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Santini, Sauvadet, Balkany... ils sont bien les amis du tabac à l’Assemblée
mercredi, 12 juin 2013
/ Alexandra Bogaert
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Les députés amateurs de cigares surpris en train de déjeuner avec le numéro 2 mondial du tabac se défendent d’être influencés par le lobby. Exhumées par « Terra eco », leurs prises de position passées tendent à montrer le contraire.
Des parlementaires à table avec le numéro 2 mondial du tabac. Dans un sujet diffusé ce mardi 11 juin sur France 2, dans le cadre de l’émission Cash Investigation d’Elise Lucet, on voit André Santini, le maire d’Issy-les-Moulineaux, attablé chez Françoise, un restaurant gastronomique situé non loin de l’Assemblée, le 29 mai dernier. A ses côtés, Dominique Bussereau (UMP), Patrick Balkany (UMP), François Sauvadet (UDI) et Odile Saugues (PS). Ils sont invités par la société British American Tobacco (BAT), qui possède notamment les marques Lucky Strike et Vogue. Normal, BAT est « partenaire » du CPAH (Club des parlementaires amateurs de havanes dont sont adhérents ces 5 parlementaires) depuis 2001 comme l’indique ce document.
Gênés aux entournures d’avoir été filmés à la table d’un lobby (la directrice de BAT mangeait avec eux), ces députés – qui tous figurent parmi la liste des membres du Groupe d’amitié France-Cuba de l’Assemblée nationale - ont refusé d’expliquer aux médias leur présence et leurs liens avec l’industrie du tabac. Tous sauf Odile Saugues, qui assure que « personne ne fait de pression sur personne ». Pour le vérifier, Terra eco a épluché l’historique de ses interventions sur le tabac et de celles des autres convives dans le cadre de leurs fonctions. C’est une évidence : ces députés et sénateurs relaient à l’Assemblée les exigences des industriels comme des débitants de tabac.
Interrogée par le quotidien La Montagne, l’élue du Puy-de-Dôme, amatrice de cigares depuis quarante ans, s’est défendue : « Personne ne fait de pression sur personne. Il suffit de regarder si j’ai déposé des amendements dans le sens des cigarettiers. Je n’en ai jamais déposé. C’est vérifiable. » Nous avons vérifié, et elle dit vrai... au sujet des amendements. Mais en 2003, suite à une hausse conséquente des prix du tabac, l’élue posait en séance une question au gouvernement, dans laquelle elle s’alarmait de ce boom, redoutant que « des écarts considérables [avec les pays voisins] n’alimentent davantage le commerce frontalier, ce qui n’est pas l’objectif souhaité ». Cet argument de la concurrence transfrontalière est brandi par tous les défenseurs de l’industrie du tabac. Mais il faut reconnaître qu’en matière d’accointances avec le lobby du tabac, ses camarades de gueuleton font bien pire.
Le président à vie du club des amateurs de havanes n’a jamais caché son amour immodéré pour les cigares – il leur consacrerait un budget de 1000 euros par mois - , et son opposition à toute hausse de prix. En 2003, il fustigeait les « ayatollahs » de la lutte contre le tabac et déclarait ceci au Parisien : « Il faut au contraire inciter les gens à fumer le cigare car il ne contient pas de goudron. On a par ailleurs constaté les effets pervers du relèvement des taxes sur le tabac, avec le développement de la contrebande. » Coïncidence : c’est le même argument que Mme Saugues... Il prévenait avoir « l’intention de continuer à agir avec quelques amis parlementaires, notamment en [se] faisant entendre dans les couloirs ». Six ans plus tard, à l’occasion d’une nouvelle hausse des prix du tabac, il répétait – toujours dans les colonnes du Parisien - que « cette augmentation va pousser à la contrebande » et admettait acheter en détaxé ses havanes. Dans l’hémicycle, il mène une lutte plutôt discrète : nous n’avons relevé qu’une question au gouvernement sur le sujet, remontant à 1990, dans laquelle il suggérait au gouvernement de diminuer rapidement « la fiscalité appliquée aux cigares » afin de « maintenir le niveau d’emploi actuel » à la SEITA (Société nationale d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes), à l’époque menacée par des suppressions de poste. En l’espèce, ce sont aussi ses propres intérêts qu’il défendait...
