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« On va pouvoir savoir combien Areva a versé au Niger pour exploiter une mine »
vendredi, 6 février 2015
/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». |
Adieu, les accords plus ou moins clairs négociés en catimini. Les géants français qui creusent ou pompent pour trouver de l’uranium, du pétrole ou du gaz doivent désormais afficher ce qu’ils donnent aux autorités des pays « ponctionnés ».
Fini, les deals avantageux passés en douce. Depuis le 1er janvier, les grandes entreprises françaises d’extraction sont contraintes de rendre publics tous les paiements faits aux autorités du pays dans lequel elle puise les ressources qu’elles exploitent. Martin Willaume, chargé de plaidoyer sur les industries extractives à Oxfam France et coordinateur en France de la plateforme « Publiez ce que vous payez », décrypte cette nouvelle loi.
Terra eco : Cette loi française n’est pas tout à fait tombée du ciel…
Martin Willaume : Non. Elle s’inscrit dans un mouvement global en faveur de la publication des paiements des entreprises extractives. On a eu une première loi votée aux Etats-Unis en 2010, la loi Dodd-Franck qui instituait cette même obligation, mais dont la mise en application a été bloquée : face à une plainte du lobby pétrolier, la Securities Exchange Commission (l’organisme fédéral de contrôle des marchés financiers, ndlr) n’a pas pris les décrets suffisants pour l’appliquer. L’Union européenne a pris la suite en allant plus loin : elle a adopté en juin 2013 deux directives – « comptable » et « transparence » – qui sont aujourd’hui en cours de transposition par les pays membres. Ceux-ci ont jusqu’à juillet 2015 pour le faire. Les directives européennes sont assez précises : elles fixent un seuil à 100 000 euros à partir duquel les entreprises doivent publier les paiements qu’elles font à toute autorité étrangère, qu’elle soit nationale, régionale ou locale. Elles doivent aussi détailler les paiements projet par projet, c’est-à-dire mine par mine ou forage par forage. Cela permettra d’éviter de se retrouver avec une somme totale qui réunirait, par exemple, plusieurs mines ou toute une région, et qui rendrait ces rapport peu intéressants.
Pouvez-vous donner un exemple d’application de cette loi ?
Prenons Areva au Niger. Pour avoir l’autorisation d’exploiter, Areva paie plusieurs droits : des impôts, une redevance minière… Dans son rapport sur la transparence, on va pouvoir désormais savoir combien elle a versé telle année aux autorités nigériennes pour l’exploitation de la mine A. C’est une transparence imposée en amont aux entreprises, mais qui vise aussi à voir clairement comment ces ressources financières sont dépensées par les Etats qui les perçoivent.
On peut néanmoins imaginer que la traçabilité s’arrête aux portes du ministère qui perçoit les taxes. N’est-il pas compliqué de voir, dans le budget d’un gouvernement, quelle somme a été dépensée pour quel aménagement bénéfique pour le pays ?
Oui, c’est exact. Ce que nous demandons avant tout aux entreprises françaises et à celles qui sont cotées en bourse à Paris, c’est d’être exemplaires et transparentes. La transparence sur l’utilisation qui est faite de ces fonds, ça dépend d’un autre processus. Pour ça, les organisations de la société civile locale doivent analyser les budgets et réclamer des comptes à leur propre gouvernement. Certaines le font déjà, notamment dans les pays où la loi précise clairement l’utilisation qui doit être faite de ces fonds étrangers. Au Niger, qui est assez progressiste sur cette question, la constitution précise que les revenus miniers doivent participer au financement de l’éducation, de la santé, des services essentiels. C’est vraiment à la société civile locale de s’emparer de ces données. Ce qui est sûr, c’est que si les citoyens savent que leur pays a reçu tant de millions d’euros une année donnée, une absence totale d’amélioration ou la non-affectation de ces fonds au développement du pays sera plus difficile à cacher.
Les acteurs de la société civile locale ont-ils les moyens de décrypter ces données ?
C’est tout l’enjeu. Un enjeu de formation pour utiliser ces données de manière intelligente et repérer les écarts possibles. C’est l’un des rôles de « Publiez ce que vous payez », cette plateforme d’organisations de la société civile dont je suis le coordinateur en France. Malgré son nom assez réducteur, cette plateforme ne s’intéresse pas seulement à la publication, mais à l’utilisation qui est faite de ces fonds. Elle réclame une transparence sur toute la chaîne de production.
Vous parliez d’un mouvement plus général pour la lutte contre la transparence. Pouvez-vous citer d’autres exemples ?
