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Pour laver sa réputation, le poisson d’élevage va devoir partager ses bassins
mardi, 14 janvier 2014
/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». |
Toxique pour l’environnement et nocive pour la santé selon ses détracteurs, l’aquaculture accumule les scandales depuis six mois. Pourtant, des chercheurs planchent sur de nouveaux modèles qui associent différentes espèces.
L’aquaculture a, depuis quelques mois, mauvaise presse. Dans l’œil du cyclone, notamment, le saumon norvégien. Secoué en juin par une enquête du quotidien norvégien Verdens Gang mettant en garde femmes enceintes et enfants, le salmonidé a dû encaisser, en novembre, une enquête d’Envoyé spécial pointant sa toxicité. Mais alors que ses détracteurs dénoncent un élevage intensif aux conséquences environnementales et sanitaires sévères, d’autres imaginent un avenir bien différent pour la filière.
Au Canada, on bûche ainsi depuis une dizaine d’années sur l’aquaculture intégrée multi-trophique. L’AIMT, késako ? Le système est, en décodé, la traduction d’un vieil adage, souligne Thierry Chopin, professeur de biologie marine à l’université du Nouveau Brunswick (Canada) et responsable du réseau canadien sur l’AIMT : « Ce qui est déchet pour l’un sera de l’or pour l’autre. » En clair, il s’agit d’associer à l’élevage initial d’un poisson (saumon, bar, dorade, etc), la culture d’autres espèces - algues mais aussi moules ou huîtres - qui se nourriront de ses rejets et ce, afin de créer une coexistence vertueuse. « Les matières inorganiques (ammonium, phosphate) compris notamment dans l’excrétion des poissons sont valorisés par des producteurs primaires - des algues - qui s’en servent pour grandir. Les matières organiques - les fèces des poissons - peuvent, pour leur part, être une source de nourriture pour certains organismes hétérotrophes comme par exemple des invertébrés », précise Myriam Callier, chercheuse à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) qui mène, depuis moins longtemps, des expérimentations sur le sujet.
Or l’AIMT semble avoir beaucoup d’avantages. Ecologiques d’abord puisque les sels nutritifs (azote, phosphore) absorbés par les autres espèces ne se retrouvent plus dans la nature. Sanitaires aussi. Parce que « si un animal est dans un milieu marin sain, il est moins stressé et donc moins vulnérable aux maladies », précise Thierry Chopin. Mieux, dans certaines études « on a vu que les bivalves (moules, huîtres, certains coquillages …, ndlr) pouvaient filtrer les larves de poux de mer (le fléau des élevages de saumon, parfois traité par l’insecticide diflubenzuron, ndlr) avant qu’ils ne se fixent sur les saumons. Donc on peut imaginer que mettre des bivalves tout autour des saumons pourrait réduire la présence de poux de mer même si ça ne résoudra pas le problème à 100 % », poursuit le chercheur qui ne veut pas crier à la solution miracle.
Or, si on sait vendre des huîtres et des moules en Europe ou en Amérique du Nord, le marché des algues y est – contrairement au marché asiatique – encore microscopique. « Dans les sociétés occidentales, les gens sont toujours un peu refroidis à l’idée de manger des algues. Mais on peut trouver des débouchés dans l’alimentation des saumons », précise Thierry Chopin qui poursuit : « Les professionnels cherchent à remplacer les petits poissons qui constituent la nourriture des saumons par des plantes comme le soja et le maïs. Mais pourquoi utiliser des plantes terrestres ? Les algues c’est déjà dans la mer, ça n’a pas besoin d’irrigation ni d’engrais et c’est plutôt une bonne source de protéines. » La cosmétique est une autre issue possible. A la ferme marine du Douhet sur l’île d’Oléron (Charente-Maritime), par exemple, on cultive des algues pour épurer les rejets de l’élevage de dorades, des algues qui sont vendues ensuite au secteur de la cosmétique et de la pharmacologie. Restent les agrocarburants. « Pas sûr que ce soit un bon débouché, nuance Thierry Chopin. Si on veut produire ces agrocarburants en grande quantité, il faudra une surface énorme. En Chine, à Taïwan, en Corée ils sont habitués à ces champs d’algues mais pas sûr qu’en France ou au Canada, ce soit très acceptable. »
Mais une fois surmontées ces réticences et les premières années difficiles pour modifier les infrastructures et former la main d’oeuvre : « Je pense que ça pourrait être rentable », souligne Thierry Chopin. D’autant que le modèle actuel risque de l’être de moins en moins. Mieux, pour Myriam Callier « il peut y avoir une meilleure acceptabilité du public vis-à-vis de ce type d’élevage plus respectueux de l’environnement, intéressant du point de vue sanitaire et rentable à condition de trouver un bon modèle économique. Des nouvelles générations d’aquaculteurs vont probablement s’approprier ce principe », prédit la chercheuse.