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« Les formations politiques sont des entreprises à distribuer les postes »
jeudi, 6 décembre 2012 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Pour le politologue Guillaume Bernard, l’obsession de conserver le pouvoir, les mandats et les financement publics entrave l’efficacité des partis.

Guillaume Bernard est maître de conférences à l’Institut catholique d’Etudes supérieures (ICES). Il est spécialisé en histoire des institutions publiques et des idées politiques.

Terra eco : Comme le PS hier au Congrès de Reims (1), l’UMP vit aujourd’hui des dissensions internes. Y a-t-il selon vous une crise des partis politiques ?

Je pense que oui. Les partis ont des difficultés face au monde qui change. Ils ont du mal à se positionner face aux inquiétudes des électeurs. Depuis une trentaine d’années on a connu la chute du bloc de l’Est, le 11 septembre, la crise financière, les biotechnologies. Les repères idéologiques ont basculé. Quel discours avoir face à ces bouleversements mondiaux qui dépassent largement les partis ? Il y a aussi un décalage entre les discours de campagne et la capacité à réaliser ce qu’ils ont promis au moment du passage au pouvoir. La crise est due à cette distorsion entre discours et réalisation ainsi qu’à la difficulté d’avoir une doctrine politique cohérente.


Cette crise est-elle aussi due à la présidentialisation du système ?

Dans le système partisan, deux grands modèles existent : d’un côté le bipartisme anglo-saxon, de l’autre côté le multipartisme. Dans les démocraties occidentales ce multipartisme est bipolaire. En clair, il y a plusieurs partis qui s’organisent en deux camps. Dans une élection présidentielle au suffrage universel à deux tours comme la nôtre, on aboutit généralement au combat final de deux candidats, un de chaque camp, même si ça n’a pas été le cas en 2002 (avec la présence de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour, ndlr) ou à l’élection de 1969 qui a vu s’opposer Alain Poher (Mouvement républicain populaire, centriste) à Georges Pompidou (Union pour la défense de la République, gaulliste). En 1995, c’est au premier tour qu’on a vu s’opposer deux candidats du même parti : Edouard Balladur et Jacques Chirac. Pour éviter ce genre de situation, les politiciens essaient de prendre l’ascendant. Car celui qui garde la marque, gagne la victoire. Si Jean-François Copé s’est tellement acharné à conserver les manettes c’est parce que c’est seulement en conservant l’étiquette qu’il pourra faire des élus. Quand vous votez pour les municipales – sauf si vous habitez un village de 3 000 habitants – vous votez pour l’étiquette et non pour la personnalité. Garder l’étiquette permet aussi de conserver les financements publics.

Les partis politiques sont un peu devenus des machines à gagner…

Bien sûr. Ce sont des entreprises à distribuer des postes. La science politique nous dit que le rôle des partis c’est de faire des programmes, de structurer l’opinion et de sélectionner des candidats. Mais il faut être honnête. Dans la préoccupation principale d’un cadre, c’est le troisième aspect qui est le plus important. Ce sont des professionnels. On n’est pas à Athènes sous Périclès ou au Sénat romain sous Cicéron. A cette époque, les politiciens avaient une fortune personnelle et faisaient de la politique pour faire quelque chose. Aujourd’hui, la professionnalisation de la politique est en partie une bonne chose. Les hommes politiques font des études, ont des qualités techniques. Mais c’est aussi un métier qui leur permet de vivre. L’enjeu dans une crise comme celle de l’UMP c’est aussi de défendre les postes de tous ceux qui soutiennent le parti : les cadres, les élus, etc.

Les partis ont perdu une partie de leur fonction originelle. Pensez-vous qu’il faille les affaiblir ou même les faire disparaître ?

Avant, organiser un référendum coûtait une fortune. C’est vrai que par le biais des nouvelles technologies on pourrait le faire facilement. Mais les opposants à la démocratie directe assurent qu’on laisserait ainsi les extrêmes dominer le débat. Je ne suis pas convaincu par un tel argument. Je pense qu’on pourrait favoriser davantage de démocratie directe, ce qui n’empêcherait pas la constitution d’une Assemblée représentative. Le problème c’est que les partis politiques perdraient en partie leur rôle et ils ne sont pas prêts à le faire. Lors d’un débat auquel j’ai participé il y a quelques années avec Manuel Valls et un représentant de l’UMP, j’avais évoqué le problème du mandat représentatif et le fait que les élus à l’Assemblée ne soient pas démis de leurs fonctions s’ils ne respectent pas leurs promesses électorales. J’ai reçu une volée de bois vert de la part de l’un et de l’autre. Il y a une hostilité à la démocratie directe de la part des personnalités politiques, pour de bonnes raisons – la défense d’un débat policé – et pour de mauvaises raisons – la perte du pouvoir.

Peut-on vraiment continuer à dire que les partis politiques sont indispensables à la démocratie ?

On peut effectivement en douter.


(1) En novembre 2008, le congrès de Reims avait donné lieu à une véritable cacophonie entre plusieurs motions du Parti Socialiste, et les candidats au poste de premier secrétaire (Ségolène Royal, Martine Aubry, Benoît Hamon) s’étaient déchirés. Martine Aubry avait finalement été élue avec 50,04 % des votes.