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Pas si facile à gober, la pilule naturelle
mercredi, 16 janvier 2013
/ Justine Boulo / Née au bout de la Loire, un pied dans l’Atlantique, l’autre embourbé dans la terre, elle s’intéresse aux piafs et aux hortensias, observe ses voisins paysans et leurs élevages bovins. Elle enrage devant les marées noires. Licenciée en lettres, elle sort diplômée de l’Institut pratique du journalisme de Paris en avril 2012. Elle scrute les passerelles qui lient les hommes à leurs terres. Parce que raconter la planète, c’est écrire au-delà des pommes bio et du recyclage de papier. |
A l’heure où gronde la polémique autour des contraceptifs de troisième et quatrième génération, les laboratoires avancent leur dernière trouvaille, la pilule à œstrogène naturel. Progrès médical ou coup marketing ?
Quand elles ont fait leur apparition dans les années 1990 et 2000, les pilules de troisième et quatrième génération étaient à la pointe du contraceptif. Fini l’acné, adieu la prise de poids, bye bye les nausées. Les comprimés prenaient des noms séduisants. La pilule s’appelait alors Jasmine, Diane ou Melodia.
Puis patatras. La douce musique s’arrête à la fin de l’année 2012. On accuse les petites dernières de risque thromboembolique. Un caillot qui obstrue une veine, une artère et l’accident vasculaire cérébral ou l’embolie pulmonaire ne sont pas loin. Un événement rarissime, mais pas impossible.
C’est la panique à bord. Surtout qu’en France, la pilule est le premier moyen de contraception utilisé. On s’y perd. SOS gynéco, je change de pilule ? Je m’arrache les cheveux ? Je deviens nonne ?
Zen... La petite dame a l’air perdu. Rassurons-la. Voilà que déboule une énième pilule. Mais « naturelle » celle-là. Ah bah si c’est naturel... Il n’en existe que deux à l’heure actuelle. La pionnière, Qlaira, mise sur le marché en 2009 par le groupe Bayer Santé. Puis sa petite sœur, Zoely, créée en 2012 par Teva. Pas la chaîne télé, la Teva pharmaceutical industries LTD.
Ce sont les pilules à œstrogène naturel. Le professeur Patrice Lopes, gynécologue au CHU de Nantes, a présenté Qlaira lors de sa sortie en 2009. Il explique : « Qlaira a deux composants, un œstrogène et un progestatif. L’œstrogène classique utilisé est l’éthinylestradiol. Dans le cas de Qlaira, c’est l’estradiol. On parle d’un œstrogène naturel, car c’est le même que celui sécrété par l’ovaire. »
Du côté de Formindep, l’association de médecins militant pour une formation et une information médicales indépendantes, c’est un autre son de cloche. « Ça ressemble pas mal à du greenwashing. Le risque, c’est que dans cette polémique sur les troisième et quatrième génération, ces pilules à l’œstrogène naturel soient présentées comme une alternative. Qu’elles deviennent un argument marketing. » Il faut dire que lorsqu’on se balade sur les forums santé, Zoely et Qlaira sont souvent surnommées les « pilules écolos »... « C’est à s’étrangler quand on lit cela ! », confie Anne Chailleu, membre de Formindep.
Michel Coletti, médecin généraliste, enfonce le clou. « Pour la plupart des gens, un produit naturel est une substance produite par la nature. Ce n’est pas le cas de l’estradiol qui est chimiquement proche de l’hormone produite par l’organisme humain. Mais il n’est pas naturel. »
Et ça donne quoi tout cela ? Pour le gynécologue nantais, « la pilule Qlaira entraîne moins de troubles du métabolisme hépatique. Elle est mieux tolérée. » Le médecin regrette que ces pilules soient « encore trop peu prescrites », car non remboursées. Il en est persuadé : « C’est un progrès, mais encore très théorique. » Théorique ? Oui, car les pilules à œstrogène naturel ont été examinées lors d’études comparatives. En clair, elles ont donc été comparées à des pilules de deuxième génération, et cela sur un échantillon de 3 000 femmes. « Mais il faudrait attendre d’avoir étudié 10 à 100 000 personnes pour connaître la supériorité de cette pilule par rapport aux autres, avoue Patrice Lopes, avant de trancher : On utilise le progrès, ou on attend la certitude des choses et on revient à la préhistoire ! »
On ne sait en fait que peu de choses de ces nouveaux contraceptifs. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Anses) explique d’ailleurs qu’« aucune étude épidémiologique n’est disponible concernant les effets des pilules estroprogestatives à base d’estradiol ».
La revue scientifique Prescrire conclut que « l’estradiol n’est pas un progrès ». « Les effets indésirables de l’association estradiol + diénogest (soit la pilule Qlaira, ndlr), tels que les nausées, les tensions mammaires, les céphalées sont globalement les mêmes qu’avec les autres estroprogestatifs. Tout en insistant sur le fait qu’on ne sait pratiquement rien sur les risques d’accidents cardiovasculaires, notamment thromboemboliques ».
La pilule divise la profession. « La référence internationalement admise depuis quarante ans, c’est l’éthinylestradiol, rappelle le médecin Michel Coletti, qui préfère jouer la prudence. Dans l’état actuel des connaissances, il n’y a rien de mieux. »