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« Le portable est le doudou des adultes »
lundi, 17 juin 2013 / Amélie Mougey

Selon une étude britannique, 66% des utilisateurs de smartphones ressentent une souffrance s’ils doivent s’en passer. Est-ce une nouvelle forme d’addiction ? La psychologue Stéphanie Bertholon nous répond.

Jamais sans son smartphone. Pas une journée sans faire un tour sur Facebook. Pas une heure sans jeter un œil sur Twitter. En 2012, une étude britannique indiquait que 66% des utilisateurs de smartphones ressentiraient de la souffrance s’ils devaient s’en passer. Les ventes de téléphones intelligents ont elles augmenté de 56% l’an dernier. Problème : l’addiction, elle aussi, progresse. La psychologue clinicienne Stéphanie Bertholon – auteure du livre Mieux vivre dans un monde stressant (Odile Jacob, 2013) – détaille le phénomène et explique comment se sevrer.

Terra eco : Comme le tabac ou l’alcool, le téléphone mobile peut-il rendre accro ?

Stéphanie Bertholon : Complètement, puisque l’état de manque existe. Les Anglais ont inventé un terme, la nomophobie (contraction de « no mobil phobia »), pour désigner cette angoisse profonde qui s’empare des individus lorsqu’ils sont privés ou éloignés de leur téléphone. Plus que la possibilité d’appeler, c’est l’accès permanent et en tout lieu aux réseaux sociaux qui est addictive. D’un point de vue strictement psychologique, cette dépendance repose sur les mêmes ressorts que pour les drogues ou le tabac. La différence c’est qu’elle provient d’un objet banal, qui fait partie de notre quotidien. Elle est donc plus insidieuse. La comparaison la plus juste c’est avec l’alcool : on est face à une dépendance inconsciente car la pratique est socialement acceptée.

Quelles en sont les manifestations ?

Jeter un regard sur son téléphone ou consulter ses mails toutes les trois minutes constitue le premier signal. Mais chez certains individus les comportements obsessionnels peuvent être encore plus marqués. Un de mes patients s’est rendu compte qu’il n’arrivait pas à poser son portable lorsqu’il jouait avec son fils et qu’il avait pris l’habitude de consulter ses emails avant le petit-déjeuner. Sur son smartphone, toutes les alertes ou notifications Facebook sont programmées pour apparaître spontanément. Pourtant quand rien ne s’affiche sur son écran, il ressent le besoin d’aller vérifier sur les réseaux sociaux qu’il n’a rien loupé. On doit commencer à s’interroger lorsque le temps et l’intérêt que l’on accorde à d’autres activités diminuent.

Des études font état de nausées, de tremblements en cas de privation de mobile, avez-vous constaté ces symptômes physiques ?

La perte de son portable ou l’oubli d’un chargeur sont en effet de bons révélateurs. Chez certaines personnes on retrouve alors tous les symptômes habituels d’une crise d’angoisse ou de panique : souffle court, respiration saccadée, augmentation du rythme cardiaque. Des effets plus extrêmes sont possibles, mais restent heureusement isolés.

Comment expliquer le développement de cette dépendance ?

Elle peut être le fruit d’une carence. Les réseaux sociaux répondent à trois besoins humains : l’attachement, l’appartenance à un groupe et la reconnaissance. Si l’un de ces besoins n’est pas satisfait, ou ne l’a pas été par le passé, la création d’un « moi » virtuel et idéal peut devenir un moyen de compenser. Ce comportement, manifestation de nos faiblesses narcissiques, reste souvent inconscient.

Quelles sont les conséquences de ces nouvelles pratiques ?

Dans le cas d’une vraie dépendance, les relations familiales, sociales ou professionnelles peuvent être affectées. Une fois qu’ils ont pris conscience de l’existence de pensées obsédantes autour de leurs mobiles, mes patients se rendent compte qu’ils sont également moins concentrés et prêtent peu d’attention aux autres. De manière plus générale, je constate une augmentation de l’impatience et l’irritabilité. Ces technologies donnent aux individus des dizaines de nouvelles capacités : se géolocaliser, communiquer avec la terre entière, trouver une pizza en quinze minutes et j’en passe. Chez certaines personnes, cela fait naître un sentiment de toute puissance. Pour autant nos faiblesses n’ont pas disparu. Nous avons juste tendance à les oublier, et donc nous rencontrons plus de difficultés à les tolérer.

Les utilisateurs de smartphones accepteraient donc moins la frustration ?

En quelque sorte. On apprend aux enfants qu’il est impossible d’avoir tout, tout de suite. Or, les smartphones font croire l’inverse aux adultes. Je fais l’hypothèse qu’on les utilise très souvent pour éviter des émotions désagréables comme l’ennui ou la solitude. Pour moi, c’est le doudou des adultes. Mais le résultat c’est la mise en place d’une stratégie d’évitement. Notre patience et notre tolérance diminuent considérablement.

Quelles sont les populations les plus vulnérables ?

Les adolescents, car ils n’ont jamais vécu sans. Ils sont donc moins armés pour faire la part des choses entre leur identité numérique, souvent enjolivée, et qui ils sont vraiment. Chez les professionnels, la dépendance aux réseaux sociaux a d’abord concerné les employés de bureaux. Mais avec la diffusion massive des smartphones, je reçois aussi dans mon cabinet des policiers et des pompiers.

Quelles sont les méthodes de traitement ?

Pour commencer, le patient fixe son objectif : reprendre le pouvoir sur la machine. Ensuite, il passe à l’action en supprimant toutes les notifications automatiques. C’est un moyen de ne plus subir son activité numérique, mais d’en garder l’initiative. Ensuite, il s’attaque à ses points faibles, se pose la question de l’utilisation de son téléphone. Il identifie les moments où il ne lui sert pas vraiment et essaie d’adapter son comportement. Laisser son portable à la maison quand on va au restaurant, ou le faire dormir dans le salon, sont déjà des grands pas.


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