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Les nouveaux résilients (2/7) : la planteuse d’arbres
mardi, 3 mars 2015
/ Amélie Mougey
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Inondations, typhons, incendies : les Philippines sont l’un des pays les plus vulnérables au changement climatique. Sans attendre l’« Appel de Manille », Norma Llemit a cherché à protéger son île. Sa solution : la reforestation.
Ici, le changement climatique n’est encore qu’une épée de Damoclès. Là-bas, il sévit déjà. Sécheresse, dégradation des sols, insécurité alimentaire… du Togo au Congo, en passant par les Philippines et la Papouasie-Nouvelle Guinée, des populations sont, dans leur quotidien, aux prises avec les conséquences du dérèglement. Pour s’en prémunir ou s’y adapter, des porteurs de projets rivalisent d’inventivité. Ils imaginent de nouvelles sources d’énergie, redécouvrent des plantes, réapprennent à cultiver en milieu aride. Le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l’Agence française du développement (AFD) a lancé le concours Challenge Climat pour récompenser ces initiatives. Terra eco est allé à la rencontre de ces nouveaux résilients.
Quand Norma Llemit était enfant, les collines des Philippines étaient boisées, et l’île de Mindanao, la deuxième de l’archipel, n’avait jamais connu ni typhon, ni pluies torrentielles. Aujourd’hui, le pays a perdu une grande partie de ses forêts et il est l’un des plus vulnérables aux effets du changement climatique. Comme beaucoup de Philippins, Norma Llemit y voit un lien de cause à effet. Docteur en philosophie et communication du développement, cette salariée de l’ONG philippine Hineleban Foundation n’a pas attendu l’« Appel de Manille », lancé conjointement par les présidents français et philippin vendredi 27 février, pour prendre le problème en main. Sa méthode ? Faire renaître les forêts avec l’aide des populations locales. Une initiative qui lui a valu d’être récompensée lors du Challenge Climat, le 1er mars.
Terra eco : Les Philippines est le deuxième pays au monde le plus exposé aux conséquences du dérèglement climatique. Comment cela se manifeste-t-il ?
Norma Llemit : De plusieurs manières. D’abord, comme les médias du monde entier l’ont montré, nous sommes frappés par de terribles catastrophes. Ces dernières années, nous avons connu trois supertyphons, des villages ont été complètement détruits et des milliers de personnes ont perdu la vie. D’autres effets, moins violents mais malheureusement moins ponctuels, ont également un impact considérable sur la vie des habitants. Il y a d’abord les feux de forêt. Sous l’effet de la chaleur, une plante, l’imperata, très présente dans nos forêts, s’embrase toute seule. A cause de ces incendies, souvent impossibles à maîtriser, les populations locales sont privées des ressources de la chasse. Les pêcheurs ne sont pas mieux lotis. Le manque de précipitations accentue l’envasement des océans et des rivières, qui lui-même détruit le corail et diminue le stock de poissons. A l’inverse, les terres agricoles de Mindanao, d’où proviennent 40% des fruits philippins, sont souvent dévastées par les inondations. Tous les moyens de subsistances de la population se raréfient.
Pourquoi centrer votre action sur la protection de la forêt ?
La destruction de la forêt accentue la gravité du problème. Sa réhabilitation est donc une grande partie de la solution. Depuis un siècle, pour satisfaire les intérêts privés, et à grand renfort de corruption, les forêts ont été pillées. Quand j’étais enfant, je voyais passer à côté de mon village de gros camions chargés de rondins de bois qui partaient à l’exportation. Cette déforestation massive et illégale a encore été accentuée par la pratique de la culture sur brûlis. Longtemps, les populations locales ont coupé, défriché puis brûlé des zones forestières pour cultiver. Puis, quand les sols avaient perdu leur fertilité, ils avançaient. Aujourd’hui, il ne reste que 1,5% de la forêt primaire qui recouvrait 70% du territoire en 1900. Or, la forêt est cruciale pour la fertilité de la région. Elle permet une meilleure infiltration des eaux de pluie, ce qui renforce les réserves hydrauliques et diminue l’impact des inondations, elle capte le CO2 et surtout, elle fait tomber la pluie.
De quelle manière ?
En créant des poches de condensation et donc des variations de températures auxquelles les nuages sont sensibles. C’est ainsi que fonctionne le cycle de l’eau. On a constaté qu’en plantant des arbres à flanc de colline, on augmentait la pluviométrie. Pour toutes ces raisons, la forêt est un formidable outil d’atténuation des conséquences du réchauffement climatique. En fait, c’est pour nous la seule solution.
Comment impliquer les populations dans la préservation de la forêt ?
En leur démontrant que planter des arbres a un effet. Nous avons commencé avec l’implantation d’une ferme expérimentale autour de laquelle nous avons lancé nos opérations de reforestation. Les populations autochtones de Mindanao ont alors constaté qu’il pleuvait plus sur nos terres que sur les leurs. Derrière la ferme, une crique qui était asséchée depuis des années s’est remplie. Les habitants ont alors constaté par eux-mêmes qu’il était dans leur intérêt de protéger la forêt. Mais pour ça, il leur fallait abandonner la culture sur brûlis, et donc trouver des alternatives pour survivre. C’est là que notre ONG intervient. Au dessus de 1 000 mètres, nous incitons les populations locales à développer la culture du café arabica. Nous prenons ensuite en charge la torréfaction, le conditionnement et le marketing, pour donner une valeur ajoutée au produit. L’ensemble des bénéfices est reversé aux populations, ce qui leur permet d’en vivre. En dessous de 1 000 mètres d’altitude, on privilégie plutôt la culture d’abaca (un cousin du bananier qui sert à fabriquer des produits de vannerie, ndlr) et de bambou. Pour chacune de ces cultures, on incite à planter de la calliandra, une plante qui empêche le développement de l’impetra, et qui ainsi limite le risque d’incendie.
Dans le cadre de ce projet, quel est votre plus grand succès ?
Notre grande fierté, c’est d’avoir mis un terme aux querelles qui déchiraient les sept tribus de l’île. Les batailles de territoires qui faisaient rage depuis des décennies empêchaient toute action coordonnée en faveur de la forêt. En 2012, les chefs de ces tribus, qui réunissent tout de même 300 000 personnes, ont promis de faire alliance pour protéger la forêt. Ils ont signé ce pacte avec leur sang. C’était un moment très fort : la démonstration que chacun avait pris conscience de l’urgence du combat. Un arbre ne pousse pas en un jour, si nous voulons que notre action porte ses fruits, il nous faut agir maintenant.
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