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Lip, Plogoff, Malpasset : les bulles font mousser la lutte
jeudi, 24 avril 2014
/ Simon Barthélémy
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Extrait de « Lip, des héros ordinaires », de Laurent Galandon et Damien Vidal (Dargaud, 2014)
1974 : une lutte s’achève avec le retour au travail des ouvriers de Besançon (Doubs), une autre s’éveille à la pointe du Raz, dans le Finistère, où l’Etat veut construire une centrale nucléaire. Lip et Plogoff sont depuis devenus des symboles de résistance citoyenne victorieuse, contre le démantèlement d’une entreprise (rentable) de 1 300 salariés par son actionnaire et contre un projet sur un site remarquable, lancé sans consultation des habitants. Leurs noms résonnent avec les conflits actuels : Notre-Dame-des-Landes ou les Fralib, à Marseille. Pas étonnant donc qu’ils deviennent des sujets de bande dessinée, genre de plus en plus attaché à l’histoire et à l’actualité.
Lip, des héros ordinaires est, à ce titre, une vraie réussite. Laurent Galandon et Damien Vidal restituent avec une précision d’horloger le déroulé des événements. En 1973, les ouvriers (majoritairement des ouvrières) imaginent d’autres moyens pour sauver leurs emplois, et passent de la réduction des cadences à l’occupation de l’usine, puis à l’autogestion. Derrière le slogan « On fabrique, on vend, on se paye », le mouvement suscite une ferveur qui gagne toute la France, Lip devient une affaire d’Etat. Les auteurs convoquent des figures du mouvement et ravivent les débats au sein de l’usine, vécus au travers de personnages fictifs, dont Solange. Plus cette jeune ouvrière s’implique dans le conflit, plus elle s’affranchit de son réac de mari et se réalise, reflétant en cela l’évolution de la condition féminine.
Les femmes aux premières loges Dans Plogoff, les femmes sont aussi aux premières loges. Delphine Le Lay et Alexis Horellou suivent en effet souvent des épouses de marins. Ces Breton(ne)s déterminé(e)s rejettent la volonté de l’Etat d’implanter chez eux – ou ailleurs – une centrale nucléaire, « cochonnerie pour nous, pour la mer, pour la terre ». Les héros du récit n’ont pas l’épaisseur romanesque des Lip, et les auteurs les délaissent parfois trop au profit d’une lutte collective, dont l’âpreté singulière est toutefois fidèlement restituée. C’est une vraie guérilla qui, du blocage des routes au boycott de l’enquête publique, en passant par les procès de militants, s’est violemment heurtée au pouvoir et à ses CRS.
Plus paisibles, des méthodes importées d’un autre conflit emblématique des années 1970, le Larzac – manifs spectaculaires, achats collectifs de parcelles, construction d’une bergerie… –, ont aussi contribué à populariser Plogoff. Elles ont conduit en 1981 à l’abandon du projet de centrale (et à celui d’extension du camp militaire du Larzac…), après l’élection de François Mitterrand, qui a su capitaliser sur ces luttes, symptomatiques de la France de l’après mai-68 et du début de la crise.
S’appuyant sur les procès qui ont suivi le drame, les auteurs reviennent sur ses causes. La retenue d’eau de 60 mètres de haut, vouée à alimenter les agriculteurs et développer le tourisme de masse, a été construite avec peu d’argent et sans étude géologique préalable. Mais on savait le barrage fragile, si bien qu’il n’était jamais rempli qu’au tiers de sa capacité… et ne servait à rien. Jusqu’à ce que des pluies diluviennes remplissent trop le réservoir et que la roche cède. Comme ils pourront s’inspirer de Plogoff, les opposants aux « grands projets inutiles » liront avec intérêt ce récit d’une catastrophe causée par un éléphant blanc. —
Lip, des héros ordinaires, de Laurent Galandon et Damien Vidal, (Dargaud), 176 p., 19,99 euros
Plogoff, de Delphine Le Lay et Alexis Horellou, (Delcourt), 192 p., 14,95 euros
Malpasset, de Éric Corbeyran et Horne (Delcourt), 160 p., 18,95 euros