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Protocole de Montréal : pourquoi tout le monde s’en fiche
vendredi, 21 novembre 2014
/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». |
Avez-vous entendu parler du sommet qui s’est tenu cette semaine à Paris ? Non ? Et pourtant, l’enjeu des négociations est de taille. Histoire d’une ingratitude.
A Paris, cette semaine, on discutait de l’avenir du protocole de Montréal (voir notre article). Signé en 1987, ce traité visait initialement à éviter que la couche d’ozone ne ressemble, un jour, à un vilain gruyère. Dans la capitale donc, comme dans les grands sommets climatiques de Bali ou de Copenhague, des délégations de pays ont discuté des heures durant de questions techniques, le visage grave derrière leur pupitre. Plusieurs différences de taille néanmoins avec ces célèbres COP (Conférence des parties) : pas de chefs d’Etat (ou si peu), une poignée d’ONG – et pas des plus connues : pas de Greenpeace ou d’Amis de la Terre – et une (encore plus petite) pincée de médias. Tant qu’après avoir erré dans les couloirs et interrogé une réceptionniste ébahie, on dut se rendre à l’évidence : dans les coulisses de la MOP (« Réunion des parties » : c’est ainsi qu’on appelle ces sommets où l’on disserte de l’avenir du Protocole), il n’y avait pas de salle de presse. Une triste nouvelle compensée par une joyeuse découverte : il n’y avait pas non plus de queue à la cafétéria.
Mais pourquoi l’avenir du protocole de Montréal, qui se joue au rythme de deux réunions par an, n’intéresse-t-il donc personne ? Pourtant, à en croire les ONG, l’enjeu est crucial. Et elles ne sont pas les seules à le penser. Depuis son entrée en vigueur, le protocole de Montréal a évité chaque année le rejet de 10 gigatonnes d’équivalent CO2 dans l’atmosphère. Cinq fois plus que ce que son lointain cousin, le protocole de Kyoto, est parvenu à réaliser annuellement entre 2008 et 2012, première période de son application [1]
Une belle famille
Si l’avenir du Protocole n’intéresse personne, c’est peut-être parce que les choses, longtemps, ont semblé rouler toutes seules :« Depuis vingt-sept ans, on a trouvé des manières assez gracieuses de faire fonctionner le traité », souligne Durwood Zaelke, fondateur et président de l’Institut pour la gouvernance et le développement durable (IGSD). Peut-être à cause du nombre restreint de présents dans les négociations et d’absence notable d’huiles rameutées expressément pour l’occasion. « C’est plus facile à gérer, même s’il y a des désaccords », poursuit l’Américain. Des délégués moins nombreux que les équipes mobilisées pour les COP et qui se « connaissent bien. Certains font ça depuis dix, quinze ans. Ils voyagent partout dans le monde et se retrouvent, précise Brent Hoare, chargé de mission auprès de l’Association australienne de réfrigération (ARA), qui aide les entreprises à trouver des solutions moins polluantes. Il y a cette belle idée d’une famille autour du protocole de Montréal, dans laquelle les gens s’assoient autour de la table et règlent les problèmes de manière très collégiale. » Dans les allées du siège de l’Unesco, ce jeudi, peu de zones interdites aux journalistes [2] ou aux ONG, pas de manifestations non plus aux portes du bâtiment, ni de contre-forum, traditionnels dans les COP.
Mais si ce traité s’est révélé plus efficace que Kyoto, c’est aussi parce qu’il était, jusqu’ici, plus facile à négocier : « Il existe des substituts à ces gaz (notamment aux CFC et HCFC présents dans les systèmes de réfrigération, d’air conditionné… et visés initialement par le traité de Montréal, ndlr). Ce protocole est un mécanisme d’atténuation des émissions indolore. On a supprimé 100 produits chimiques et personne ne l’a remarqué. Dans les frigos, les systèmes d’air conditionné ont été remplacés par d’autres gaz, d’ailleurs souvent plus efficaces », précise encore Durwood Zaelke.
Un grain de sable dans les rouages
Si efficace que le monde a longtemps cru que la question était bel et bien réglée. Après l’adoption du Protocole, les « gens avaient des autocollants sur leurs frigos qui disaient “sans CFC” avec de jolies images de fleurs et de montagnes. Les gens se sont mis à penser : “Ce problème-là est résolu” », suppose Brent Hoare. Mais depuis quelques années, de nouveaux gaz se sont invités à la table des négociations : les HFC (pour hydrofluorocarbures). Substituts aux CFC et aux HCFC, ils ont pour vilaine caractéristique de booster dangereusement l’effet de serre : leur pouvoir réchauffant est de cent à plusieurs milliers de fois supérieur à celui du CO2. De nombreux pays souhaitent donc que le protocole de Montréal se saisisse du problème et les limitent à leur tour. Un grain de sable dans le rouage bien huilé des négociations. « Depuis quelques temps, il y a des interventions très obstructives et sans fondement de certains délégués. Des interventions qui semblent menacer notre culture de bonne entente. Le protocole est un peu paralysé en ce moment. Nous avons besoin de revenir à nos racines et d’écouter la science », décrypte encore Brent Hoare.
Si le processus s’est enrayé, c’est peut-être qu’il est parasité par les négociations climatiques. Car on suspecte les délégués de se servir des pions de l’un pour jouer à la table de l’autre : « Certains pays pensent que, s’ils cèdent sur la question des HFC maintenant, ils risquent de devenir otages de ces discussions et ne pourrons plus négocier correctement lors des COP », précise Durwood Zaelke. Bonne stratégie ou pas, une chose est sûre, les deux ou trois MOP [3] qui se tiendront d’ici au sommet de Paris, en décembre 2015 pourraient influencer son issue. « Beaucoup de gens pensent que si une décision était prise à la réunion de Montréal qui se tiendra juste avant la COP de Paris, ça pourrait redonner confiance dans les négociations climatiques », abonde Brent Hoare. Le protocole de Montréal, antichambre des négociations climatiques ? Une ultime raison, s’il en était besoin, de ne pas s’en moquer.