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Dans le métro, les antipubs se tapent l’affiche
jeudi, 20 novembre 2014
/ Amélie Mougey
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Il y a quelques jours, toute la mouvance publiphobe s’est retrouvée à Paris pour son premier festival. Au programme : barbouillages, collages et recrutement. « Terra eco » a suivi ses militants en opération commando.
Il était moins une avant que l’encrier ne bave sur les croissants. Ce dimanche matin, la vingtaine de militants antipub réunis au Jardin d’Alice, un collectif d’artistes niché dans le XIIe arrondissement de Paris, rencontre un petit souci technique. Armés d’un tampon méthodiquement imbibé, Sylvain Callu et Elise Ayrault impriment sur un énième morceau de papier leur slogan fétiche « La pub fait dé-penser ». Leurs voisins, chargés de stopper l’hémorragie de l’encrier, se marrent en regardant leurs doigts maculés d’encre noire. Dans ce bastion anticonsumériste, l’ambiance est rarement à l’austérité. Au quatrième et dernier jour d’un événement qui fait salle comble, le sentiment serait déplacé.
De mémoire de militant antipub, le festival « Démarquons-nous » qui, du 13 au 16 novembre, a vu s’enchaîner conférences, pièces de théâtre et actions de rue, est inédit. « Pour la première fois, un événement réunit tous les collectifs et associations antipub déclarés », se félicite Khaled Gaiji, porte-parole de l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP), créée en 1992 et qui chapeaute l’ensemble du mouvement.
Sympathisants des Casseurs de pub lyonnais ou membres de l’association Paysages de France, étudiants décroissants ou retraités ulcérés par les bordures de routes défigurées, tous ont répondu présents. « Le mouvement n’a jamais été aussi structuré », poursuit le jeune homme. Signe de sa bonne santé, dans le sillage des groupes historiques de Lyon, Lille ou Paris, de nouvelles antennes émergent à Toulouse et à Bordeaux. « Le moteur, c’est l’entente entre les gens, mais aussi notre degré d’exaspération, analyse Elise Ayrault, également très active au sein de RAP. Après l’apparition, en 2008, des écrans digitaux dans le métro, la publicité poursuit son expansion », soutient-elle, avant de citer pêle-mêle la montée en puissance du démarchage téléphonique, les inscriptions au pochoir sur les pavés, l’apparition de supports éducatifs sponsorisés dans les écoles et la multiplication, depuis 2007, d’affiches géantes sur les façades de monuments historiques.
Pourtant, entre 2012 et 2013, la budget de la publicité extérieure a chuté de 2%, « mais cela ne veut pas dire qu’il y a moins d’affiches, simplement qu’elles sont moins rentables, car les annonceurs se réorientent vers d’autres supports, comme Internet », analyse Thomas Bourgenot, l’unique salarié permanent de RAP. « C’est simple, la pub grappille de nouveaux espaces, sans jamais en délaisser », résume Raphaël, membre du collectif des Déboulonneurs qui peinturlure les panneaux publicitaires extérieurs.
« Technique du lapin fou »
Ce dimanche, l’exaspération s’exprimera dans le métro, à coup de petits papiers collants de couleur. Une fois ces munitions aux couleurs flashy enfouies dans leurs sacs à dos, les militants se rassemblent en cercle dans la cour. Sylvain Callu, membre fondateur du jeune collectif des Reposeurs, créé en 2012, invite l’auditoire à adopter la « technique du lapin fou » : « Changez souvent de ligne et descendez toutes les deux ou trois stations, qu’on ne puisse vous suivre via les vidéos de surveillance », détaille-t-il. A proprement parler, l’acte de coller un papier sur une affiche n’est pas répréhensible, mais le collectif préfère éviter d’avoir à argumenter auprès d’un contrôleur mal luné. « D’autant que nous n’avons plus de mécènes pour payer les amendes », précise ce jeune ingénieur en informatique. Comme les papiers de couleur et l’encrier, les militants paient de leur poche les contraventions, même injustifiées. Emmitouflés dans leurs manteaux d’hivers, Léo et Romain, deux copains toulousains, respectivement ingénieur stagiaire et étudiant en histoire, écoutent religieusement. Il font partie des cinq nouvelles recrues de la journée. Pour les organisateurs, c’est bien… mais ce n’est pas un raz-de-marée.
« Quel que soit le mouvement, le nombre de sympathisants croît toujours à un rythme plus lent que le nombre de publicités », soupire Sylvain Callu. Ainsi, après un boom de 200 à 450 personnes entre 2012 et 2013, le nombre d’adhérents de RAP est retombé à 300 cette année. Les collectifs rassemblent chacun quelques dizaines de membres actifs.
En France, 33% de publiphobes
Leur ras-le-bol est pourtant largement partagé hors de l’enceinte du Jardin d’Alice. Depuis une dizaine d’années, le part de la population française hostile à la publicité est en croissance constante. Selon la dernière étude TNS Sofres, entre 2004 et 2013, le nombre de personnes se déclarant « publiphobes » a grimpé de 25% à 33%. « La situation est paradoxale, commente Khaled Gaiji. Un tiers de Français partagent nos idées, pourtant, lorsqu’on est reçu au ministère [de l’Ecologie], on nous fait comprendre qu’on ne pèse pas assez pour être écoutés. » Pour prouver le contraire, les antipubs proposent au citoyen exaspéré tout un panel d’actions, allant du lobbying à la désobéissance civile.
