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Pérou : quand le climat affame les Andins
jeudi, 11 décembre 2014
/ Alice Bomboy / Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique. |
Très dépendants de l’élevage et de la culture de la papa, de l’oca et de la mashua, les habitants des montagnes du pays subissent de plein fouet le dérèglement climatique.
Dans la région de Huancavelica, à plus de 450 km de Lima, la laguna de Chuqlluqucha est protégée de tous : ce lac, dont le nom signifie en langue quechua « le lagon de l’épi de maïs », arrose les terres agricoles de la plus pauvre région du Pérou. Ici, dans la partie ouest des Andes, on cultive de nombreuses espèces de papas nativas, les pommes de terre endémiques de la zone, mais aussi du choclo, le maïs à gros grain local, des céréales… Les neiges accrochées sur les sommets culminant à quelque 5 000 mètres d’altitude remplissent les lacs qui servent de réservoirs d’eau à la région tout entière, et même au-delà. « Depuis le début des années 2000, le niveau de la laguna Chuqlluqucha et celui des plus petits lagons Urququcha et Q’araqucha ne font que baisser. Il n’y a plus assez de neige pour les remplir suffisamment », raconte Aurea Ccora, présidente de l’Organisation des femmes de Huancavelica. Lors de la marche des peuples pour le climat, organisée ce mercredi 10 décembre dans les rues de Lima en parallèle de la COP20, elle est venue manifester son mécontentement. « L’agriculture traditionnelle souffre beaucoup du changement climatique. Tout est déréglé. Nous avons désormais des pluies à des époques où elles ne tombaient pas avant. La glace survient bien plus en avance qu’auparavant : nos papas n’y résistent pas, nous perdons régulièrement toutes nos cultures. La oca et la mashua (deux tubercules de la région andine, ndlr) ne produisent plus autant. Nos semences traditionnelles ne sont plus adaptées aux nouvelles conditions. La conséquences, c’est que nos enfants ont faim, qu’ils souffrent de dénutrition ! », confie-t-elle.
Huancavelica est l’une des régions du Pérou les plus vulnérables au changement climatique. Avec l’augmentation des températures, les neiges fondent plus vite, faisant déborder les rivières. Pendant la saison des pluies, de septembre à janvier, les glissements de terrain massacrent les cultures. Et pendant la saison sèche, entre février et août, les terres autour de la laguna de Chuqlluqucha et de ses petites sœurs se transforment en un interminable tapis sec, où rien ne pousse. A cette période de l’année, les épisodes de friaje, un phénomène climatique andin caractérisé par une chute forte et brutale de la température accompagnée de vents forts, sont de plus en plus fréquents. En septembre 2013, plus de 600 alpagas ont été tués quand une chape de froid s’est subitement abattue sur la région. Plusieurs milliers de familles d’éleveurs ont alors été affectées.
Les hommes quittent les montagnes
Depuis que la machine climatique s’emballe, le Pérou dans son ensemble est durement touché. D’après le ministère de l’Environnement du pays, les glaciers péruviens, qui représentent 71% des glaciers tropicaux du monde, ont perdu 22% de leur couverture en trente-cinq ans. La fréquence des « méga-El Niño » semble aussi s’accentuer : ce courant saisonnier chaud côtier, qui s’étend du Pérou à l’Equateur et jusque dans la partie est du Pacifique Sud, a déjà frappé durement le pays par deux fois, en 1982-1983 et en 1997-1998. Selon la Banque mondiale, lors de ce premier méga-épisode, la moitié des pertes mondiales a eu lieu au Pérou. 55% de celles-ci ont touché les infrastructures de transport, 15% l’agriculture, 14% l’énergie et 9% l’éducation. Le PIB, lui, s’est alors effondré de 6%. La situation ne devrait pas s’améliorer : les experts prévoient que le Pérou, dans quarante ans, ne possèdera que 60% des ressources en eau qu’il détient aujourd’hui.
Les conséquences du changement climatique sur les terres andines ne sont pas qu’agricoles : elles sont aussi sociales. « C’est devenu trop compliqué de dépendre de l’agriculture pour faire vivre une famille, et notamment pour donner suffisamment à manger aux enfants. Beaucoup d’hommes partent dans d’autres régions, où il y a plus de travail, comme sur la côte ou en forêt. Dans de nombreux villages, il n’y a plus que des femmes. Tous les hommes sont partis », explique Gladys Vila Pihue, présidente de l’Association nationale des femmes indigènes des Andes et de l’Amazonie (ONAMIAP), qui habite, elle aussi, la région de Huancavelica. « Nous sommes surchargées. Nous faisons désormais des tâches que les hommes partageaient avant avec nous. Le ménage, l’éducation, l’entretien de la maison, l’agriculture… Ce n’est pas comme ça que nos familles fonctionnaient auparavant », poursuit-elle. Sur les hautes terres andines, on s’inquiète aussi de voir fuir les jeunes, rebutés par les trop faibles revenus de la région et les conditions difficiles de vie. Eux partent vers les grandes villes, où ils espèrent trouver un travail et gagner plus d’argent. « On les retrouve entassés dans les périphéries de ville, là où la pauvreté sévit encore plus que dans nos montagnes. C’est une vraie préoccupation pour nous », s’inquiète la leader d’ONAMIAP.
La fausse piste des OGM
Au delà de Huancavelica, la débâcle climatique a déjà gagné d’autres terres andines. C’est le cas à Cuzco, plus au sud. « Depuis cinq ans, nous avons beaucoup moins de pluie », déplore Sabino Valdez Salcedo, ingénieur agronome et membre de la Fédération agraire révolutionnaire Túpac Amaru de Cuzco. Pour répondre à la baisse de production des cultures de papas et de maïs, un des précédents gouvernements n’avait rien trouvé de mieux que de faire, en 2011, la promotion des OGM. « On nous disait que ces semences modifiées étaient bien plus adaptées que les nôtres aux nouvelles conditions climatiques. Mais nous n’en voulions pas. Nous voulons continuer à utiliser nos semences natives, qui sont bien meilleures car elles sont naturelles. On ne va quand même pas payer tous les ans pour acheter des semences qui ne se reproduisent pas ! », s’emporte l’ingénieur. Face à la fronde menée par ses propres collègues du ministère de l’Environnement, des associations de paysans et de scientifiques, et notamment après la révélation des liens qu’il entretenait avec des entreprises commercialisant des OGM, le ministre de l’Agriculture, Rafael Quevedo, avait démissionné. La ville de Cuzco est désormais déclarée « zone sans OGM ».
En attendant, dans les Andes, on attend toujours que des décisions concrètes soient prises pour que les populations locales aient les moyens de s’adapter au changement climatique. « Il faut que des décisions soient prises au niveau mondial, mais aussi qu’on nous aide, sur nos terres, à nous adapter. Nous sommes ceux qui contribuons le moins au changement climatique et ceux qui en souffrons le plus ! », rappelle Gladys Vila Pihue. Parmi les 15 000 personnes rassemblées lors de la marche des peuples pour le climat, la plus importante jamais organisée en Amérique du Sud, le message était unanime : « Le changement climatique entraîne la famine ! », comme le brandissait sur un panneau, à bout de bras, Aurea Ccora.