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Après le Giec : kit de survie pour Européens en surchauffe
mardi, 1er avril 2014 / Amélie Mougey

Au lendemain de la publication du deuxième volet du rapport du Groupe intergouvernemental des experts du climat, « Terra eco » passe en revue les solutions que vont devoir mettre en œuvre les pays.

Et maintenant ? Après l’inquiétant diagnostic publié ce lundi par le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), l’heure est à l’action. Si, à la différence de l’île indienne de Ghoramara, l’Europe ne risque pas la submersion, les effets du changement climatique n’épargneront pas le continent. « En France, il s’agit surtout d’apprendre à faire face aux extrêmes », explique Eric Martin, chercheur au sein du Centre national de recherches météorologiques (CNRM) et l’un des auteurs du second volet du rapport consacré, entre autres, à l’adaptation. Inondations, pénuries d’eau et pics de chaleur sont les principaux risques européens soulignés dans le résumé à l’intention des décideurs. Tout en s’attaquant à l’origine du problème – les émissions de gaz à effet de serre – la France doit donc anticiper ses effets. Pour ce faire, « le Giec ne remplace pas l’action politique », met en garde le climatologue Hervé Le Treut, également auteur du rapport. Mais les experts internationaux fournissent déjà quelques pistes.

Contre les pics de chaleur : villes végétales et animaux thermotolérants

« Les épisodes de canicules tels que celui que nous avons connu en 2003 vont se multiplier » , prévient Eric Martin. Pour nous éviter de suffoquer, le rapport préconise d’équiper bureaux, transports et logements. Une aubaine pour le secteur des ventilateurs et climatiseurs. Mais Hervé Le Treut va plus loin. Pour lui il faut désormais penser l’urbanisme en prenant en compte le réchauffement, « cela signifie prévoir des systèmes de ventilation et l’ouverture latérale des immeubles dès la construction ». De fait, la chaleur urbaine inquiète. « Dans les villes, les températures pourraient augmenter de 10 °C », souligne le climatologue. Pour que ces « îlots de chaleur » perdent quelques degrés, Eric Martin préconise la végétalisation des villes.

A la campagne, animaux et éleveurs vont eux aussi souffrir des températures en hausse. « Quand on dépasse les 20°C, les vaches se nourrissent moins et la production de lait diminue », souligne Jean-François Soussana, directeur scientifique Environnement à l’Inra (Institut national pour la recherche agronomique). Pour diminuer la vulnérabilité des éleveurs, le chercheur mise sur les animaux thermotolérants : lors des processus de sélection, on ne croiserait que les races les plus résistantes à la chaleur.

Face à la montée des eaux : se déplacer ou se barricader

Le niveau de la mer a grimpé de 20 centimètres depuis 1890. D’ici à 2100, il devrait encore gagner entre 30 cm et 1 mètre, selon le GIEC. Le littoral est donc l’un des talons d’Achille français. « Il y a des zones basses comme le Morbihan, le pertuis d’Antioche (Charente-Maritime, ndlr), la Gironde ou la Camargue où le relèvement du niveau de la mer va poser problème », rappelle Hervé Le Treut. Les collectivités concernées ont alors deux options : se barricader ou reculer. Cette seconde démarche, envisagée par la commune de Lacanau, en Gironde, permet de « reconstituer les zones tampons entre les hommes et la mer qui existaient avant que l’on colonise le littoral », explique Jean-Pierre Gattuso, de l’Observatoire océanographique de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Pour éviter cette solution radicale, le GIEC mentionne aussi la construction de digues et la végétalisation des dunes.

Contre les inondations : restaurer les zones humides et créer des bassins de stockage

Tandis que la mer grignotera les côtes, certaines rivières sortiront plus souvent de leur lit. Pour limiter les risques d’inondations, le Giec souligne l’importance de restaurer les zones humides. Elles aussi servent de « zones tampon », selon Eric Martin. Le météorologue préconise également d’ouvrir des « zones d’expansion de crues », soit des bassins qui serviraient à stocker temporairement les surplus.

Contre les sécheresses et les pénuries d’eau : repenser les pratiques agricoles

Du fait des bouleversements climatiques, le Giec prévoit une baisse des rendements agricoles médians de 2% par décennie. « Le Sud de l’Europe doit s’attendre à d’importants épisodes de pénurie d’eau », prévient Jean-François Soussana. Si l’on ne reste pas les bras ballants, le Giec estime que ce ralentissement pourra être atténué de 15%. La méthode ? D’abord orienter la sélection de variétés. A l’Inra, 80 équipes de recherche travaillent sur l’adaptation aux bouleversements climatiques. « Le défi c’est de trouver des variétés qui résistent au stress hydrique sans être moins productives les années favorables, poursuit l’agronome, on peut aussi sélectionner des plantes aux cycles courts qui permettent d’esquiver les périodes de sécheresse. » Les calendriers agricoles doivent également être révisés. « En été, au lieu de cultiver du maïs, très gourmand en eau, on pourrait cultiver du Sorgho », avance Jean-François Soussana.

Autre levier d’action : l’irrigation. « La France va devoir adopter des techniques, comme le goutte à goutte, utilisées dans le Sud de l’Espagne ou en Israël », indique le chercheur. « Ces adaptations vont de pair avec une connaissance plus fine de l’état hydrique des sols via le recours aux satellites et aux drones ». Conscient que ces précautions ne suffiront pas, le Giec encourage les assurances à proposer des produits contre les aléas climatiques. « Lors de la sécheresse de 2011, seul un tiers des agriculteurs français étaient assurés, se souvient Jean-François Soussana, la pratique doit se généraliser, sans pour autant nous dispenser de prendre en amont des mesures d’adaptation. »

Contre les épidémies : rester sur le qui-vive

Les bouleversements climatiques peuvent aussi favoriser l’apparition ou la propagation de maladies. Pour s’en protéger, Jean-François Soussana préconise un important travail de veille. Les agences sanitaires devront multiplier les contrôles, notamment dans les élevages, indique l’agronome. Le chercheur est formel : le développement de maladies liées aux bouleversements climatiques n’est déjà plus un fantasme, « il n’y a qu’à voir la prolifération des tiques et de la maladie de Lyme ».

Contre l’acidification des océans : éviter de charger la barque

Face à l’acidification, nous sommes relativement impuissants. « La seule action efficace consiste à réduire la quantité de CO2 dans l’atmosphère par la mitigation, (l’ensemble de mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à accroître l’élimination du carbone, ndlr) », explique Jean-François Gattuso. Pour limiter la perte de biodiversité marine, il ne nous reste qu’à soulager les espèces impactées des autres contrariétés. « En limitant les facteurs de stress régionaux ou locaux comme la pollution aux engrais ou aux eaux usées, on augmente la résilience de la faune et de la flore face à l’acidification », poursuit l’expert.

Inondation, sécheresse, acidification, par quel chantier commencer ? Aucun des auteurs interrogés ne souhaite hiérarchiser. Hervé Le Treut estime que « toutes ces questions doivent être posées dès maintenant pour que les processus de concertation puissent être engagés, et que les citoyens n’en soient pas écartés ». Sans nier l’urgence, Eric Martin relativise : « Face à ces défis, l’Europe est sous doute le mieux armé des continents. »

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