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Le Bassin minier, berceau de la troisième révolution industrielle ?
jeudi, 31 octobre 2013
/ Thibaut Schepman / Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir. |
Né de la première révolution industrielle, le Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais ne veut pas rater la troisième. Les cicatrices d’hier, corons et terrils, deviennent des richesses à se réapproprier.
Une révolution industrielle vaut bien une messe. Le Nord-Pas-de-Calais a organisé la sienne, vendredi dernier, au World Forum de Lille. Jeremy Rifkin, l’économiste américain superstar y a électrisé son auditoire – 2 000 « décideurs » – en présentant un « Master plan », qui doit faire de la région le laboratoire de sa « troisième révolution industrielle », un bouleversement économique composé d’énergies renouvelables, de réseaux intelligents et d’éco-mobilité.
La veille, Rifkin, le « prophète »,selon le président de région Daniel Percheron, ou « l’homme qui valait un milliard par an (le coût annuel estimé des mesures contenues dans son plan, ndlr) », selon La Voix du Nord, s’était rendu à Loos-en-Gohelle, cité minière s’il en était au siècle dernier, ville très pauvre de 7 000 habitants aujourd’hui. Un déplacement rare, glisse Claude Lenglet, directeur du projet de troisième révolution industrielle pour la région : « Jeremy Rifkin est un homme qui a le sentiment de l’urgence et qui préfère les salles de réunions où il diffuse ses idées. » Pendant son excursion, l’économiste a vu plusieurs de ses idées déjà mises en application. Des bâtiments éco-construits et des véhicules propres, bien sûr, mais aussi l’une des premières églises de France couvertes de panneaux photovoltaïques – l’Américain rêve de transformer les bâtiments en autant de petites centrales de production d’énergie – ou même un parc solaire au pied des terrils, où l’on teste dix techniques différentes de panneaux photovoltaïques en zone de faible ensoleillement. « Il a été bluffé par cette visite et nous a invités à nous en inspirer à l’échelle de la région », assure Claude Lenglet.
Au début des années 1990, quand la fermeture de la dernière mine de charbon fut venue, il fallut envisager l’avenir pour ce pays alors entièrement tourné vers la mine. C’est l’heure d’une « conférence permanente » et de la rédaction d’un livre blanc. Certains veulent faire table rase de l’héritage minier. Les bulldozers menacent les terrils, ces décharges des mines à ciel ouvert. « On avait fait un sondage à la sortie d’un supermarché. Je crois que 98% des gens voulaient qu’on se débarrasse des terrils, ils voulaient redevenir comme les autres », se souvient Jean-François Caron. Mais un autre destin se dessine. « La population et l’économie avaient été totalement encadrées par la mine, le territoire gardait d’énormes séquelles sociales et environnementales de l’exploitation du charbon, qui était une caricature de modèle non durable. On avait perdu 220 000 emplois, il restait des friches de 150 hectares sur de petites communes. On n’a pas eu d’autres choix que d’être innovant, et de s’appuyer sur notre patrimoine en lui trouvant de nouveaux usages », détaille Catherine Bertram, directrice de la mission « bassin minier », une structure née en 2000 afin d’accompagner le territoire dans l’après-charbon.
La décharge des mines à l’Unesco
L’innovation commence par un changement de regard. Et si les cicatrices étaient une richesse ? Une grande partie des terrils seront finalement préservés, avec une nouvelle fonction donc. Ils sont aujourd’hui classés au patrimoine mondial de l’Humanité. Une association, la Chaîne des Terrils, se charge de les faire visiter.
Les terrils de Loos-en-Gohelle, Jérémy Jännick, Wikimedia
Bruno Derolez, écologue, nous guide sur le plus haut terril d’Europe, étonnant réservoir de biodiversité haut de 147 mètres qui domine Loos-en-Gohelle : « C’est un milieu naturel unique dans la région, à la fois chaud et sec. On trouve donc une faune et une flore endogènes à l’échelle de la région. » Sur les chemins de roche noir, sous une pluie fine, il désigne le pavot cornu, cette plante subtropicale qui aime les dunes sableuses. Et la cotonnière naine que l’on trouve d’habitude en Corse ou en Afrique du Nord. Nulle trace ce jour-là en revanche du lézard, du criquet oedipode turquoise et du crapaud calamite. Ces espèces typiques du terril ont déjà creusé pour gagner en chaleur – elle peut grimper jusqu’à 600 degrés au cœur du mont. Au sommet, une grande partie du bassin minier apparaît. On distingue d’abord une dizaine de monts voisins semblables. Une trame verte bleue réunit peu à peu ces sites. La nature gagne le pays noir, autour de nous les joggers se sont déjà appropriés les lieux.
Un crapeau calamite (Crédit photo Chaîne des terrils - V Cohez)
En 2009, les bulldozers ont failli détruire une partie de l’héritage encore décrié. Un moratoire est finalement adopté. Cinq cités, soit plusieurs centaines de logements, entament une rénovation d’un genre nouveau. Là encore, la seule préservation du patrimoine ne suffira pas. « Les ayants droits, c’est-à-dire les anciens mineurs, sont peu à peu remplacés par des classes moins aisées. L’avenir de ce parc, c’est la paupérisation, alerte Raphaël Alessandri, la préservation du patrimoine doit être un cheval de Troie pour la qualité urbaine et environnementale, ces cités doivent être des bijoux. » Les travaux en cours vont rendre ces logements peu gourmands en énergie, afin de limiter les charges pour les occupants. Un plan doit permettre de retrouver la culture du potager dans les jardins – « à l’époque minière, on venait le dimanche dans les corons pour visiter les jardins, c’était un lieu de balade », poursuit l’architecte. Cerise sur le gâteau, rénover ces logements permet aussi de limiter la construction de nouveaux lotissements, et de lutter contre le fléau – national – de l’étalement urbain. Au Nord, l’habitat, c’est encore les corons. Et c’est maintenant une chance.
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