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Au Niger, l’atome français enterre la santé de ses mineurs
jeudi, 28 mars 2013
/ Emmanuel Haddad / Le journalisme me pousse toujours plus au sud. Rédacteur en chef de Cafebabel.fr, à Paris, j’y édite, pendant deux ans, les articles de journalistes volontaires européens. Dans l’Espagne en crise, je décide de faire mes classes de journaliste free-lance, entre alternatives vertes locales et squats de migrants. Un ami camerounais m’y relate sa traversée du désert nigérien. Depuis Niamey, je me rends compte que la migration africaine est complexe, le postcolonialisme en pleine forme et l’écologie une vieille histoire et un besoin d’avenir. |
Malades, les travailleurs des filiales d’Areva qui extraient l’uranium peinent à obtenir des compensations du géant bleu-blanc-rouge du nucléaire. Mais une décision de justice pourrait bientôt changer la donne.
Pour se rendre à la réunion dominicale de l’Association des anciens travailleurs des mines et leur famille (ATSMF), qu’il a créée en 2009, Hamidou Boureima doit user ses semelles fatiguées sur les chemins de latérite de Niamey, la capitale du Niger. Après vingt-et-un ans de services en tant qu’échantillonneur à la Cominak, société minière nigérienne filiale du géant français Areva, il s’est fait licencier sans indemnités, « parce qu’[il] en savai[t] trop », dit-il, comme pour se rendre plus fort. Désormais, tout son savoir tient dans l’attaché-case que son fils trimballe partout derrière lui. A l’intérieur, la liste des ex-travailleurs des mines d’uranium d’Areva et des maladies qu’ils ont contractées à la suite de leur exposition prolongée aux rayonnements ionisants. C’est sa dernière richesse, sa monnaie d’échange avec le groupe industriel : la prise en charge médicale ou la dénonciation collective.
Au début de l’année 2009, Hamidou Boureima pense que la cause des anciens mineurs sera vite entendue. Car au moment où Areva met la main sur une nouvelle mine d’uranium, à Imouraren, près d’Arlit, avec des réserves estimées à 100 000 tonnes de minerai, l’entreprise est sommée de faire un geste envers ses anciens employés. Depuis 2003, Greenpeace et la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), se rendent sur la zone et publient des études dénonçant la contamination radioactive de l’eau et de l’air à proximité des mines d’uranium du nord du Niger. Depuis le laboratoire de la Criirad de Valence (Drôme), son directeur, Bruno Chareyron, avance alors que les habitants d’Arlit sont exposés à des rayonnements ionisants, ainsi qu’au gaz radon et à ses descendants, classés cancérigènes par l’Agence internationale pour la recherche sur le cancer, depuis 1988.
Fort de ces analyses, Sherpa, une ONG française d’avocats engagés contre les crimes économiques, menace, en 2007, de poursuivre le mastodonte du nucléaire pour « mise en danger de la vie d’autrui, homicides involontaires et faute inexcusable », à l’encontre des mineurs et des populations voisines des mines d’uranium, au Niger et au Gabon, où la situation est similaire. Pour éviter la voie pénale, Areva choisit alors d’y créer des observatoires de santé. Au Niger, l’Observatoire de la santé de la région d’Agadez (Osra) est lancé en 2011 pour garantir un suivi post-professionnel aux anciens employés exposés aux rayonnements ionisants et, en cas de maladie professionnelle avérée, prendre en charge leurs frais de santé. L’espoir renaît.
Pas encore assez vite pour certains anciens mineurs : « L’Osra ? Houlala… Pas un tiers des anciens mineurs n’a été recensé : 472 à Arlit, 39 à Agadez, et sur ce tiers, seule une centaine a reçu une visite médicale », se plaint Cissé Amadou, un an après sa mise en œuvre. Entre deux conférences pour un séminaire médical, Nouhou Hassan, président du conseil d’administration de l’Osra, se veut rassurant. « Quelques anciens travailleurs d’Agadez n’ont pas été consultés, ni ceux des autres régions, confesse l’ex-ministre de la Santé. On reconnaît cette faute. Mais une jeune entreprise, c’est comme un bébé qui apprend à marcher : il faut de la patience. » En attendant, aucune maladie professionnelle n’a été détectée chez les anciens mineurs nigériens déjà consultés.
