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Votre enfant est végétarien, est-ce dangereux ?
mardi, 15 septembre 2015
/ Claire Baudiffier
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Certaines cantines commencent à mettre en place des alternatives au régime carné. Certains nutritionnistes s’étranglent, craignant les carences en fer chez les écoliers. « Terra eco » tente de démêler le vrai du faux.
Plus de 120 000. C’est le nombre de signatures qu’a recueillies la pétition pour une alternative végétarienne dans les cantines scolaires, lancée par le député UDI Yves Jégo le 14 août dernier. Le menu sans viande ni poisson – déjà proposé à Saint-Etienne (Loire) depuis janvier ou encore à Perpignan (Pyrénées-Orientales) depuis la rentrée – arrivera dans les assiettes de Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), dont Yves Jégo est maire, le 1er octobre. Le politicien estime que cette solution « relativement simple et totalement laïque (…) permettrait de soulager les élus qui gèrent nos cantines et de répondre à toutes les attentes légitimes des familles. » Mais l’idée a aussi entraîné les réactions de nutritionnistes – et de parents – inquiets ou hostiles. Parmi eux, Patrick Tounian, chef du service de nutrition et de gastroentérologie pédiatriques à l’hôpital Trousseau, à Paris. Le 18 août, dans 20 Minutes, il déclarait ainsi : « Les enfants ont besoin de manger beaucoup de viande et, de 3 à 18 ans, je préconise d’en manger à tous les repas. Ne pas en proposer comporte un aspect délétère. »
Manger de la viande une à deux fois par jour, du poisson deux fois par semaine, c’est aussi ce que préconise le Programme national nutrition santé (PNNS), plus connu sous le nom « Manger - Bouger ». Dans les brochures et les guides téléchargeables du programme, les informations sur les régimes végétariens pour les enfants sont peu présentes. Et on y trouve plusieurs positions (à lire ici, pages 56 et 104). Pour les enfants présentant « un dégoût pour la viande », il faut « continuer à donner de la viande hachée, en sauce ou blanche ». Pour les ados, on évoque le risque de « déficience en fer » avec un régime végétarien, voire de « carences » avec un régime végétalien, et on conseille de manger « des œufs et si possible du poisson »… même si ce dernier ne fait partie d’aucun des deux régimes (Voir encadré ci-dessous) !
Dans d’autres documents, on lit qu’un régime végétarien peut être équilibré (malgré d’autres ratés sur la consommation de poisson). C’est cette position que finit par transmettre la communication du PNNS, qui fournit deux documents (ici et là). Une alimentation végétarienne chez les enfants peut aller de pair avec un équilibre nutritionnel, assurent-ils, à condition d’appliquer certaines règles : remplacer les sources de protéines manquantes en consommant des œufs et des produits laitiers et associer des aliments d’origine végétale et animale.
Carence en fer, « problème nutritionnel numéro 1 » ?
Mais pour Patrick Tounian, un tel équilibre est impossible, à cause du manque de fer. D’après le nutritionniste, « c’est le problème nutritionnel numéro 1 en France chez les enfants, et c’est pernicieux puisque ce dernier va être, petit à petit, plus fragile et sujet aux infections ». Selon lui, la carence en fer est donc inévitable chez les enfants végétariens. Pour appuyer ses propos, le nutritionniste renvoie vers une étude de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) sur les besoins nutritionnels. Celle-ci reporte plusieurs travaux menés sur la question. Deux lignes – relatant une étude britannique de 2000 – concernent les petits végétariens entre 1 an et demi et 3 ans. 73% d’entre eux sont carencés, contre 34% des omnivores. Problème : l’étude a été menée sur 11 végétariens et 334 omnivores… Par e-mail, Patrick Tounian le concède : « Bien sûr qu’il aurait été préférable de prendre davantage de végétariens, mais ils ont dû avoir du mal à en trouver qui acceptent de participer à l’étude, ce sont des enfants… »
Selon Jérôme Bernard-Pellet, médecin nutritionniste, membre de l’Association de professionnels de santé pour une alimentation responsable, il n’y a aucun nutriment dans la viande (par viande, entendez viande et poisson) indispensable à l’homme. Et il souligne qu’il n’y a pas plus d’anémie par carence en fer chez les végétariens que chez les omnivores. Reprenant l’étude de l’Efsa citée plus haut, il estime que « l’échantillon n’est pas assez important pour que la plupart des méthodes d’analyses statistiques puissent s’appliquer ». « On trouve le fer sous deux formes, héminique dans la viande, non héminique dans les végétaux. Ce dernier est présent en grandes quantités dans les légumineuses, notamment. Son absorption est variable – et réputée meilleure avec les produits animaux. Mais la nature est bien faite : si l’on manque de fer, le taux d’absorption du fer non héminique va fortement augmenter. Celui du fer héminique varie très peu. D’ailleurs, les médicaments compléments en fer contiennent du fer non héminique », poursuit-il.
