sera soumise au vote mardi 27 octobre devrait permettre d’y voir plus clair.
De la visite médicale au lobbying politique
Reste les petits-déjeuners, dîners, congrès, conférences, voyages… Autant d’opérations séductions devant lesquelles Auriane s’estimait mal armée. « A la fac, il y a une matière qui s’appelle “Lecture critique d’article”, mais on cherche surtout à relever les biais dans la méthodologie, pas du tout à savoir qui finance l’essai. » Pour combler cette lacune, l’étudiante s’est plongée, avec une dizaine de camarades de promo, dans le rapport Comprendre la promotion pharmaceutique publié en 2009 par l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Chacun est reparti avec deux chapitres à synthétiser. La tâche, réalisée soirs et week-ends entre les périodes d’examens, leur a pris deux ans. La rédaction a été pensée de manière à répondre aux questions des étudiants.
Vous êtes intelligent ? Sans doute. Mais « la promotion prend en compte les compétences et le niveau d’études du public cible », répond le manuel. Vous n’y faites pas attention ? Très bien. Sauf que, même inconsciemment, « entendre plusieurs fois le même nom de médicament contribue à le faire venir à l’esprit en premier lors de la prescription », poursuit-il. « Surtout dans un métier où les décisions doivent se prendre rapidement », souligne Auriane. De même, le nom d’un médicament s’imprimera plus facilement dans un cerveau s’il est inscrit sur le stylo utilisé quotidiennement. « Le livret explique toutes les techniques de l’industrie pharmaceutique, de la visite médicale au lobbying politique », précise la jeune femme.
Riposte des entreprises du médicament
A l’origine destiné « à quelques copains et à la fac » et financé par les étudiants sur leurs propres deniers, les livrets distribués gratuitement ont rapidement trouvé preneurs. Des médecins de Lyon et de Nantes en ont demandé pour leurs étudiants. Le manuel, salué par le prix de la revue Prescrire, s’est propagé jusque dans les écoles d’infirmiers. Fort de ce succès, la Troupe du rire a décidé de diffuser 2500 exemplaires supplémentaires en lançant cette fois une opération de financement participatif pour payer l’imprimeur.
Un succès auquel le Leem, l’interprofessionnelle de l’industrie pharmaceutique, n’est pas resté indifférent. Sur un site internet dont l’unique vocation est de contrecarrer les mises en accusation, les entreprises du médicament répondent à la Troupe du rire, mentionnant « les dispositifs de transparence et de réglementation mis en place par la loi du 29 décembre 2011 », rappelant que « la remise d’échantillons de médicaments est aujourd’hui rigoureusement limitée et encadrée », afin de démontrer que l’affirmation selon laquelle « l’influence de l’industrie pharmaceutique est très étendue… » est erronée.
Une réponse qui ne convainc pas le collectif. « Si ça ne leur rapportait rien, ils ne dépenseraient pas autant », lâche Auriane. L’enveloppe s’élèverait « à 20 000 euros par an et par médecin » si l’on en croit l’économiste de la santé Jean de Kervasdoué, cité par L’Express. Parfois, les retours sur investissement sont directement perceptibles. Ainsi, le livret explique que les prescriptions d’un antibiotique intraveineux « montent en flèche après un voyage tous frais payés où le médicament faisait l’objet d’une promotion ».
Lobbying et contre-lobbying, de l’université à l’Assemblée
Et si, pour réduire les liens d’intérêt, on classait les universités en fonction de leur degré d’indépendance ? Le Formindep, l’association pour une information et formation médiale indépendante, planche en ce moment sur « un classement en fonction de leurs politiques officielles par rapport à l’industrie pharmaceutique », nous apprend Paul Scheffer, doctorant en sciences de l’éducation qui consacre sa thèse à l’influence des labos. L’approche a fait ses preuves aux Etats-Unis : « En 2007, il n’y avait aucune formation à l’indépendance prévue dans les cursus des universités américaines. En 2015, c’était au programme des deux tiers d’entre elles », souligne-t-il. Au delà des étudiants, le lobbying pharmaceutique fait l’objet d’une intense passe d’armes sur la scène nationale. Alors qu’un colloque « Désintoxiquons notre santé de l’emprise des lobbys » se tient ce jeudi 22 octobre à l’Assemblée nationale, le Leem s’énerve, par un courrier directement adressé à Claude Bartolone de l’organisation d’un tel évènement et du « préjudice qu’il peut porter aux entreprises du médicament ». Rien de tel qu’un bon lobbying pour contrer l’anti-lobbying.