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Le canon à neige jette de la poudre aux yeux
lundi, 13 février 2012
/ Cécile Cazenave
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L’enneigeur est devenu l’outil indispensable pour attirer le touriste dans les stations de sports d’hiver. Les associations écolos, elles, assurent qu’il n’est pas tout blanc…
Attention, attention, ne dites pas « canon à neige ». Dites « enneigeur ». Au royaume des sports d’hiver, il est de bon ton de remiser l’image militaire, trop guerrière. C’est que « les aspects rudimentaires des débuts ont fait place à des outils technologiques », justifie Laurent Reynaud, délégué général de la chambre professionnelle des opérateurs de domaines skiables. L’engin, d’ailleurs, ne produit plus de la « neige artificielle », mais de la « neige de culture » ou mieux, « de production ». « Nous sommes les agriculteurs de la neige, souligne-t-il. Nous n’utilisons que de l’eau et de l’air : ce n’est pas bio, mais presque ! »
A l’en croire, on peut donc installer des canons la fleur au fusil. Les machines ont d’ailleurs poussé comme pâquerettes en montagne. En 1980, une dizaine de stations, pionnières en leur genre, enneigeaient artificiellement 19 hectares de pistes. Aujourd’hui, la quasi-totalité d’entre elles possèdent des engins qui arrosent près de 5 300 hectares, soit une piste sur quatre. De canon à enneigeur, l’instrument lui-même n’a pas beaucoup changé. Deux spécimens se côtoient sur les pentes : une sorte de gros ventilateur et une perche, équipée d’une buse. Tous deux aspergent. Bonne nouvelle : sous toutes ses formes, le canon est made in France. Le constructeur Johnson Controls Neige, certes à capitaux américains, est installé à Dardilly (Rhône), près de Lyon.
L’entreprise leader du marché conçoit, fabrique et installe quelque 2 000 engins faits maison chaque année. Mais réalise à peine 35% de son chiffre d’affaires sur les pistes hexagonales. Car le canon s’exporte bien : Europe du Nord, Europe centrale, Australie et désormais Russie, le nouvel eldorado des sports d’hiver. Le principe, lui, est indéboulonnable : il consiste à pulvériser des gouttelettes d’eau sous pression dans un air à température négative. Une opération qui demande pas mal d’énergie. « La recherche a été concentrée sur l’économie des ressources : en dix ans, nous avons divisé la consommation énergétique de nos appareils par dix », explique Maxime Rougeaux, responsable du marketing. Un parc d’enneigeurs absorbe aujourd’hui en moyenne 2,8 kWh par mètre cube de neige artificielle.
1 m3 d’eau pour 2 m3 de neige
Le volume d’eau nécessaire à la fabrication de la poudre blanche est, en revanche, incompressible. En matière de glace, la physique de base est souveraine. Il faudra toujours 1 m3 d’eau pour produire 2 m3 de neige artificielle. Et plus il y a de machines, plus il faut d’eau. Entre 1995 et 2008, le volume pulvérisé a augmenté d’un million de mètres cubes pas an pour atteindre aujourd’hui quelque 19 millions de mètres cubes pour une saison. « C’est peu par rapport à l’industrie ou à l’agriculture ! », souligne Guy Vaxellaire, vice-président de l’Association nationale des maires de stations de montagne. Mais, à l’inverse des autres usages, la ponction est concentrée dans le temps. On n’a guère besoin de neige de culture d’avril à novembre… Où trouver l’eau ? D’abord dans les cours d’eau proches. « A cette période de l’année, le milieu montagnard est particulièrement fragile, les torrents sont en période d’étiage, c’est-à-dire de basses eaux : les dégâts peuvent être importants », alerte Jacques Pulou, spécialiste de l’eau à la Fédération Rhône-Alpes de la protection de la nature. Autre solution, utiliser le stock d’une retenue collinaire que les eaux de ruissellement auront rempli pendant l’automne. Bien souvent, hélas, le volume de ces petits barrages de montagne est insuffisant. Il faudra les remplir de nouveau en pompant… dans les cours d’eau ou les nappes souterraines !
« La même chose qu’à Dubaï »
Les associations s’inquiètent du manque de connaissance des impacts de ces mécanismes qui nous permettent de skier même sans neige. Elus et professionnels des sports d’hivers préfèrent, eux, penser aux 150 000 emplois liés aux activités des stations françaises. Guy Vaxellaire, maire de La Bresse, dans les Vosges, garde en mémoire l’hiver dernier, particulièrement doux. « Sans neige de culture, 50% du chiffre d’affaires de la station y passait, et les saisonniers avec », se rappelle-t-il. Car en matière de neige, ce qui compte désormais, c’est d’assurer au vacancier qu’il en aura, coûte que coûte.
La neige de culture, qui permettait jadis de combler quelques trous dans la piste pendant une semaine de redoux, est désormais une assurance exigée par les tour-opérateurs. Le sésame qui permet d’investir massivement dans d’autres équipements touristiques. « Grâce à la neige de culture, nous avons pu prémunir le produit neige contre l’aléa climatique : c’est un outil efficace et rentable », lance Laurent Reynaud. C’est rentable, mais c’est avoir la vue courte, dénoncent les détracteurs de l’enneigeur, qui scrutent les futurs impacts du changement climatique sur la montagne. « Le canon, c’est la face cachée de l’iceberg, enrage Vincent Neirinck, chargé de mission à l’association Mountain Wilderness. C’est la garantie qu’une mono-industrie basée sur le ski alpin va se maintenir : on vend la même chose qu’à Dubaï. Et quand il n’y aura plus de neige qui tombera du ciel, tout s’effondrera. »
Rapport du ministère de l’Ecologie sur la neige de culture
Le site des acteurs du secteur sur la neige de culture
Le site de l’ONG Mountain Wilderness