Patrick Tounian, lui, précise que pour 100 grammes de viande, 1 milligramme de fer est absorbé. « Pour absorber le même taux de fer, il faudrait ingurgiter 1,250 kg de lentilles. Alors certes, quand on en manque, on l’absorbe mieux, donc on pourrait diviser par trois cette quantité, mais cela reviendrait tout de même à manger 400 grammes de lentilles. » Si c’est possible pour un adulte – le médecin reconnaît volontiers qu’une alimentation végétarienne équilibrée est possible chez ce dernier –, c’est, estime-t-il, impossible chez l’enfant. « Un enfant de 4 ans a besoin de 10 mg de fer par jour, rétorque Jérôme Bernard-Pellet. Donc si l’on suit le raisonnement de mon confrère, il devrait consommer un kg de viande. C’est totalement impossible. » « Utiliser l’argument du fer pour disqualifier complètement le végétarisme chez l’enfant ne me paraît pas pertinent sur le plan scientifique. Le plus objectif est de dire que c’est un nutriment à surveiller et qu’il faut donner des suppléments en cas de problème », ajoute-t-il.
Les protéines, « un faux problème »
Concernant les protéines, également souvent citées comme manquantes dans l’alimentation végétarienne, les deux nutritionnistes s’accordent à dire que « c’est un faux problème ». « Nos alimentations sont en général très, voire trop riches en protéines », rappelle le docteur Bernard-Pellet, s’appuyant sur une étude de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Il y est indiqué que les enfants de moins de 4 ans consomment 3,6 g par kg et par jour de protéines en moyenne. Les enfants de 5 à 7 ans 3,24 g par kg et par jour. « Quatre fois plus que leurs besoins physiologiques », souligne-t-il.
Reste une question qualitative : les protéines animales sont-elles meilleures ? « C’est en effet l’idée archidominante, mais elle est fausse : les protéines végétales sont globalement supérieures car elles sont associées à des composés bons pour la santé comme les phytonutriments et les fibres alimentaires qu’on ne trouve pas associées aux protéines animales. De plus, elles ne sont pas associées à des aliments contenant du cholestérol », poursuit Jérôme Bernard-Pellet.
Manque de littérature scientifique
Difficile de ne pas lier les doutes et les craintes autour de l’alimentation végétarienne – chez l’enfant, mais pas seulement – au manque d’études et de littérature scientifique. « Il n’y a pas d’enseignement en France sur les régimes végétariens et végétaliens », déplore Jérôme Bernard-Pellet, qui évoque tout de même deux articles scientifiques de The American Journal of Clinical Nutrition. L’un, datant de 1988 et mené en Grande-Bretagne, conclut qu’il n’y a pas de troubles de la croissance chez les enfants véganes. L’autre, de 1994, souligne que la taille des enfants véganes est normale, mais qu’ils ont tendance à être un peu plus maigres que leurs camarades omnivores. Il cite également la position de l’Association américaine de diététique, qui estime que « les alimentations végétariennes bien conçues sont appropriées à tous les âges de la vie ». Peut-être serait-il temps pour les scientifiques – français, européens, internationaux – de se lancer dans des études détaillées ?
Végétariens, végétaliens, véganes…
Les végétariens ne consomment pas de produits animaux (poisson, viande).
Les végétaliens, eux, ne consomment ni produits animaux, ni sous-produits animaux (lait, fromage, œufs, miel).
Végane est un terme plus large qui correspond davantage à un mode de vie et ne se réfère pas qu’à l’alimentation. Ainsi, les véganes excluent de leur consommation les produits issus de l’exploitation des animaux (ou sur lesquels des tests ont été effectués). Ils ne portent pas de laine, de cuir, de soie et font également attention à la composition de leurs cosmétiques.
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