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La fuite en avant des hypers
samedi, 8 mars 2014
/ Thibaut Schepman / Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir. |
Toujours plus étendues et plus nombreuses, les grandes surfaces se développent à un rythme effréné. Au risque de voir les magasin désertés.
« Pas de parking, pas de business », « l’avenir, c’est la voiture »… Les enseignes françaises ont suivi à la lettre les préceptes de Bernardo Trujillo, pape américain de la grande distribution : elles ont construit leurs magasins toujours plus loin des villes. Si bien que les abords de nos cités sont moches et que, forcés (ou presque) de prendre la voiture pour acheter à manger, nous polluons inévitablement.
Pis, ce n’est pas fini : 87 % des 8,6 millions de mètres carrés commerciaux en projet sont situés en périphérie des villes. Et ces millions de mètres carrés en projet ont même de fortes chances de finir vides. En effet, le volume de surfaces commerciales croît de 4 % à 5 % par an depuis le début des années 2000. Bien plus que la consommation des ménages (moins de 1 % depuis 2008).
Logiquement, des magasins finissent par ne servir à rien. Pascal Madry, directeur de l’Institut pour la ville et le commerce, a ainsi identifié une cinquantaine de villes où plus d’un commerce sur dix est vide en 2012 – « un seuil critique » –, contre une vingtaine de communes en 2001. Parmi ces villes, Béziers (Hérault), Vierzon (Cher), Châteauroux (Indre), Cholet (Maine-et-Loire) ou Nevers (Nièvre). Mais pourquoi diable construit-on plus de supers et d’hypers alors que les ventes stagnent ?
Les enseignes sont, en fait, entrées dans un cercle vicieux. « La consommation ralentit, si bien que les marges se réduisent en aval pour la distribution. Elle a donc cherché à augmenter ses marges en amont, en ouvrant plus de magasins pour pouvoir distribuer plus de produits et, ainsi, avoir une force de négociation plus importante face aux producteurs, ou encore pour pouvoir délocaliser plus loin », explique Pascal Madry. Tordu, mais économiquement logique… à court terme.
L’expert craint que d’ici à 2020 un quart des surfaces commerciales soient vides, soit entre 30 et 40 millions de mètres carrés vacants ! Que faire de ces espaces perdus ? « Il est urgent que le politique reprenne en main les règles de l’architecture commerciale », lançait en 2009 Jean- Paul Charié, alors député (UMP) du Loiret, et auteur du rapport Avec le commerce mieux vivre ensemble (2009), destiné au Premier ministre. Pas de chance, l’inverse se produit.
Depuis 2008, les projets commerciaux de moins de 1 000 mètres carrés ne sont plus soumis à autorisation préalable, et l’Assemblée des communautés de France a constaté une « floraison de projets de 999 mètres carrés » ! Quant aux autres, ils ne craignent pas grand-chose. Les commissions départementales d’aménagement commercial, censées étudier les demandes de permis – à l’aune notamment du développement durable –, ont accepté 95 % des projets en 2011. Des magasins peut-être inutiles à moyen terme mais aujourd’hui « durables », donc.