De la patience, Sherpa n’en a plus. Le 17 décembre, l’ONG annonce son retrait des accords de 2009, estimant qu’Areva en a fait « une opération de communication, voire d’affichage » et s’étonnant que « le processus d’indemnisation, s’il a bénéficié à deux familles d’expatriés français (ce qui est notoirement insuffisant), n’a bénéficié à aucun travailleur nigérien ou gabonais, alors même que la situation médicale de plus d’une centaine d’entre eux a été examinée ». La boîte de Pandore n’a été qu’entrouverte. Par peur d’Areva de devoir indemniser ses anciens employés nigériens ? « Les dispositifs diffèrent pour les expatriés, fait valoir le directeur médical d’Areva. On s’est engagé avec Sherpa et Médecins du monde à analyser les dossiers des anciens mineurs expatriés qui avaient déjà des maladies en 2009. On n’était pas dans le dépistage, comme c’est le cas au Niger. Si on faisait les mêmes examens en France, on aurait le même quota de maladies professionnelles. C’est en tout cas ce que l’on veut démontrer », assure Alain Acker.
Mais au Niger, la patience est une vertu. « Kala suru » (« prendre les choses avec patience », en langue djerma), dit-on à Niamey. Hamidou Boureima a suivi le procès intenté à Areva par la veuve de Serge Venel, ex-employé français de la Cominak, mort d’un cancer du poumon. Il sait que le tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun (Seine-et-Marne) a déclaré la société française coupable de « faute inexcusable ». L’ex-échantillonneur de la Cominak attend donc le résultat du procès en appel, qui aura lieu à Paris, le 4 juillet prochain. En cas de confirmation du verdict, la plaignante aura droit à 200 000 euros de dommages et intérêts. Or, « s’ils dédommagent cette femme, nous sommes des milliers de personnes au Niger à avoir partagé le sort de son mari », avertit-il avec malice.
« Des témoignages captivants ont été faits sur des camions renversés laissant traîner du soufre tout au long de la route de l’uranium. Les activités industrielles liées à l’exploration et à l’exploitation minière provoquent l’émission, la diffusion et le dépôt de divers produits et résidus chimiques, comme du cyanure de sodium, du plomb, de l’arsenic, de l’uranium, du mercure et d’autres métaux. Ces produits contaminent les ressources hydriques, l’atmosphère et le sol. Dans certains cas, la contamination pourra durer des milliers d’années et provoquer des maladies graves et des mutations génétiques. » Ces conclusions, tirées d’une conférence ayant réuni, pour la première fois, les chefs traditionnels de la région d’Agadez, la société civile, les élus et les représentants des sociétés minières, prouvent une chose : la nocivité de l’extraction de l’uranium est désormais reconnue et débattue au Niger. Outre la santé des mineurs, on affirme désormais haut et fort que l’activité minière détruit l’environnement local.
Pourtant, Areva et l’Etat nigérien s’étaient engagés à préserver la santé des 80 000 habitants d’Arlit : « Depuis les visites de Greenpeace et de la Criirad, il y a eu un nettoyage, pour ne pas dire décontamination, car rien n’était contaminé ! Il est désormais interdit de faire sortir de la ferraille des mines sans contrôle », assure Hamadou Kando, directeur technique du Centre national de radioprotection. Un contrôle laxiste, selon la Criirad qui, en partenariat avec l’ONG locale Aghirin’man, a révélé qu’environ 1 600 tonnes de ferraille provenant des sites d’extraction d’Areva circulent toujours dans la ville. Les habitants s’en servent pour se loger ou construire leur commerce dans la ville.
