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Un crédit pour se soigner : vrai coup de pouce ou fausse bonne idée ?
lundi, 13 avril 2015
/ Amélie Mougey
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Soumise au vote à l’Assemblée ce mardi, la loi santé entend faciliter, via le tiers payant, l’accès aux soins remboursés. Mais pour ceux qui ne le sont pas, ou très mal ? La solution passe-t-elle par le microcrédit, déjà mis en place à Toulouse ?
Voir flou, tendre l’oreille, trainer une carie et… s’y résigner. En France, une personne sur trois renonce à se soigner ou repousse sa visite chez le médecin faute de moyens. Pour contrer un phénomène plus développé dans l’Hexagone que chez nos voisins européens, l’Assemblée nationale a voté, ce jeudi 9 avril, l’adoption du tiers payant généralisé. En 2017, les patients n’auront plus rien à avancer et ce pour l’ensemble des actes médicaux remboursés. Mais qu’en est-il des soins mal ou non pris en charge ? Devant le coût des lunettes, des appareils auditifs et des soins dentaires, les foyers aux plus petits budgets esquiveront toujours la visite chez les spécialistes.
9 000 euros de soins dentaires
Alertées par leurs assistants sociaux sur l’état de santé de certains administrés, les villes de Toulouse et de Laval (Mayenne) et le département de Seine-Maritime ont mis en place des « microcrédits santé ». « Il s’agit de donner un coup de pouce aux personnes à qui les banques refusent des prêts », explique Elodie Ouvrard, chargée de la finance solidaire au sein du Crédit municipal de Toulouse.
Parmi les 140 dossiers de microcrédit qui s’entassent sur son bureau, celui d’une Toulousaine approchant la soixantaine renferme une facture de 9 000 euros pour des soins dentaires. « A ce niveau-là, ce n’est ni de l’esthétique, ni même du confort », souligne la jeune femme. Le hic, c’est qu’en alternant les périodes de chômage et de CDD chichement payés la patiente a renoncé à prendre une mutuelle. « Dans ces cas-là, il existe d’autres dispositifs, des aides spéciales de la sécurité sociale, reconnaît Elodie Ouvrard. Mais souvent, les gens ne sont pas au courant. Le rôle des centres communaux d’action sociale (CCAS), c’est d’abord de les informer de ce à quoi ils ont droit. » Mais, même une fois ces aides réclamées et versées, la facture reste parfois trop salée.
Ne pas surendetter des personnes en difficulté
C’est alors qu’intervient le microcrédit. Ce prêt encadré, compris entre 300 et 3 000 euros à Toulouse – entre 300 et 6 000 euros à Laval – est réservé aux travailleurs pauvres, bénéficiaires des minima sociaux ou retraités précaires. « Ce doit être la dernière option, une fois que toutes les autres solutions ont été étudiées », précise Elodie Ouvrard. Sur cette somme, directement versée au médecin, le taux d’intérêt avoisine 3%, mais est intégralement pris en charge par la municipalité, souvent via le CCAS. Puis, tout au long de la période de remboursement, prévue pour s’étaler sur trois ou quatre ans, le bénéficiaire est accompagné par un travailleur social. « L’idée, ce n’est pas de surendetter des personnes déjà en difficulté », précise la fonctionnaire. Ainsi, malgré des critères d’attribution moins stricts que ceux des banques, le Crédit municipal de Toulouse ne fait état que de très peu de défauts de remboursement. A l’inverse, Elodie Ouvrard note un impact positif de long terme sur la vie des bénéficiaires. « Une prothèse auditive ou des soins dentaires, ça change non seulement le quotidien d’une personne, mais aussi son employabilité, souligne-t-elle. Dans un parcours, ces quelques centaines d’euros peuvent être déterminantes. »
« On invente une rustine »
Chez les défenseurs de l’accès au soins, le microcrédit santé est pourtant regardé avec méfiance. « Dans les cas d’extrême urgence, évidemment, on ne peut pas déplorer que ce système existe, mais c’est quand même terrible d’en arriver là, soupire Eric Taillandier, porte parole du collectif Ensemble pour une santé solidaire. Des communes obligées de faire crédit pour des dépenses de santé, c’est le signe que, plus haut, il y a quelque chose quelque chose qui cloche. ». Pour ce militant de l’accès aux soins, qui a lui-même renoncé à prendre une mutuelle faute de moyens, le microcrédit santé met en lumière le renoncement des pouvoirs publics à un système de santé basé sur la solidarité. « Avec ce système, on est très loin du principe “Cotiser selon ses moyens, percevoir selon ses besoins”, sur lequel s’est construite la sécurité sociale », déplore-t-il. « Qui dit crédit dit remboursement : on ne supprime pas le reste à charge, souligne-t-il. En clair, on accepte qu’une partie du coût de la santé soit l’affaire de l’individu et non plus de la collectivité… et on invente le microcrédit pour servir de rustine. » Sans compter un potentiel renforcement des inégalités territoriales. « Une commune qui a de l’argent peut prêter à ses administrés pour qu’ils se soignent, mais que se passera-t-il dans la commune voisine qui n’a pas le budget ? »
La nouvelle loi de santé marquera-t-elle la fin du renoncement aux soins ?
La loi Touraine, examinée la semaine passée à l’Assemblée nationale et soumise au vote ce mardi 14 avril, facilite-t-elle l’accès aux soins ? Le parti socialiste en est persuadé. Avec ce texte, décrié par les médecins, le gouvernement lutte « contre les inégalités sociales, contre les injustices » si l’on en croit le Premier ministre, Manuel Valls. Le collectif Ensemble pour une santé solidaire reste sceptique. Aux yeux d’Eric Taillandier, la généralisation du tiers payant, mesure phare de la loi qui doit épargner à l’ensemble des patients d’avancer le prix de leur consultation, n’avait rien d’une priorité. « C’est une mesure purement politicienne autour d’un faux problème : lorsqu’un patient n’a pas les moyens d’avancer la somme qui lui sera plus tard remboursée, la plupart des médecins sont conciliants et attendent avant d’encaisser le chèque », constate le porte-parole du collectif. Dans une tribune publiée sur Rue89, les Economistes atterrés regardent la mesure d’un œil moins sévère : « Quand on a un revenu mensuel de 1 000 euros, soit 33 euros par jour, avancer 23 euros sacrifie d’autres dépenses (de nourriture ou d’habillement, d’entretien de la maison, de loisirs, etc.)… qui sont bonnes pour la santé. » Mais Eric Taillandier y voit surtout une diversion : « Cette mesure concerne des soins qui, tôt ou tard, sont remboursés par la sécurité sociale. Or, la vraie menace qui pèse sur les plus précaires, c’est un recul de la prise en charge par le système de solidarité au profit des complémentaires privées. »
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