https://www.terraeco.net/spip.php?article47933
Vivre dans la pollution, un problème de pauvres ?
mercredi, 23 janvier 2013 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Les quartiers défavorisés sont-ils les plus pollués ? Une étude de l’Ecole des hautes études en santé publique fait le point, quartier par quartier, à Lille, Lyon, Marseille et Paris.

Les Français les plus pauvres ont plus de problèmes de santé et une espérance de vie moins élevée que le reste de la population. C’est un fait avéré. Est-ce – en partie – parce que ces personnes défavorisées vivent plus souvent dans des zones polluées ? C’est pour vérifier cette intuition qu’une équipe de chercheurs de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) a lancé depuis 2009 le projet de recherche Equit’Area.

Ce travail de fourmi consiste à comparer, territoire par territoire, les inégalités sociales (à travers un « indice de défaveur » regroupant 52 variables socio-économiques) et l’exposition aux pollutions environnementales (à travers la concentration de NO2, le dioxyde d’azote, dans l’air). Le projet est loin d’être achevé, mais de premiers résultats ont été publiés, sous la forme de cartes, pour les villes de Lille, Lyon, Marseille et Paris. Denis Zmirou, professeur de santé publique, directeur du département « Santé-environnement-travail et génie sanitaire » de l’EHESP et co-auteur de l’étude, décrypte ces premiers résultats pour Terra eco.

Terra eco : Les zones polluées que vous avez étudiées sont-elles plus fréquemment habitées par des personnes défavorisées ?

Denis Zmirou : On ne peut pas faire de généralités, et dire que les pauvres habitent là où il y a de la pollution. Chaque agglomération, chaque quartier a sa propre histoire qui est le fruit de plusieurs générations. On peut par contre faire une distinction entre d’une part Lyon, Lille et Marseille, où l’on constate que les quartiers les plus pollués sont souvent aussi les quartiers où la population est la plus défavorisée, et la ville de Paris où ce n’est pas le cas. La pollution atmosphérique est environ 20% plus élevée dans les quartiers les plus défavorisés des trois villes que j’ai citées. A Paris, on constate que l’ensemble des quartiers sont exposés à une pollution atmosphérique élevée, sans distinction.

> Voir ici les cartes (en PDF), quartier par quartier pour Lille, Lyon, Marseille et l’Ile-de-France

Comment expliquer cette différence entre Paris et les autres communes étudiées ?

Le polluant que nous avons mesuré est le dioxyde d’azote (NO2). Il est émis par le chauffage, les sites industriels et par le trafic automobile (la faute notamment aux véhicules diesel, ndlr). Tout d’abord, il n’y a aucune industrie lourde à Paris alors que l’on en trouve à Lyon, Marseille ou Lille. Surtout, à Lyon comme à Lille, les quartiers favorisés sont composés de petites ruelles et de peu d’axes routiers. Ce n’est pas le cas à Paris, où les quartiers favorisés sont traversés de grands boulevards haussmanniens. Des quartiers très favorisés comme le XVIe et le VIIIe sont ainsi exposés à la pollution atmosphérique.

C’est donc le fait de vivre près de grands axes routiers qui est le principal facteur de danger ?

La source principale de pollution atmosphérique est le trafic automobile, oui. Les populations les plus exposées sont donc le plus souvent celles qui vivent à proximité des axes routiers. Ce facteur est un héritage de l’histoire, mais il a aussi beaucoup évolué ces quarante dernières années. Il faut remonter aux années 1980, au moment du développement de modèles urbains complètement asservis à la voiture. Les villes se sont transformées, avec notamment la construction de périphériques et de transversales urbaines le plus souvent là où habitaient les populations les plus pauvres. C’est notamment le cas du périphérique parisien ou de l’axe entre Lille, Roubaix et Tourcoing. On a aussi construit des logements sociaux près de ces grands axes.

Il faudrait donc repenser l’organisation de nos villes pour que les habitants, et en particulier les plus défavorisés, vivent moins à proximité des axes routiers ?

L’enseignement principal, c’est que là où il y a de grands axes routiers, il ne faut pas qu’il y ait de fortes concentrations de populations et vice-versa. Il ne faut plus que l’on vive près de grands axes routiers. Et on ne devrait plus trouver de collèges, hôpitaux ou maisons de retraites à proximité.

Y a-t-il déjà des avancées dans ce sens ?

Oui, mais c’est le plus souvent dans des quartiers favorisés. On a construit des boulevards sous-terrains entre Neuilly-sur-Seine et Nanterre (Hauts-de-Seine), pour limiter la pollution atmosphérique dans ces quartiers favorisés. En revanche, l’autoroute A1 qui passe au nord de Paris et traverse la Seine-Saint-Denis n’est équipée que d’un léger mur anti-bruit.

Faut-il taxer ou interdire la circulation des véhicules polluants en ville ?

Nous sommes extrêmement favorables à cette proposition et nous invitons le gouvernement à expérimenter ce système, qui est déjà utilisé dans pas moins de 200 villes européennes [1]. On nous dit que c’est inégalitaire, mais en attendant on constate que ce sont déjà les pauvres qui souffrent le plus souvent des effets de la pollution atmosphérique. Nos recherches sont loin d’être finalisées, mais nous allons publier régulièrement nos résultats pour que les pouvoirs publics s’en saisissent.