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Au Sénégal, la bouse fait bouillir la marmite
jeudi, 20 décembre 2012
/ Corinne Moutout / Tout au long de l’année 2013, vous retrouverez dans les pages de « Terra eco » les rencontres de Corinne Moutout, qui s’est lancée, en famille, dans un tour du monde journalistique. Elle entend témoigner de quelques-unes des milliers d’initiatives qui émergent et qui contribuent, chaque jour, à construire un monde durable. Ce périple l’emmènera dans pas moins de onze pays. Première étape : le Sénégal. Retrouvez aussi ces reportages dans l’émission « C’est pas du vent », sur l’antenne de RFI : www.rfi.fr/emission/cest-pas-vent |
Grâce à un programme-pilote, des familles rurales bénéficient de biodigesteurs transformant les déjections animales en méthane. Elles utilisent ainsi le gaz pour la cuisson des aliments et les effluents pour les cultures de maïs.
Balayés par un vent léger, les plants de maïs chatouillent de leur cime le visage d’Abdoulaye Ndiaye et de son visiteur, Matar Sylla. En se hissant sur la pointe des pieds pour porter le regard au-delà des épis en floraison, le vieux paysan et l’ingénieur du programme national de biogaz domestique du Sénégal (PNB - SN) égrènent avec malice les éléments d’une comparaison avantageuse avec le champ voisin. « Les tiges de mes plants sont plus hautes, plus vigoureuses ; les feuilles plus vertes et plus fournies. Ma récolte promet d’être bien meilleure », s’enthousiasme l’un. « C’est si clairsemé et rabougri qu’on ne dirait pas que vous cultivez la même chose », s’amuse son cadet. Pourtant, il s’agit bien de la même culture. Sauf que l’exploitation d’Abdoulaye Ndiaye est nourrie depuis un an au fertilisant organique très puissant rejeté par le biodigesteur que lui a installé Matar Sylla, tandis que l’autre ne connaît que les intrants chimiques.
« Nos filles ont retrouvé le chemin de l’école car, jusque-là, nous avions besoin de leur aide pour porter les fagots. Et quand on sait que les Africaines ont toujours ou presque un enfant dans le ventre, un autre accroché au dos et un troisième qui traîne dans leurs jambes, c’est autant de monde en cuisine dont les yeux et les poumons ne souffrent plus des fumées toxiques de la cuisson au bois », précise la seconde.
A la base, le biodigesteur est une fosse septique, semi-enterrée, que son propriétaire emplit quotidiennement des déjections de son bétail. Complété d’une quantité équivalente en eau, le mélange se déverse dans une autre cuve, qui, elle, est totalement souterraine et crée donc l’environnement anaérobie (sans air et sans oxygène) nécessaire à une dégradation rapide de la matière. Il s’en dégage plusieurs gaz dont le méthane, connu pour être un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2, et qui, ainsi séquestré, épargne l’atmosphère en même temps qu’il devient l’énergie domestique de la maison. « Dix têtes de bétail suffisent à l’alimentation d’un biodigesteur de 8 m3, la plus petite de nos installations. En retour, celui-ci fournit l’énergie de cuisson pour les trois repas quotidiens d’une famille traditionnelle sénégalaise, composée d’environ 15 personnes. Il est aussi possible d’éclairer la même maison au méthane, mais seulement avec les plus grosses de nos installations, celles de 18 m3 », précise Matar Sylla.
Quant à la matière fécale dégradée, désormais liquide et débarrassée de tous ses éléments pathogènes grâce au travail en anaérobie des bactéries, elle devient un « bio-effluent », dont les effets fertilisants s’avèrent bien plus puissants que ceux des autres engrais, y compris naturels. Le Sénégal est le dernier pays en date à avoir rejoint le programme de partenariat sur le biogaz en Afrique, qui, il y a plusieurs années déjà, a séduit quatre Etats de l’est du continent (Kenya, Tanzanie, Ouganda, Ethiopie) avant de s’implanter plus récemment en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso). C’est d’ailleurs au vu des résultats probants dans ces pays que le gouvernement du Sénégal a approché, à la fin de l’année 2009, les deux ONG néerlandaises, Hivos et SNV, instigatrices du projet pour la mise en place d’une phase-pilote de trois ans. « Ce programme a tout son sens dans notre pays, dont la population est à 80 % rurale », explique Anne Correa, la coordinatrice du PNB - SN.
Mais, au vu des déboires multiples et prolongés du précédent gouvernement dirigé par Abdoulaye Wade, qui n’a pas assuré, entre autres, la formation de maçons spécialisés dans ce type d’ouvrages – une carence qui est aujourd’hui la principale raison du retard du programme –, les deux ONG ont jeté l’éponge. Les autorités sénégalaises ont donc repris à leur compte la totalité de la subvention, un engagement prolongé par la nouvelle équipe du président Macky Sall, arrivée au pouvoir en mars dernier. Il n’empêche, malgré son succès – 1 000 demandes de biodigesteurs sont en attente – le PNB - SN est menacé tandis que, faute de fonds, dilapidés par le clientélisme d’Abdoulaye Wade, le gouvernement de Macky Sall envisage de suspendre la subvention. Or, le coût d’un biodigesteur, qui, selon sa taille, varie de 350 000 francs CFA (525 euros) à 800 000 (1 200 euros), est bien trop élevé pour la plupart des foyers ruraux. Et ce, même s’ils réduisent d’un tiers leur apport personnel en assurant les fouilles nécessaires à l’installation de l’ouvrage, ainsi que la fourniture d’eau, de sable et de graviers, présents en abondance dans leur environnement proche.
A Ndiayen Keur Moussa, Abdoulaye Ndiaye rêve de nouveaux projets développés grâce au biodigesteur. Déjà, l’équipe du PNB - SN l’a aidé à construire une étable pour abriter son bétail, et lui a appris à utiliser les résidus de maïs et de mil comme fourrage. « Je n’ai plus besoin de laisser mes bêtes en pâturage la nuit. C’est plus facile pour collecter la bouse et je risque moins le vol de bêtes. En plus, parce qu’elles parcourent moins de kilomètres pour se nourrir, mes vaches sont plus grasses et produisent davantage de lait », explique le paysan. Au fond du jardin maraîcher, une nouvelle cuve, rectangulaire celle-là, a fait son apparition. « Bientôt, j’aurai ici des alevins nourris à l’effluent du biodigesteur. Nous qui sommes loin de tout cours d’eau, nous pourrons enfin manger du poisson frais. » Finie la friture séchée, puante et indigeste ! Qui a dit que le méthane était un gaz nocif ? —
Et en France
Le site du programme de partenariat sur le biogaz en Afrique
Etude de l’Ademe sur la situation du marché du biogaz en France