(1) Voir le documentaire de Dominique Hennequin, « Uranium, l’héritage empoisonné »
Azelik, la mine de non-droit
Quand les employés de la Société des mines d’Azelik se permettent de réclamer leur salaire, c’est l’armée qui les déloge. Bienvenue dans l’enfer des mineurs nigériens d’uranium. Située à 200 kilomètres d’Arlit et détenue en majorité par deux sociétés chinoises, cette mine est opérationnelle depuis 2011. En janvier dernier, le journaliste nigérien Ibrahim Manzo Diallo y a pénétré, caméra au poing. Dans ses images, un mineur témoigne que ses camarades boivent de l’eau infectée de vers ; un autre raconte comment l’un d’entre eux est mort, fauché par une bande transporteuse de minerai. Outre des conditions de travail indignes et dangereuses, la dégradation de l’environnement et l’absence de développement local sautent aux yeux. Le cours d’eau qui passe dans le camp des ouvriers, à 3 kilomètres de l’usine de traitement de l’uranium, regorge de déchets radioactifs. « Pour qu’elles accouchent, nous amenons nos femmes à moto à 80 kilomètres d’ici », se plaint un mineur, hors de lui. —
Droit de réponse du groupe Areva
« Dans son édition du mois d’avril 2013, Terra eco a publié un article intitulé : « Au Niger, l’atome français enterre la santé de ses mineurs ». Cet article contient un grand nombre d’accusations fantaisistes et infondées, et il nous apparaît essentiel de porter à la connaissance de vos lecteurs la réalité des faits.
Areva y est présentée comme une entreprise irresponsable, vis-à-vis, d’une part, de l’environnement et des populations environnantes de ses sites miniers du Niger, et, d’autre part, de ses propres salariés, que le groupe exposerait sciemment sans protection à certains dangers. De plus, Areva aurait mis en place la structure des Observatoires de la santé, de suivi médical des anciens mineurs, afin « d’éviter la voie pénale ». Selon l’article, cette mise en place est très lente et les résultats n’en sont pas crédibles. Areva souhaite rétablir la vérité.
Dès 2007, le groupe Areva avait déjà annoncé son intention d’évaluer et de suivre l’impact sanitaire de l’uranium dans le cadre de ses activités minières, tout particulièrement en Afrique. Le 19 juin 2009, un accord a été conclu entre les différentes parties concernées, dont Areva, plusieurs ONG et des gouvernements, pour la mise en place des Observatoires de la santé, au Gabon comme au Niger, des pays où il n’existe pas de système de prise en charge des maladies d’origine professionnelle. Le groupe Areva reste fier de cette initiative qui est une première mondiale dans le domaine minier. Jusqu’à présent, près de 800 personnes ont fait l’objet d’un contrôle par les médecins des Observatoires de la santé. Les résultats actuels montrent qu’il n’y a pas de problème de santé d’origine professionnelle. Le dispositif a permis, a contrario, de détecter des pathologies, sans lien avec l’activité professionnelle d’origine, et qui ne l’auraient pas été sinon.
Le processus de mise en place de ces Observatoires et des examens pour les anciens salariés est long, ce qui est logique, compte tenu notamment de la nécessité de retrouver le contact avec des personnes qui ont souvent quitté leurs fonctions il y a plusieurs années. Nous pourrons donner des résultats finaux lorsque l’ensemble du processus aura été mené, mais nous tenons à rappeler qu’une étude, menée en 2009 par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) auprès de la population de tous les anciens mineurs expatriés, n’avait montré aucune différence significative en termes de maladies ou de mortalité avec l’ensemble de la population française. » — La direction de la communication du groupe Areva
La rédaction de « Terra eco » maintient l’ensemble des informations publiées dans cet article et tient à signaler que, malgré de nombreuses sollicitations durant cette enquête, toutes les demandes d’entretien avec la direction du groupe Areva ont été rejetées.