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Ces OGM méconnus que la France produit par millions
vendredi, 2 août 2013
/ Alexandra Bogaert
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Des plantes génétiquement modifiées sont produites en France en grande quantité depuis plusieurs années, mais n’ont pas à respecter la législation sur les OGM. Explications.
Certains OGM se cachent-ils sous une fausse identité ? Oui, d’après neuf associations qui ont adressé en début de semaine une lettre ouverte à Stéphane Le Foll. Entrainées par la Confédération paysanne, l’Union des apiculteurs de France et les Amis de la Terre, elles pointent du doigt le développement de variétés tolérantes aux herbicides (VTH), qu’elles considèrent être des « OGM cachés ». Le ministre de l’Agriculture leur a répondu que ces variétés ont subi des « mutations de gènes sans qu’il y ait de gènes rapportés » et ne sont donc pas des OGM. Terra eco décrypte cette querelle de langage lourde de conséquence.
Par la mutagenèse, qui est une technique permettant les mutations génétiques. C’est à l’origine un phénomène naturel : « Dès les formes primitives de l’agriculture, les plantes différentes (ou mutantes) ont été recherchées. Les premiers agriculteurs ont sélectionné, à l’intérieur de la diversité des espèces, les individus qui avaient des caractères particuliers », indique sur son site le Cetiom, le Centre technique interprofessionnel des oléagineux. « C’est le cas des carottes, rappelle Olivier Le Gall, directeur général délégué aux affaires scientifiques de l’Inra, l’Institut national de recherche agronomique. Jusqu’à la Renaissance, les carottes étaient blanches comme des panais. Mais des mutants spontanés, orange, ont été trouvés dans un champ. Les agriculteurs néerlandais l’ont sélectionné en l’honneur de leur prince d’Orange, et c’est désormais la seule couleur qu’on connaisse à la carotte ». C’est ainsi à la suite de la mutation naturelle d’un tournesol sauvage, devenu résistant à un herbicide répandu sur le soja, que l’entreprise BASF a développé une VTH « naturelle » sous l’appellation Clearfield, et qui est cultivée en France.
Mais les mutations pointées du doigt ne sont pas naturelles mais bien provoquées. Il s’agit, dans le cas qui nous occupe, d’introduire intentionnellement un « trait » de tolérance à un herbicide donné dans le génome d’une plante. Actuellement en France, le tournesol (autre que Clearfield) et le colza sont les seules VTH commercialisées. On les a obtenues grâce à des agents mutagènes, soit chimiques, soit physiques (rayons X, gamma, à neutrons rapides). Ces agents sont dirigés de manière à induire une cassure précise dans le gène ciblé. « C’est la réparation erronée de l’ADN qui provoque la mutation », explique Yves Dessaux, directeur de recherche à l’Institut des sciences du végétal (CNRS) et co-auteur d’une expertise collective Inra-CNRS publiée en 2011 sur les effets agronomiques, environnementaux et socio-économiques des variétés végétales tolérantes aux herbicides [1]. Il explique que cette technique « ne crée pas de nouveaux mécanismes de mutation mais ne fait qu’accélérer des mutations qui se seraient produites naturellement, notamment à cause des UV des rayons solaires ».
Ce n’est pas la première fois que les ONG signataires de la lettre alertent sur ces variétés artificiellement mutées. Elles protestent depuis 2010, quand les premiers tournesols rendus tolérants aux herbicides (TH) ont été semés. En dépit de quelques opérations de fauchage volontaire, ces tournesols représentent aujourd’hui environ 10% de la production hexagonale. D’ici quelques semaines, c’est le colza que les agriculteurs français vont semer. Pour la première fois, un certain nombre d’entre eux vont épandre des graines d’une variété rendue tolérante aux herbicides. D’où cette lettre.