Au-delà des directives européennes, de la loi américaine avortée, on peut citer l’ITIE, l’initiative pour la transparence des industries extractives. Celle-ci est née en 2002, à l’époque où les scandales s’accumulaient sur la malédiction des ressources, notamment en Afrique. Dans des pays au sous-sol gorgé de ressources, on savait que les bénéfices auraient dû être colossaux, sans qu’on puisse voir apparaître les fruits de toute cette exploitation. C’est le cas au Gabon, par exemple, un pays richissime qui pourrait subvenir à ses besoins rien qu’avec le bois ou le pétrole… et où la population vit dans une grande pauvreté. L’ITIE réunit aujourd’hui une petite cinquantaine de pays. Et si les directives européennes regardent les versements des entreprises d’un pays donné, elle, elle s’intéresse au pays où sont localisées les ressources. Elle organise un dialogue tripartite entre la société civile, le secteur privé et le gouvernement, qui vise à comparer les sommes perçues par l’Etat et les sommes versées par les entreprises pour repérer les écarts potentiels. En adhérant à l’initiative, les gouvernements peuvent afficher cette norme et gager de leur bonne conduite. Même si la qualité du travail dépend vraiment du pays dans lequel il est fait. Ce qui est intéressant par ailleurs, c’est que si c’est une norme a priori réservée aux pays riches en ressources naturelles où il y a des problèmes importants de gestion, la France, comme l’Angleterre se sont engagés au sein du G8 à la mettre en place.
Quel est l’intérêt pour la France ?
Ça peut avoir une importance pour les DOM-TOM, notamment la Guyane où l’on exploite l’or ou le potentiel pétrolier offshore. Cela permettra de voir comment ce secteur fonctionne aujourd’hui, quelles sommes les entreprises versent à la France et quels paiements sont perçus par l’Etat. Mais soyons clair, l’intérêt est surtout d’encourager le mouvement international en appliquant la norme de la façon la plus ambitieuse possible. Nous aimerions, par exemple, qu’un registre soit créé pour montrer qui se cachent derrière les contrats et que les contrats soient publiés en tant que tels. On nous rétorque souvent que trop de transparence risque de miner nos entreprises dans un contexte de crise. En France, c’est un argument qu’on a pu entendre notamment de la bouche de certains parlementaires au moment de la transposition des directives européennes. Ils disaient que des entreprises risquaient de perdre leur avantage compétitif si toutes leurs pratiques commerciales étaient connues de tous et leur contrat diffusé. Or, cette atteinte à la compétitivité ne s’est pas vérifiée pour les quelques entreprises qui le pratiquent déjà. C’est le cas de Statoil, par exemple, une compagnie pétrolière norvégienne.
Un effort de transparence, c’est bien. Mais est-ce que l’application des directives européennes ou l’ITIE peuvent balayer le problème des commissions occultes ?
C’est évidemment l’ambition de départ, même si ces lois regardent uniquement les flux licites, déclarés par chaque entreprise. Reste que, si on a une vision globale de tous les paiements réalisés par l’entreprise et qu’on peut les comparer à son budget global, il sera plus dur pour elle de cacher des choses. Après, il y aura toujours des pratiques des entreprises pour détourner ces normes-là : je pense notamment au transit de fonds par des paradis fiscaux. Pendant le processus de transposition, certains parlementaires – que l’on soutenait – réclamaient d’ailleurs l’extension de cette obligation de reporting à tous les territoires d’activité de l’entreprise, pas seulement aux territoires où elle explore ou exploite des ressources. Le parlement n’a pas suivi, et c’est malheureux, parce que ça nous aurait permis vraiment d’avoir la photo globale de tous ces flux entre le siège d’une entreprise et ses implantations.
Que risquera demain une compagnie extractive française qui refuserait de se plier à la loi ?
C’est clairement un point sur lequel la France n’a pas été très ambitieuse, puisque, s’il est prévu une sanction financière, celle-ci se chiffre à 3 750 euros par entreprise. Evidemment, ce n’est pas du tout dissuasif pour une compagnie pétrolière. En Angleterre, ce montant est plus élevé et surtout, il peut s’élever pour atteindre un pourcentage de la capitalisation de l’entreprise. Le non respect de la loi peut aussi entraîner des poursuites pénales pour les dirigeants de l’entreprise.
Vous croyez malgré tout que les entreprises françaises obéiront ?
Il y a quand même un risque réputationnel pour les entreprises qui ne feraient pas les bonnes publications. Mais c’est clair que c’est une immense déception d’avoir ce niveau de sanction très bas, sur lequel je pense que peu de pays s’aligneront. C’est d’ailleurs contraire au principe de la directive, qui précise que les sanctions doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives ».
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