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Insecticides : certains sont épinglés mais d’autres restent
vendredi, 20 décembre 2013 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Le 17 décembre, les autorités sanitaires européennes pointaient le risque pour l’humain de deux insecticides de la classe des néonicotinoïdes. D’autres font déjà l’objet d’un moratoire. Qu’en est-il de tous les autres ?

Acétamipride et imidaclopride. Deux noms barbares et une inquiétude. Ces deux insecticides de la famille des néonicotinoïdes – qui agissent sur le système nerveux central des insectes – pourraient avoir une « incidence sur le développement du système nerveux humain ». C’est la conclusion de l’Agence européenne de sécurité alimentaire (Efsa) publiée le 17 décembre qui a, dans le même élan, prôné une réduction des seuils actuels recommandés d’exposition à ces insecticides en attendant « des recherches complémentaires ».

C’est sur la foi d’une étude japonaise publiée en 2012 que l’Agence européenne assure constater que « l’acétamipride et l’imidaclopride peuvent affecter de façon défavorable le développement des neurones et des structures cérébrales associées à des fonctions telles que l’apprentissage et la mémoire ».

Un moratoire sur trois d’entre eux

Sur le cas de l’imidaclopride, ce n’est pas la première fois que des inquiétudes se font jour. L’Efsa a d’ailleurs – comme pour deux autres néonicotinoïdes (le thiaméthoxame et la clothianidine) accusés comme lui de tuer les abeilles – appelé, en avril, les Etats membres à restreindre son utilisation pour deux ans. Parmi les produits les plus utilisés de cette famille d’insecticides, il y a encore le dinotéfurane et le nitenpyrame, là complètement interdits en France (voir ici le site du ministère de l’Agriculture). Reste deux dernières substances – le thiaclopride (utilisé par exemple dans les insecticides Proteus ou Calypso de Bayer) et l’acétamipride (utilisé par exemple dans le Supreme de Certis). Deux substances qui servent à protéger les arbres fruitiers, les légumes, les fleurs et qui sont pour le moment passées entre les mailles du filet. Mais pourquoi donc ?

Rappelons d’abord que les néonicotinoïdes sont un groupe d’insecticides relativement récents. « Ils ont été découverts dans les années 1990. C’était une classe complètement nouvelle avec des principes actifs nouveaux. On n’en découvre pas souvent. Quand on utilise la même classe de produits depuis longtemps, des résistances émergent. La nouvelle classe permet de résorber ce problème de résistance », souligne Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint de la structure « Agriculture » à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). Ajoutez aux avantages de la nouveauté le fait que « les insectes génèrent des pertes en production agricole assez considérables, alors quand les néonicotinoïdes sont apparus, les agriculteurs se sont jetés dessus », poursuit le scientifique. Des avantages et un bon timing. C’est en décembre 2004 que l’acétamipride comme le thiaclopride ont reçu leur autorisation de mises sur le marché. A cette époque, le marché « des insecticides en arboriculture (était) en attente de nouvelles molécules car une quinzaine de molécules insecticides (avaient été) retirées du marché », assurait en 2005 un article du site d’informations professionnelles Agra presse.

Des données qui deviennent caduques

S’ils ont obtenu le sésame de la mise sur le marché, c’est par rapport à un « jeu important de données basé sur une batterie de tests », souligne encore Christian Huyghe. Et parce qu’il semblait n’avoir que peu d’impact sur les populations d’abeilles. « L’impact sur l’environnement ou sur les abeilles est plus faible pour les légumes feuilles (une des applications de l’acétamipride et du thiaclopride) que pour le tournesol par exemple. On peut l’utiliser sur la teigne du poireau, or les abeilles ne viennent pas butiner le poireau. Certes, elles peuvent encore se balader dans les champs alentour, c’est pour ça que les applications se font la nuit », précise Christian Huyghe.

Mais les études se font caduques. « L’EFSA prend ses décisions compte tenu de l’état des études à un moment donné. La recherche de son côté mène sa vie. Si une nouvelle méthode montre une autre appréciation du risque, on change la législation. Un produit qui était autorisé il y a cinq ans ne le sera peut-être pas aujourd’hui », précise Christian Huyghe. Or la mesure de la toxicité sur les abeilles a changé il y a deux ans, souligne l’expert. Si l’on mesurait auparavant la seule toxicité aiguë par ingestion de produit, on tient en compte aujourd’hui de l’impact par « alimentation au stade larvaire », donc à de plus faibles doses.

Des résidus dans nos fraises

Nos deux insecticides seraient-ils homologués aujourd’hui ? Pas sûr. Il faudra attendre avril 2017 pour le savoir, l’expiration de leur autorisation, initialement fixée à janvier 2014, ayant été repoussée l’an passé.

Mais à côté de la toxicité sur les abeilles, il y a celle mesurée sur l’humain. C’est aujourd’hui parce qu’on s’intéresse à elles que l’application de l’acétamipride est remise en question. Le sera-t-elle aussi bientôt pour le thiaclopride ? Une chose est sûre, dans le cas d’un produit comme de l’autre, des résidus apparaissent bien dans les aliments que nous consommons. Par exemple dans les tomates, le thé ou encore les fraises comme le montre une étude de Générations futures de juin 2013.

Interdiction totale ?

Pour les représentants d’apiculteurs comme pour Générations Futures, il serait bien plus simple d’interdire toutes cette classe d’insectides au nom du principe de précaution. « Ces substances sont toxiques à faible dose et très persistantes dans la nature. Elles exposent les pollinisateurs à travers le nectar et le pollen et la santé des humains. Il faut arrêter de jouer. Le rapport bénéfices-risques est trop faible. Et ces substances ne sont pas irremplaçables. Il existe d’autres produits, moins dangereux et d’autres substances ». Et surtout : « S’il faut que l’Efsa aille voir chaque étude pour avoir une réaction, c’est une perte de temps et d’argent. Il faut revoir le processus d’homologation tout entier et surtout il faut une décision politique de la Commission européenne ». Pas si simple pour Christian Huyghe, qui défend : « En fonction de l’état des connaissances, il y a un équilibre à trouver entre les services rendus et le danger généré. Il n’y a rien qui soit sans risque. Tout processus vivant est un risque. Attention, ce n’est pas une légitimation pour faire n’importe quoi. »