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Viticulture bio : Pourquoi Emmanuel Giboulot a mobilisé les foules
mercredi, 26 février 2014
/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». |
Un viticulteur bio de Bourgogne qui refuse d’appliquer un traitement sur ses vignes contre l’avis du préfet et ce sont des centaines de milliers de gens qui le soutiennent. Une bonne nouvelle pour le secteur ? Pas forcément.
Mis à jour le 4 décembre 2014 Condamné en avril à verser une amende de 1 000 euros dont 500 euros avec sursis, Emmanuel Giboulot a été finalement relaxé par la cour d’appel de Dijon ce jeudi 4 décembre. Le viticulteur bio de Côte-d’Or était poursuivi pour avoir refusé de traiter ses vignes contre une maladie : la flavescence dorée. |
« Une salve d’applaudissements et des hourras », selon l’envoyée spéciale du Monde. « 1 000 à 1 500 personnes un lundi à 12h en pleines vacances scolaires, c’est beau ! », dixit un homme qui s’est déplacé pour l’occasion. Sous le soleil de Dijon (Côte-d’Or), Emmanuel Giboulot est apparu triomphant, les bras levés, devant le tribunal correctionnel. Pendant ce temps, une pétition lancée en ligne le 15 février n’en finissait pas d’engranger des soutiens, approchant les 500 000 signataires. « A Dijon c’est toujours très calme, on a du mal à réunir 50 personnes dans la rue. Et là il y en avait dix fois plus », a précisé Stéphane Dupas, des Amis de la terre Côte-d’Or, mobilisé autour du cas du viticulteur.
Mais comment expliquer un tel soutien ? Tout commence en mai 2013. En ces jours de printemps, les premières larves de cicadelles – un insecte vecteur de la mortelle flavescence dorée – sont identifiées dans des vignobles du Sud Mâconnais et de la côte de Beaune. Le 7 juin, le préfet signe un arrêté et place la Côte-d’Or en état de lutte obligatoire. En clair, tous les pieds de vigne atteints doivent être arrachés et un traitement répandu dans les vignobles. Pour les agriculteurs bios, seul le pyrevert – un extrait de fleurs séchées de chrysanthème – est compatible avec leur label et s’offre donc comme option. Mais voilà, Emmanuel Giboulot refuse de plier l’échine. La menace n’est pas réelle, assure-t-il, puisque la maladie sévit dans le département limitrophe de la Saône-et-Loire et non en Côte-d’Or, où aucun foyer n’a été repéré. D’ailleurs, la loi n’oblige pas la préfecture à tant de prudence. Qu’importe, il est contrôlé le 30 juillet et renvoyé après quelques rebondissements vers le tribunal correctionnel.
A priori, l’agriculture n’est pas vraiment la tasse de thé de cette organisation bruxelloise qui milite pour le recours à des médecines « naturelles et complémentaires » et a lancé tour à tour en 2013 des pétitions sur les conflits d’intérêt entre administration et laboratoires, la reconnaissance de la maladie de Lyme ou contre les adjuvants dangereux dans les vaccins. Le lien est pourtant fort pour son fondateur : « Le vecteur premier de notre santé c’est ce qu’on mange. » Sur la page Facebook, « 35 000 personnes manifestent alors leur soutien. C’est la première vague », souligne Augustin de Livois.
Le foyer est là, manque encore l’étincelle. Le 2 janvier, un éditorial du New York Times reprend l’histoire du petit viticulteur bourguignon. « Ça a fait du bruit localement », souligne Stéphane Dumas. Est-ce la goutte d’eau qui a relancé le moulin ? Le 15 février, Augustin de Livois rencontre Emmanuel Giboulot. Ensemble ils écrivent un texte, réalisent une vidéo avec des bouts de ficelle et lance une pétition. La mayonnaise prend. Et vite. En quelques jours, elle rassemble plus de 470 000 signatures. Bien plus que les 50 ou 100 000 paraphes que les appels de l’Institut réunissent habituellement. « Parce que le bio touche plus de gens. Et puis Emmanuel Giboulot est un excellent communicant », jauge Augustin de Livois. L’homme a su relayer son combat, livrant même au regard des lecteurs sa convocation au tribunal ou sa trombine en portrait. Devant les caméras de France 3 Bourgogne, l’intéressé avoue néanmoins sa surprise : « Je n’imaginais pas qu’il y ait autant de personnes qui se déplace à cette occasion (lors de l’audience au tribunal de Dijon, ndlr). Ce n’est pas moi le symbole. Je pense que le sujet est vraiment un sujet sensible qui est porté par la société civile. » « Vu la mobilisation, je pense qu’il est devenu le symbole des citoyens qui revendiquent le droit à une alimentation de qualité, qui a moins d’impacts sur la santé et l’environnement », estime pour sa part Sandrine Bélier.
Car le sujet est épineux et met mal à l’aise la profession. La flavescence dorée ? « Ça se dissémine rapidement et ça peut être mortel pour les vignes. C’est pour ça qu’il y a une obligation à traiter. En Bourgogne, avec l’impact financier que ça représente pour eux c’est inimaginable de ne pas lutter », souligne Virgile Joly, viticulteur du Languedoc-Roussillon et membre de l’association interprofessionnelle Sud Vin bio. « Quand on fait du bio, on n’est pas forcément satisfaits du traitement avec des insecticides même naturels. Même s’ils sont moins nocifs que les molécules de synthèse, ils ne sont pas innocents. Mais pour l’instant c’est la seule solution que nous avons. Les autres solutions ne sont pas reconnues de manière légale et on ne peut pas dire qu’elles fonctionnent à 100% », précise à son tour Patrice Boudon, président du Syndicat des vignerons bios d’Aquitaine.
L’affaire divise les consciences. « C’est compliqué, dans les rangs de la bio, il y a ceux qui font une application cynique, ceux qui sont contre et ne le disent pas, ceux qui sont contre et le disent, explique Emmanuel Guillot, viticulteur à Mâcon et ami d’Emmanuel Giboulot. C’est un sujet hyper délicat. On est sur quelque chose de grave. Depuis le phylloxéra on n’a jamais connu une crise avec autant de risques. Alors il y a beaucoup d’émotions et on entend tout et son contraire. » Avant de préciser : « Emmanuel Giboulot n’est que le détail malheureux d’une affaire importante. L’image de la Bourgogne souffre en ce moment. » Mais, souligne encore le viticulteur, « on en sortira grandi si les bonnes décisions sont prises ».