Le Sénat a adopté mercredi 21 octobre une résolution sur les « déplacés environnementaux », portée par la sénatrice écologiste Esther Benbassa. Pour la chercheuse Chloé Vlassopoulos, spécialiste de la question, il y a urgence à reconnaître et à protéger ces migrants, premières victimes du changement climatique.
Chloé Vlassopoulos est professeure de sociologie des politiques publiques à l’Université de Picardie Jules Verne, coordinatrice, avec Christel Cournil, de « Mobilités humaines et environnement. Du global au local », Quae, 2015.
Terra eco : Qu’est-ce qu’un migrant environnemental et quelle est l’ampleur de ce phénomène ?
Chloé Vlassopoulos : Les migrations environnementales sont étudiées depuis plus de trente ans par les chercheurs qui désignent par là plusieurs type de phénomènes. Il s’agit de constater le lien entre des personnes qui se déplacent de manière forcée et des crises environnementales. Sont inclus ici des accidents industriels, comme Tchernobyl ou, plus récemment Fukushima, mais aussi les grands travaux d’aménagement, comme le barrage des trois Gorges, en Chine, qui a déplacé plus d’un million de personnes. Nous parlons également de personnes qui se déplacent suite à des catastrophes naturelles bien sûr, ou suite à des dégradations environnementales liée à des conflits armés, la destruction de forêts par exemple. Mais de plus en plus, à partir des années 2000 notamment, l’enjeu s’est concentré sur le lien entre déplacement de population et impacts du changement climatique.
Ce lien a-t-il pu être démontré ?
Il y a toujours débat. Le changement climatique est un problème très complexe. On constate l’augmentation de la fréquence d’inondations et d’ouragans d’intensité très forte. L’hypothèse, c’est que le changement climatique accentue ces phénomènes-là. C’est la même chose pour les migrants environnementaux. Dans une région qui subit de fortes sécheresses pendant des années, obligeant des personnes qui ne peuvent plus vivre sur ces territoires à se déplacer, le changement climatique est un facteur important, même s’il n’est pas le seul.
Quelle est l’ampleur de ces flux migratoires liés aux impacts du changement climatiques ?
C’est difficile d’annoncer des chiffres exacts. A partir de données statistiques sur les catastrophes des dernières années – inondations, ouragans, sécheresses –, il est possible d’établir des projections en utilisant des modèles climatiques proposés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). De toutes façons, les chiffres sont alarmants : celui de 200 millions de personnes à l’horizon 2050 est souvent avancé. Un rapport de l’ONG Christian Aid annonçait, il y a quelques années, un milliard de personnes déplacées. Le phénomène s’annonce donc de très grande ampleur. Mais la question du nombre ne doit pas focaliser toute l’attention. S’il ne s’agissait même que de 100 000 personnes obligées de se déplacer, pourrions-nous ne rien faire ? C’est ici la protection de la vie humaine et la prise de responsabilité de la part de l’ensemble de la communauté internationale qui doivent primer plus que les chiffres.
Pourquoi ne peut-on pas parler de réfugiés climatiques ?
Le terme de réfugié est rattaché à la Convention de Genève de 1951. Ce texte définit un réfugié comme quelqu’un qui est persécuté dans son propre pays pour des raisons politiques ou religieuses par exemple, et dont la vie est en danger. La Convention prévoit tout un système qui permet à ces personnes de demander l’asile, c’est-à-dire la protection d’autres pays. Dans cette définition, le facteur environnemental comme facteur de mise en danger de la vie d’autrui n’existe pas. Et il y a une très forte réticence de la part du Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies à ouvrir la Convention de Genève à de nouvelles catégories de migrants. L’argument avancé est que cela risquerait de fragiliser la Convention elle-même qui ne protégerait alors plus personne. Le plus souvent, on choisit donc l’expression « déplacés forcés » pour parler des migrants climatiques.
Sur quelles bases trouver un statut de protection à ces personnes déplacées ?
Le droit international de l’environnement établit déjà le lien entre dégradation de l’environnement et phénomène migratoire. Les Droits de l’homme protègent les personnes et garantissent le droit à un logement, à un travail, à une vie saine, qui ne peuvent pas être satisfaits dans des régions qui ont subi une catastrophe environnementale. Le droit international des migrations propose déjà toute une série d’instruments. Il existe donc déjà des outils juridiques que l’on peut mobiliser. Mais tous ces instruments sont-ils suffisants pour aboutir à la reconnaissance et la protection effective de ces migrants ? Nous sommes encore loin du compte.
Pensez-vous que la communauté internationale soit prête à accorder un statut spécifique aux déplacés climatiques ?
J’ai des doutes. Car derrière la communauté internationale, il y a les pays membres. Quand on voit comment les pays européens accueillent aujourd’hui les migrants qui arrivent de Syrie, on peut douter de la volonté de ces mêmes pays qui vont participer à la COP21 à apporter une réponse efficace et nette sur la question des migrations environnementales.
Dans ce cas, pour quelle raison la résolution adoptée le 21 octobre dernier
au Sénat est-elle importante ?
Elle compte, car il faut toujours essayer ! Il y a déjà eu des petits pas de faits. Les accords de Cancun, en 2010, reconnaissaient le lien entre changement climatique et migrations par exemple. Or, la France accueille la COP21 dans quelques semaines. Elle va essayer de concilier les différents points de vue pour trouver un accord contraignant sur le climat. Si, dans ces négociations, arrive une proposition de reconnaissance des déplacés environnementaux soutenue par une chambre parlementaire, ça n’a pas le même poids qu’une proposition faite par un ministre tout seul avec son cabinet. C’est un pas supplémentaire qui permet d’aller un peu plus loin vers une prise en charge concrète de ces problèmes urgents.