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La tomate italienne presse ses forçats africains
jeudi, 31 janvier 2013
/ Mathilde Auvillain
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Dans la région agricole des Pouilles, comme ailleurs dans le pays, les migrants travaillent pour un salaire de misère et dans des conditions de vie déplorables.
A la sortie de l’autoroute, à Foggia, en Italie, dans un va-et-vient effréné, des dizaines de semi-remorques chargés de caisses de tomates se font la course, frôlant parfois dangereusement les quelques voitures qui semblent s’être égarées là. Au milieu des prairies jaunies de la plaine qui s’étend entre les côtes de la mer Adriatique et les collines du Gargano, les gigantesques camions lancés à toute allure sur des routes mal asphaltées soulèvent à leur passage des nuages de poussière. Cette atmosphère de Far West se fond peu à peu en ambiance de brousse africaine. Sous les roues des véhicules, le goudron disparaît, il ne reste bientôt plus qu’un chemin de terre défoncé. Les amortisseurs grincent, les voitures brinquebalent. Le long de la piste, deux jeunes Maliens avancent plus vite à pied, coupant à travers champs pour rejoindre « Gran Ghetto ».
Gran Ghetto, c’est le nom qu’ont donné les saisonniers africains à un bidonville, planté au milieu de la Capitanata, région agricole du nord des Pouilles. Une vraie petite ville, organisée en baraquements, autour de quelques maisons abandonnées. Les cahutes sont faites de carton, de bois de récupération, de ficelle et de corde. Au plus fort de la saison de récolte des tomates, entre 800 et 1 000 personnes y vivent, essentiellement des immigrés originaires d’Afrique de l’Ouest.
En une journée de dix heures de travail, un homme robuste et entraîné peut remplir 6 à 7 caissons au maximum. Les saisonniers gagnent donc en moyenne entre 20 et 25 euros par jour, dont ils doivent déduire ensuite 5 euros pour le transport, 3,5 euros pour un sandwich le soir, 1,5 euro pour une bouteille d’eau et 20 euros par mois pour la location du matelas dans une baraque. « A midi, les hommes ne s’arrêtent pas pour manger. Une fois de temps en temps, s’ils ont trop faim, ils vont croquer dans une tomate », explique Ilaria Paluello, jeune volontaire de l’association « Io ci sto », qui intervient auprès des saisonniers. Elle les a elle-même accompagnés plusieurs fois, en cachette, dans les champs. « Quand le capo arrive dans le champ, les travailleurs doivent se mettre au garde-à-vous et le saluer. Parfois, il hurle ‘‘ Je n’ai rien entendu ! ’’ et les force à répéter plus fort ‘‘ Bonjour, chef ! ’’ », poursuit-elle.
A Gran Ghetto, il n’y a ni eau courante, ni électricité. Quelques générateurs ronronnent derrière les « maisons » des habitants les plus aisés, qui font payer 50 centimes à celui qui vient recharger la batterie de son téléphone portable. Le camp est construit autour de plusieurs « casolari », des maisons en dur, héritées de la réforme agraire, abandonnées par leurs propriétaires. Elles sont souvent squattées ou gérées par les caporaux noirs.
La situation de ces travailleurs agricoles n’est pas singulière en Italie. Selon l’Institut italien de la statistique, 43 % des personnes travaillant dans le secteur agricole ne sont pas déclarées, soit 400 000 personnes dont « un quart, essentiellement des étrangers, sont exploités, victimes de chantage et contraints de travailler dans des conditions indignes ». Le syndicat agricole Flai CGIL estime que, chaque année, l’Etat perd 420 millions d’euros de taxes sur ce travail non déclaré. « Sans compter que l’absence de tutelle des travailleurs, qui sont payés moitié moins que la moyenne légale, enrichit la criminalité organisée », ajoute le syndicat, dans un communiqué. Les caporaux sont en effet souvent liés, de près ou de loin, aux mafias qui gangrènent le sud du pays, notamment la Camorra napolitaine et la ’Ndrangheta calabraise.
Dans ce petit bourg de Calabre, un soir de janvier 2010, à leur retour des champs, après une journée de cueillette des oranges, un Marocain, un Ivoirien et un Togolais essuyèrent des tirs de carabine à air comprimé de la part d’un groupe d’habitants. Le jour suivant, 2 000 immigrés marchèrent sur la ville pour protester contre cette attaque. S’en suivirent plusieurs journées d’affrontements avec la police et les habitants, qui s’achevèrent par le transfert des migrants vers des centres d’identification et d’expulsion à Naples et à Bari. Deux ans après les faits, pour éviter de nouveaux épisodes de tension, le gouvernement a fait installer un camp officiel de tentes, pourvu en eau et en électricité dans la zone industrielle de Rosarno, tout en fermant les yeux sur les raisons de fond qui poussent les travailleurs immigrés à se plier à de telles conditions de vie.
Sandro Joyeux chante l’Afrique
« Une chanson pour tous les Africains », lance Sandro Joyeux au micro de Radio Ghetto, dans le studio improvisé de l’antenne pirate installé à Gran Ghetto. Il égrène, avant son concert dans le camp, les notes d’une chanson populaire congolaise. Le Franco-Italien Sandro Joyeux s’est lancé l’été dernier dans une tournée contre l’« esclavage moderne ». « C’est ma façon de rendre un peu d’Afrique aux Africains. » Jusqu’à décembre, il a joué pour les saisonniers des Pouilles, du Piémont, de Calabre… La tournée s’est achevée à Naples, où il a enregistré son premier album, Sandro Joyeux. « J’aurais pu naître à Bamako et animer les soumous avec mon père griot » chante-t-il dans « Kingston ». —
Le site de a campagne « Stop Caporalato »
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