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Faut-il annuler la « dette odieuse » grecque ?
mardi, 22 novembre 2011
/ Thibaut Schepman / Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir. |
Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Saint-Cyr et blogueur, a répondu à nos questions sur la dette grecque, après avoir visionné le documentaire Debtocracy.
|Un énième plan de rigueur a entraîné la démission de plusieurs députés et un regain de violences en Grèce ce dimanche 12 et lundi 13 février. Le besoin d’une alternative à l’austérité est plus pressant que jamais. L’occasion de relire l’interview d’Alexandre Delaigue sur l’utilité d’une annulation de la dette grecque.|
En effet, les créanciers, après un défaut, risquent de refuser de prêter ou vont prêter à taux très élevé aux Etats. Les gouvernements se demandent donc s’il est plus rentable d’annuler leur dette actuelle mais de ne plus pouvoir recevoir de prêt ensuite, ou bien de continuer à rembourser la dette et de pouvoir emprunter encore. C’est un calcul assez simple et l’option la plus rentable est très souvent la seconde, car les Etats ont presque toujours besoin d’emprunter. Dans l’Histoire, les annulations de dette ont eu lieu quand la première option était plus rentable, ce qui est rare.
Le documentaire montre le cas de l’Equateur, où une Commission d’audit intégral du crédit a été mise en place pour annuler les dettes odieuses. Il semble que le calcul n’était pas seulement économique à l’époque.
Ce n’est pas comme ça que cela s’est passé. En réalité, le Président Rafael Correa a décidé d’annuler la lourde dette du pays dès son arrivée au pouvoir, justement parce que c’était économiquement intéressant. Le pays était très endetté et prenait peu de risques en ne remboursant pas. En effet, il disposait de beaucoup de liquidités grâce à ses ressources pétrolières, et avait donc peu de besoin d’emprunt. Par ailleurs il avait l’assurance d’avoir des prêts de certains voisins grâce à leur proximité politique. La Commission sur la dette n’a donc fait que valider une décision déjà prise. On est dans de l’habillage politique, pour légitimer une décision économique.
La Grèce souffre d’un déficit primaire. Cela veut dire que son budget est dans le rouge même si l’on ne tient pas compte du remboursement de la dette. Ce déficit primaire est très élevé : il dépasse les 6%. Donc si elle cessait demain de rembourser sa dette, elle serait très rapidement à court de liquidités parce que ses dépenses excèdent largement ses recettes. Aucun créancier ne voudrait lui prêter de l’argent, à cause de son défaut, donc elle devrait aller encore plus loin dans l’austérité, en augmentant les impôts ou en procédant à de vastes coupes budgétaires. Si la Grèce annulait sa dette, ce serait la panique, avec un coût trop élevé pour le pays.
Le tour de vis imposé à la Grèce est inédit dans l’histoire, il est extrêmement rapide et a des conséquences dramatiques. La Grèce n’aurait jamais autant souffert avec une aide du FMI. Et la contagion au reste de la zone euro n’aurait pas été aussi rapide. Enfin, le fonds aurait laissé la Grèce négocier une décote avec ses créanciers alors qu’aujourd’hui l’Europe négocie cela directement avec les banques. De même, il y a un membre de l’UE derrière chaque ministre grec. Ce sont des dénis de démocratie très graves.
On disait d’elle que c’était un futur dragon, elle a été tirée par sa politique monétaire et il y a eu un afflux de capitaux brusque vers le pays. Puis, violemment, ses capitaux sont repartis notamment à cause de la concurrence des pays voisins. Le pays s’est enfoncé dans la crise et on a accusé son indolence et sa corruption. Alors que le vrai problème est monétaire. C’est complexe, et moins attirant qu’un complot, mais c’est très intéressant sur notre vision politique et les leçons que l’on ne tire (pas) du passé.
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