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Ben & Jerry’s, le glacier fondu d’éthique
jeudi, 28 mars 2013 / Emmanuelle Vibert

Passé sous la coupe d’Unilever en 2000, le marchand de glaces américain est assez givré pour ne pas avoir renié ses valeurs. Des collaborations avec des personnes en difficulté, des poules en plein air, du cacao équitable : on tient un champion du « social business » !

Des vaches brandissent des calicots devant le Parlement européen. Elles réclament « une bonne alimentation », « un bon traitement » et nous invitent à signer une pétition pour inciter l’Union européenne à améliorer leurs conditions de vie. C’est avec cette campagne militante et humoristique que le marchand de glace américain Ben & Jerry’s accueille ses visiteurs en ligne. A explorer le reste de son site, on est épaté par la com détaillée et rigolote vantant les nombreuses bonnes actions de l’entreprise, qui se veut engagée depuis ses débuts. Ce qui nous tracasse ? Ben & Jerry’s, souvent désignée comme un modèle de responsabilité, a été rachetée en 2000 par Unilever. Or, ce groupe, l’un des premiers mondiaux pour les produits de consommation courante – avec notamment les marques Lipton, Dove, Skip ou Timotei (Lire Terra eco n° 36, mai 2012) – n’est, de son côté, pas un champion du business responsable.

Stratégie

« Ben Cohen et Jerry Greenfield décident de se lancer en 1977 dans le monde merveilleux de la glace et investissent 5 euros dans des cours par correspondance pour apprendre à fabriquer des glaces. En 1978, ils décident d’ouvrir leur propre boutique de glaces. C’est dans une vieille station-service désaffectée du Vermont (Etats-Unis), dans la ville de Burlington, qu’est née la première boutique de glace Ben & Jerry’s. » Voilà pour le début de la saga. La suite, c’est une entreprise qui grandit beaucoup (présente aujourd’hui dans 26 pays), entre en Bourse en 1984, mais maintient ses principes fondateurs : s’amuser en travaillant et redistribuer une partie de ses bénéfices à la communauté.

Parmi ses multiples B.A. : des œufs provenant de poules élevées en plein air, des brownies achetés à une fondation new-yorkaise qui embauche des personnes en difficulté, des noix du Brésil issues d’une coopérative de fermiers qui exploitent la forêt amazonienne de façon responsable, un programme accompagnant les producteurs laitiers pour les inciter à améliorer leurs pratiques environnementales, etc. Par ailleurs, la fondation Ben & Jerry’s distribue à des ONG 7,5 % de ses bénéfices annuels avant impôts, soit près d’un million de dollars par an (770 000 euros). Dans ce contexte, l’OPA d’Unilever, il y a treize ans, qualifiée par les fondateurs de « mariage forcé », apparaît comme un choc traumatique.

Cas d’école

Mais sur le site, on tente de nous rassurer : « Nul doute que la plupart d’entre vous sait que Ben & Jerry’s appartient à Unilever, mais on parie que vous ignoriez que Ben & Jerry’s a aussi un board (un conseil, ndlr) de directeurs indépendant (…), dont la mission est de préserver l’ADN et l’intégrité de Ben & Jerry’s. Et aussi la qualité de nos produits ! Il veille également à ce que nos collaborateurs aient un salaire décent ! » A lire ensuite leurs CV, leurs motivations et leurs parfums préférés, on se sent mieux : ils ont tous l’air de chic garçons et filles. Mais ce qui rassure surtout, c’est de constater que les progrès de la marque n’ont pas stoppé net en 2000. Au contraire. En 2002, l’usine Unilever de Hellendoorn, aux Pays-Bas, qui fournit l’Europe, s’est entièrement convertie aux énergies renouvelables. Ben & Jerry’s a poursuivi son effort pour obtenir des congélateurs plus écolos, en utilisant à partir de 2004 des modèles qui consomment 30 % d’énergie en moins. Au début de l’année 2012, l’ensemble des parfums de la gamme s’est converti au commerce équitable, avec du cacao, du sucre, de la vanille, des bananes, du café et des amandes certifiés Max Havelaar et présents à hauteur de 20 % minimum dans les pots.

Verdict

En octobre dernier, Ben & Jerry’s recevait la très sérieuse certification américaine « B Corporation », qui récompense les entreprises sociales, sur de très nombreux critères : gouvernance, conditions de travail, engagements civiques et écologie. Pour l’obtenir, la société a été scrutée à la loupe et notée par un organisme indépendant. Son score, 88,8 sur 200 – il faut 80 points pour obtenir la certification –, est détaillé sur le site corporation.net. Un outil antigreenwashing qui permet à chacun de mesurer les forces et les faiblesses du modèle Ben & Jerry’s. —

Avis de l’expert : 4,5/5

Laurent Terrisse, vice-président de Fairtrade Max Havelaar et fondateur de l’Association pour une communication plus responsable

« Si on est négatif, on considérera qu’Unilever s’achète une bonne conscience. Si on fait le pari du positif, on espérera que ces acquisitions sont les ‘‘ laboratoires ’’ des transitions de ces groupes. Même si Ben & Jerry’s a peu de chance de faire intégralement basculer son actionnaire dans le social business, sa communication est cohérente. Son site démontre qu’on peut communiquer responsable sans être ‘‘ peine à jouir ’’. On aurait pu attribuer 5/5 s’il avait été plus participatif et si l’appartenance à Unilever avait été plus transparente. »

- Le Collectif com responsable

- Le site de Ben & Jerry’s