En 2006, il revient à la charge en cosignant une proposition de loi visant à assouplir les règles concernant le tabagisme dans les cafés, tabacs, restaurants et discothèques. Lorsqu’il était secrétaire d’Etat chargé de la Fonction publique, André Santini a continué à prendre soin des intérêts des buralistes. En octobre 2008, il s’est opposé à un amendement consistant « à transférer au maire l’autorité de décision sur le déplacement d’un débit de tabac à l’intérieur d’une commune », ajoutant que « la procédure actuelle de transfert satisfait pleinement la Confédération nationale des buralistes ». Un an plus tard, il a présenté un amendement (avec François Sauvadet) à la loi de financement de la Sécurité sociale de 2010 garantissant « une hausse de prix raisonnable et opérationnelle » des cigarettes et du tabac à rouler « en vue d’éviter qu’une telle hausse fragilise encore davantage l’économie globale et en particulier le réseau des buralistes, premier réseau français de services de proximité ». La hausse a été fixée à 6%, alors que les antitabac réclamaient bien davantage. On remarque au passage que les cigares ont été épargnés par cette hausse...
En bon homme politique, le député de Côte-d’Or déploie toujours un double discours. D’un côté, il martèle sa « volonté de lutter contre les méfaits du tabagisme sur la santé publique », rappelant que « ici même (à l’Assemblée, ndlr), nous avons voté des hausses successives importantes du prix du tabac, car c’est l’un des moyens de lutter contre le tabagisme ». De l’autre, il a déposé de nombreux amendements, une proposition de loi et posé pas moins de sept questions sur le sujet au gouvernement entre 1996 et aujourd’hui (la liste ici) dans le but de défendre les débitants de tabac et de limiter les hausses de prix.
On a sélectionné notre question préférée, qui date de 2003 : « Les débitants de tabac insistent sur le fait que les mesures de prévention doivent davantage prendre le dessus sur les mesures d’interdiction qui peuvent créer un système de délinquance. [François Sauvadet] demande [au gouvernement] s’il envisage la création d’une commission santé - tabac avec les professionnels ». Celui qui fut un temps ministre de la Fonction publique dans le gouvernement de Fillon a également déposé en 2007 une proposition de loi « tendant à aménager l’interdiction du tabac en fonction de la taille de l’établissement ».
Assouplir l’interdiction de faire de la publicité pour l’industrie du tabac au nom de la sauvegarde du sport automobile, c’est un peu tordu. C’est pourtant ce qu’a demandé Patrick Balkany en 1992, un an après la publication de la loi Evin. Le maire de Levallois-Perret a aussi co-présenté, en 2006, une proposition de loi visant à aménager les règles concernant le tabagisme dans les cafés, tabacs, restaurants et discothèques. L’année suivante, il réitère avec une autre proposition visant cette fois à concilier protection contre les dangers du tabagisme passif et maintien de lieux de convivialité dans le tissu économique local. Toujours en 2007, il repart à l’offensive en apportant lui aussi son soutien à une énième proposition, visant à permettre aux propriétaires de petits établissements de choisir d’être fumeurs ou non.
Les activités pro-tabac du député UMP et président du Conseil général de Charente-Maritime, sont discrètes. A peine avons-nous relevé un échange entre Dominique Bussereau, alors ministre de l’Agriculture et de la Pêche, et un autre parlementaire au sujet de la nécessité de soutenir les tabaculteurs français. Mais c’est hors de l’Assemblée que ses goûts se manifestent, comme lorsqu’il a défendu à la barre du tribunal correctionnel de Paris, en novembre 2012, le titre L’Amateur de cigare suspecté d’inciter à la consommation de tabac.
Et pour y voir plus clair dans les stratégies d’ingérence du lobby du tabac dans les milieux de pouvoir, lisez donc ce bref rapport, publié fin mai, par le Comité national contre le tabagisme