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Quatre bonnes raisons d’en finir avec l’austérité
mercredi, 2 mai 2012 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

La rigueur devait être la solution à la crise. Mais le remède semble pire que le mal, et l’austérité nous envoie dans le mur. Et si on changeait de cap ?

Mise à jour le 6 mai 2013 : Nous republions cet article au lendemain de la manifestation contre l’austérité organisée dimanche 5 mai par le Front de gauche et le NPA.

Parce qu’on a déjà (beaucoup) essayé

Très rares sont les pays européens qui n’ont pas coupé dans les dépenses, réduit les salaires ou les pensions, augmenté les impôts et les taxes... De nombreux gouvernements et dirigeants ont même été évincés ou ont démissionné afin que l’austérité s’impose. Comme nous vous le montrions avec notre carte interactive en décembre dernier, toute l’Europe s’est lancée dans une grande course à l’austérité.

Parce qu’on a échoué

L’Europe a mis le paquet sur la rigueur. Pour quels résultats ?

- La Grèce a voté son premier plan de rigueur en février 2010. Depuis, elle a annoncé chaque mois de nouvelles mesures ou de nouveaux paquets de mesures. Les conséquences sociales et sanitaires sont dramatiques. Le bilan économique n’est pas meilleur. La récession économique est pire que prévue, elle devrait encore dépasser les 5% en 2012. Le pays a détruit 300 000 emplois en 2011, son taux de chômage grimpe à 19%. Même la troïka, c’est-à-dire le groupe des financiers du pays, a conclu que l’austérité avait aggravé la situation du pays.

- En Grande-Bretagne, David Cameron avait promis l’austérité. Nommé Premier ministre en mai 2010, il a tenu parole avec un plan de rigueur voté dès septembre. « Les bibliothèques municipales ferment par centaines, les allocations sociales diminuent et 110 000 emplois ont été supprimés pendant l’été dans le secteur public. Mais les comptes de l’Etat s’en ressentent à peine, malgré une légère amélioration sur les cinq derniers mois cumulés », jugeait l’agence AFP un an après. Huit mois plus tard, c’est encore pire. Le pays est officiellement retombé en récession et les déficits s’annoncent bien plus élevés que prévus.

- On pourrait dresser le même bilan en Espagne, qui connaît le pire taux de chômage de son histoire, ou encore au Portugal. La situation est dans ces pays pire aujourd’hui qu’avant la mise en place des plans d’aide. Seule l’Irlande semblait pouvoir tirer profit de la rigueur. Mais l’ancien Tigre celtique est retombé en récession fin 2011.

- Pire, même les pays n’ayant pas adopté de plan sont frappés par l’austérité. Les Pays-Bas, dont l’économie dépend beaucoup de ses voisins, ont vécu une année 2011 calamiteuse. Résultat : après de vive dissensions, le gouvernement a démissionné mais le ministre des Finances a, juste avant de partir, eu le temps de décider... un plan d’austérité.

L’Europe dans son ensemble devrait voir sa croissance divisée par deux en 2012 (0,9%), alors qu’aux Etats-Unis et au Japon, le PIB sera en hausse en 2012 (2% et 2,9% respectivement). Lecteur de Terra eco, vous savez que la croissance n’est pas la panacée. Elle reste toutefois un bon indicateur de santé économique à court terme et à cette aune, ce résultat est inquiétant.

Parce que de plus en plus d’études confirment que le remède est pire que le mal

Il y a ceux qui dénoncent l’austérité depuis ses débuts. Ceux qui expliquent que l’austérité a certes déjà fonctionné pour des pays en particulier, mais qu’elle est suicidaire à l’échelle d’une zone économique.

- A commencer par le Prix nobel d’économie Paul Krugman, qui, éditorial après éditorial, explique dans les colonnes du New York Times que l’« austérité tue l’Europe » : « Comment les choses ont-elles pu aussi mal tourner ? La réponse que vous entendez tout le temps, c’est que la crise de l’euro a été causée par l’irresponsabilité des Etats. Allumez votre télé et vous entendrez un expert dire que sans sabrer dans les dépenses, nous allons finir comme la Grèce. La Grèce, vraiment ? Mais la vérité est presque à l’opposé. Bien que les dirigeants européens continuent d’assurer que le problème est que l’on dépense trop, le vrai problème est que l’on dépense trop peu en Europe. Et que les incessants appels de ces dirigeants à toujours plus d’austérité ont joué un rôle majeur dans l’aggravation de la situation. »

- En France, l’OFCE (l’Observatoire français des conjonctures économiques) a décrit le cycle infernal de l’austérité : « Les mesures d’austérité annoncées vont peser sur les demandes intérieures de chaque pays, mais aussi sur la demande adressée aux pays voisins, de telle sorte que l’effet des resserrements budgétaires va se démultiplier. » A en croire l’institution, ces plans vont mener à une récession dans la plupart des pays européens en 2012. Pour respecter coûte que coûte son engagement de réduire le déficit à 3% en 2013, la France n’aurait plus alors qu’une solution : lancer un nouveau plan d’austérité...

D’autres institutions rejoignent peu à peu cette opinion :

- Les économistes de l’ONU ont ouvert le bal en juin dernier : « Les mesures d’austérité prises par certains pays comme la Grèce et l’Espagne non seulement menacent l’emploi dans le secteur public et les dépenses sociales, mais rendent la reprise plus incertaine et plus fragile. »

- Le FMI (Fonds monétaire international) a emboîté le pas en janvier : « Tous les pays ne doivent pas rééquilibrer de la même manière, ou en même temps, sous peine que leurs efforts s’entre-détruisent. »

- En début de semaine, c’est l’OIT (Organisation internationale du travail) qui y allait de sa mise en garde. Pour elle, « le piège de l’austérité est en train de se refermer ». « Depuis 2010, et malgré les déclarations favorables à l’emploi [...], la stratégie politique s’est détournée de la création d’emplois et de l’amélioration des conditions de travail pour se concentrer sur la réduction des déficits budgétaires à tout prix. » Or, « l’austérité s’est traduite par une faible croissance économique, une volatilité accrue et une détérioration des bilans des banques qui débouchent sur une contraction supplémentaire du crédit, une baisse de l’investissement et, par conséquent, de nouvelles pertes d’emploi », analyse-t-elle.

Parce que des alternatives existent

Les dirigeants européens se comportent aujourd’hui comme de bons pères de famille qui dépensent moins pour faire des économies. Mais l’Europe n’est pas un ménage, et elle a aussi besoin de créer des richesses pour rembourser ses dettes. Il faut donc réconcilier création de richesse et réduction de l’endettement.

Il ne suffit pas de changer la loi afin que les Etats se financent directement auprès de la banque centrale, sans les banques privées. Il ne suffit pas non plus d’effacer purement et simplement la dette de la Grèce. Certains, comme le Comité Roosevelt 2012, proposent plutôt de mêler ces solutions dans un plan bien plus vaste. Il y a quelques semaines, nous vous présentions également deux initiatives permettant de financer la transition vers une économie plus sobre sans perpétuer notre modèle économique basé sur l’endettement. Une chose est sûre, les alternatives ne sont pas simples. Mais elles existent.

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