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« Il faut passer à la semaine de 32 heures »
jeudi, 16 février 2012 / Anaïs Gerbaud

Avec un partage équitable du travail, l’économiste Pierre Larrouturou estime que 1,5 million d’emplois pourraient être créés.

Initiateur de la semaine de quatre jours, Pierre Larrouturou propose un système de partage du temps de travail équivalant à 32 heures. La répartition se ferait à la carte, en fonction de l’activité et de la profession. En échange de cotisations sociales, les entreprises s’engageraient à embaucher en CDI. Le concept a abouti à la « loi Robien » en 1996. Facultative, elle n’a été mise en place que dans 400 entreprises. Avec les 35 heures, le concept de Pierre Larrouturou a été vidé de sa substance. Aujourd’hui, alors que le Parti socialiste ne table plus sur la réduction du temps de travail, Europe Ecologie - Les Verts (EELV) a fait appel à lui et a inscrit la semaine de 32 heures dans son programme. Ancien membre du Parti socialiste, il a rejoint EELV en 2009 et été élu aux élections régionales en Ile-de-France. Mais depuis décembre dernier, il siège comme indépendant car il a démissionné du parti d’Eva Joly.

Le chômage partiel pour sauver son emploi, n’est-ce pas une étape de plus vers la précarité ?

En 2009, l’Allemagne connaissait une récession de - 4,8 %, contre - 2,4 % chez nous. Aujourd’hui, on compte 1,2 million de chômeurs de plus en France qu’il y a deux ans tandis que, en Allemagne, cette hausse se chiffre à 220 000. Le Kurzarbeit (chômage partiel en allemand, ndlr) est une des mesures qui a permis ce résultat, en maintenant le revenu à 95 % (1). Mais Nicolas Sarkozy s’est fait élire sur le « travailler plus ». A-t-il vraiment la volonté de changer les choses ? Cette décision arrive très tard.




Doit-on laisser la liberté à chaque entreprise de négocier la durée de travail avec ses salariés ?

Bien sûr que non. Avec des millions de chômeurs comme en France, les employeurs diront au salarié d’aller voir ailleurs s’il n’est pas satisfait. Un des objectifs de l’UMP est de rompre avec le contrat social. Si l’on enlève la durée légale de travail, le partage sera encore plus inégal, avec beaucoup de temps partiels d’un côté et des semaines à 50 heures de l’autre. Si la négociation n’est pas collective et nationale, on assistera à un dumping social terrible.

Depuis 1993, vous n’avez jamais cessé de défendre la semaine de 32 heures. Cette idée est-elle réaliste, alors que la réforme des 35 heures est déjà critiquée ?

J’avais moi-même critiqué la réforme des 35 heures. Les deux lois successives exigeaient trop peu. Pour que la réduction du temps de travail fonctionne, il faut qu’elle soit forte, à 32 heures. Surtout, il faut exiger des employeurs 10 % d’embauches en CDI en contrepartie des exonérations de charges sociales (2). En France, 400 entreprises, comme Mamie Nova ou Fleury Michon, utilisent ce système. Elles n’ont ni augmenté leurs coûts de production ni touché aux salaires. Ainsi, on pourrait créer 1,5 million d’emplois, à condition que la loi soit réellement négociée. Si la gauche gagne en 2012, elle doit se saisir de cette question, et le gouvernement devra instaurer un dialogue d’au moins trois mois avec les partenaires sociaux.

Les Français sont-ils vraiment prêts à réduire davantage leur temps de travail ? Qu’est-ce que cela peut apporter à notre société ?

La mentalité change petit à petit. Depuis quelques années, les agriculteurs aussi veulent prendre des vacances. Chez Mamie Nova, après dix ans d’expérimentation, on voit que le stress des salariés est moindre, au point qu’ils s’engagent plus dans la vie associative. Cela peut changer notre vie, si l’on œuvre sur d’autres leviers en même temps, une politique culturelle par exemple. Sous le Front populaire, entre 1936 et 1938, on a fait en sorte que les villages puissent accueillir les vacanciers pour peu d’argent. On ne peut pas attendre 65 ans pour avoir le temps de vivre. —

(1) Selon le nouvel accord sur le chômage partiel signé entre les partenaires sociaux et l’Etat le 7 février dernier, le maintien du salaire net devrait être effectif à 90 %.

(2) Dans son dernier ouvrage – Pour éviter le krach ultime (Nova Editions, 2011) –, Pierre Larrouturou propose une réduction de 6 % des cotisations chômage et de 2 % pour les autres cotisations, comme la Sécurité sociale.

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