Non, dit clairement la FNSEA (communiqué presse). Car par « OGM », le principal syndicat d’agriculteurs entend uniquement les organismes obtenus à partir de la technique de la transgenèse, soit l’introduction d’un ADN provenant d’une autre espèce. C’était aussi le sens des propos de Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, quand il a déclaré, le 30 juillet dernier : « Il faut être précis : ce ne sont pas des OGM mais de la mutagenèse ». Toutefois la directive européenne 2001/18/CE en a une autre lecture. Elle considère bien la mutagenèse comme une technique de modification génétique, donc comme un OGM, qu’elle définit en ces termes : « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». « Dire comme le font les ONG qu’il s’agit d’OGM ’cachés’ n’est donc pas pertinent puisque oui, ce sont bien des OGM, ce dont la directive ne se cache pas », explique Yves Dessaux. Cependant, la réglementation européenne place les organismes obtenus par mutagenèse hors de son champ d’application. Les plantes issues de cette technique sont donc exemptées des obligations que doivent satisfaire celles obtenues par transgenèse en matière d’évaluation, d’autorisation de mise sur le marché, de traçabilité et d’étiquetage.
Pourquoi ? Corinne Lepage, eurodéputée européenne, a son explication : « Les fabricants d’OGM ont réussi à mettre tout le focus sur la transgenèse, de manière à obtenir de la réglementation qu’elle passe complètement à côté de la mutagenèse. En gros, ils se sont laissés un champ d’action, une porte de sortie ». Yves Dessaux avance une autre raison : « la technique de la mutagenèse est utilisée depuis les années 30, bien avant l’adoption de la directive en 2001. Aujourd’hui, plus de 2200 lignées végétales et 175 espèces – dont les trois-quarts sont destinées à l’alimentation -, sont issues de mutagenèse induite. L’orge qui entre dans la composition du muesli ou de la bière, est issu d’une lignée obtenue par mutagenèse, donc est OGM ! Si on faisait rentrer ces lignées dans le champ d’application de la directive sur les OGM, il faudrait revoir entièrement toute notre alimentation. » Olivier Le Gall, de l’Inra, est d’accord : « il n’y a pas lieu d’appliquer les mêmes restrictions qu’aux transgènes ».
Oui, estime Guy Kastler, de la Confédération paysanne. « Les mutations dirigées peuvent provoquer des effets non intentionnels et entrainer des recombinaisons génétiques non prévues. Et rien de cela n’est étudié ! », déplore-t-il. Il pointe également les risques de contamination des parcelles voisines de celles où des VTH sont cultivées, notamment pour le colza, qui se disperse à des kilomètres à la ronde. « Et comme ce sont des variétés brevetées, il se pourrait bien qu’un agriculteur qui se retrouve contre sa volonté voire à son insu avec du tournesol ou du colza TH sur sa parcelle, doive payer des redevances aux fabricants ! », gronde-t-il. Pire, estime Yves Dessaux, « Ces VTH, pulvérisées de désherbant, contiendront forcément des résidus d’herbicides, malgré la réglementation mise en place qui vise à diminuer au maximum l’accumulation dans la plante. Mais dans quelle proportion ? Et avec quels effets sur la santé ? » La question reste ouverte. On connait bien en revanche les effets sur l’environnement : apparition de résistances aux herbicides des adventices, d’où le besoin d’épandre de nouvelles molécules en supplément, et donc d’augmenter les quantités de produits phytosanitaires ; pollution des eaux, des sols ; disparition dans les parcelles d’espèces diversifiées que les abeilles venaient butiner.
A quelques semaines des semis de colza, et alors que les agriculteurs ont déjà acheté leurs graines, pas grand chose. Et même si ces variétés de tournesol et de colza TH ne sont pas inscrites au catalogue français des variétés, elles sont répertoriées dans le catalogue européen. Donc « le ministre est un peu coincé. Sauf à démontrer un risque immédiat et majeur pour la santé, il ne peut pas interdire ces VTH, puisque l’Europe les autorise. Même si ce n’est pas dans l’esprit de l’agroécologie qu’il souhaite développer », estime Yves Dessaux. Passer en force provoquerait l’ire des agriculteurs, qui voient dans cette technique un moyen de faciliter leur travail : l’herbicide peut être pulvérisé une fois que les semis ont levé, et sans risque de diminuer les rendements, puisque seuls les adventices réagissent au produit... du moins avant d’y résister.
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