L’assemblée qui fait la ronde ce jour-là témoigne de cette diversité. Reprenons. Raphaël, trentenaire élancé est un « déboulonneur ». Sur son temps libre, ce musicien se munit de pots de peinture et recouvre illégalement les panneaux extérieurs. Il revendique ses actes et utilise les procès comme tribunes, quitte à s’acquitter d’amendes pouvant atteindre 200 euros. En face de lui, Sylvain Callu, ingénieur en informatique, est un « reposeur ». Il agit sans braver la loi en recouvrant les affiches du métro de papiers et d’affiches destinés à interpeller les passants. Son voisin, Victor Vauquois est un « veilleur de nuit ». Armé d’une perche ou d’un parapluie, il éteint les enseignes lumineuses dès 22 heures passées. Aujourd’hui, tous participent à l’action des Reposeurs. Equipés de supports éphémères, ils se dispersent par groupes de quatre pour descendre dans le métro.
« Les modes d’actions varient, mais dans le fond les revendications sont les mêmes », précise Elise Ayrault, touche-à-tout de RAP. Interdiction des installations énergivores, respect du principe de liberté de réception en interdisant les affiches dont les dimensions dépassent 50x70 cm, limitation de la densité de l’affichage, application de la loi sur l’extinction de l’éclairage de nuit et l’affichage illégal… Autant de requêtes qui ne trouvent pas d’écho ou presque dans la sphère politique. « En 2012, NKM (Nathalie-Kosciusco-Morizet, alors ministre de l’Ecologie) parlait de remettre la publicité à sa place. Aujourd’hui, à part au Parti de gauche ou chez les Verts, ce genre de prise de position a disparu », déplore Khaled Gaiji. Sur ce long week-end, lui et ses compagnons de lutte partagent le même objectif : ramener la publicité dans le débat public.
Le panneau lumineux de la ligne 11 du métro annonce trois minutes d’attente. Un coup d’œil sur le quai d’en face : le petit chiffre jaune vient de passer à 4. La voie est libre. Pendant que Ruwanara, « reposeur » expérimenté fait le guet, Léo et Romain, les deux étudiants toulousains, sortent un paquet de papiers collants et une pile d’affiches de leurs sacs à dos. Dans un drôle de silence et sous le regard interloqué des passants, ils tapissent les 4x3 qui font l’éloge de vols low cost, de collections automne-hiver et de prêts à la consommation. « Le problème, ce n’est pas seulement la place que la pub prend, commente Léo en roulant ses affiches à l’approche du métro, c’est aussi ce qu’elle dit des buts que les gens ont dans la vie. »
« La publicité a un côté triomphal : c’est comme si les multinationales plantaient des drapeaux sur une terre conquise », renchérit son camarade Romain, cheveux longs sous un couvre-chef en feutre, en plaquant le message « Le rêve ne s’achète pas » sur une affiche. L’an dernier, au plus fort du mouvement, cinquante « reposeurs » ont ainsi habillé en quelques heures un tiers des stations du métro parisien. Dans le petit bataillon du jour, chacun y va de son argument : « On dit que la publicité crée de l’emploi, c’est faux, affirme Christine Traxeler, Trax de son nom d’artiste. Seules les grosses entreprises ont le budget pour faire de la publicité et en le faisant, elles écrasent les petites. » Quant à la manne financière que représente la publicité, « on pourrait s’en passer, ce n’est que 2% du budget de la RATP ».
Colleuse agile en bottes noires en caoutchouc, cette dessinatrice de 61 ans n’en est pas à sa première opération commando. La veille, devant les caméras du Parisien et à deux pas d’escadrons de policiers prévenus de l’action via leur site, elle inscrivait « La pub tue » sur le panneau déroulant d’un kiosque : « Ce slogan, c’est mon préféré, car il rappelle que la plupart des produits qu’on veut nous faire acheter, ne respectent ni l’être humain ni l’environnement ». Quid alors du gaspillage lié au déluge de papiers de couleur sacrifiés à chaque opération ? « Une broutille comparé aux ressources consommées pour produire tout le superflu que vantent ces publicités », poursuit cette infatigable révoltée. Comme les ressorts de son raisonnement ne sautent pas aux yeux de tous les passants, la militante, sourire inébranlable aux lèvres, use de sa salive pour convaincre. Hasard métropolitain, le passant qui vient de croiser son regard travaille dans la publicité. « Dans le fond, on est d’accord : il y a trop de publicité, les gens ne finissent par plus la voir », sourit-il.
L’argument de la pub qui s’auto-asphixie ne convainc pourtant pas les membres de RAP. « Que l’on s’en rende compte ou non, le cerveau enregistre les messages qui lui sont assénés, et ce sans rien avoir demandé », affirme Elise Ayrault. Pour son association, toute pub est synonyme d’agression. « Il n’y a qu’à prêter attention au vocabulaire des publicitaires : ils parlent de cibles, de campagnes. C’est un langage militaire », analyse Khaled Gaiji. Face aux JC Decaux, Clear Channel et autres mastodontes de la publicité, le militant avoue se sentir impuissant. « Le nombre d’adhérents n’est pas un objectif en soi, mais si on atteignait le millier, comme Paysages de France, on pourrait, nous aussi, faire reconnaître notre intérêt à agir et saisir les tribunaux. » Sur quels motifs ? « Le non respect de loi ! L’affichage illégal se propage impunément et le texte de 2012 sur l’extinction des enseignes lumineuses la nuit n’est pas respecté. » Pour y remédier, Victor chatouille les boitiers avec une perche ou un parapluie : « En attendant d’être entendus par les politiques et de gagner devant les tribunaux, on peut déjà faire bouger les gens, veut croire ce jeune écolo, à la fois membre des Reposeurs et des Veilleurs de nuits. Eteindre un boitier ou coller des post-it, c’est un jeu d’enfant, avec un risque proche de zéro, tout le monde peut pimenter ses trajets en métro. »
A lire aussi : « Mes oreilles, mon nez, mon temps : les nouvelles cibles de la pub »
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