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Trop de décibels et ce sont les oreilles qui casquent
vendredi, 12 juillet 2013
/ Alexandra Bogaert
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Fini le temps des grésillements et des cassettes à rembobiner. Les écouteurs sont désormais des accessoires de mode et coupent totalement du monde extérieur. Attention à l’overdose de son.
« Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. » Les mots d’Aznavour résonnent dans votre tête ? A l’époque, on rembobinait ses cassettes. La musique avait besoin d’un diamant – celui du tourne-disque – pour briller. On devait se poser quelque part pour l’écouter. On pouvait aussi l’emporter partout, au risque de gêner nos voisins de plage avec le crachotement du transistor. Ce temps, c’était avant 1979, année où Sony a fait le bonheur des mélomanes nomades et discrets avec le tout premier walkman. Et, ce faisant, a popularisé le casque. La préhistoire.
« Ce que veulent les jeunes, c’est le plus de son possible, ils trouvent que ce qu’on propose n’est jamais assez fort », confirme un concepteur de casques pour la marque Parrot. Sauf qu’à 100 dB, cinq minutes peuvent suffire pour causer des dommages irrémédiables. Pour être sans danger, le niveau maximum doit être de 80 dB, soit le bruit du trafic. Une nouvelle réglementation européenne en cours d’étude prévoit ainsi qu’un signal sonore indique au mélomane quand il franchit la barre des 85 dB.
Sauf que la technologie ne pousse pas à la modération. Avant, les cassettes à rembobiner et les CD à changer permettaient aux oreilles de souffler. Mais les lecteurs MP3, avec leurs playlists qui défilent toutes seules et leurs grandes capacités d’autonomie, comme les casques qui se mettent sur « Play » dès qu’on les pose sur les oreilles, auraient plutôt tendance à les faire siffler.
Notamment si le casque est hermétiquement vissé sur le crâne. Car ce petit accessoire a progressivement emprisonné les notes dans l’oreille, quitte à la fragiliser. C’est le cas notamment des casques circum-auraux, ces gros cache-oreilles parfois équipés de la fonction réduction des bruits alentour (à ne pas confondre avec les supra-auraux avec arceaux qui se posent sur l’oreille ou les discrets intra-auriculaires, qui s’insèrent dans le conduit auditif).
« Choisir des casques ouverts (qui laissent sortir la musique, ndlr), ça fait beauf. Les jeunes préfèrent des casques fermés, qui leur permettent d’être bien dans leur bulle », relève Philippe Le Guern, sociologue de la musique. Question de mode aussi, dont le casque est devenu un vecteur précieux. « Le choix du casque repose au final peu sur sa qualité sonore et beaucoup sur la marque et l’image qu’elle véhicule, poursuit l’expert. Il fonctionne comme une nouvelle marque de distinction. Maintenant que les lecteurs MP3 sont glissés dans la poche et que la musique est dématérialisée, on exhibe son casque. »
Les industriels l’ont bien compris et font appel aux vedettes pour la promotion : Dr Dre pour Beats, Carla Bruni pour Parrot, Bob Sinclar pour Sennheiser, etc. Car le marché est juteux : entre 2010 et 2012, en France, les ventes ont bondi de 30 %, selon le ministère de l’Economie. En 2012, le chiffre d’affaires du secteur a atteint 322 millions d’euros, égalant presque celui des chaînes hi-fi, d’après le cabinet GfK. Un succès un rien assourdissant. —