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1990-2010 : Notre (r)évolution carbone
vendredi, 30 septembre 2011
/ Emmanuelle Vibert
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Des joujoux électroniques aux vacances, nos vies sont de plus en plus riches… en CO2. Pour la première fois, le cabinet de conseil Carbone 4 a passé au crible vingt ans de bouleversements dans notre consommation.
Nous sommes bien d’accord, le Français moyen n’existe pas. Mais pour y voir plus clair dans les chiffres de l’étude du cabinet Carbone 4, Terra eco a inventé Eve, une consommatrice médiane. Et vous trouverez sûrement un peu de vous dans cette tranche de vie imaginaire vue par la lorgnette des émissions de gaz à effet de serre.
Ce qui pèse le plus lourd : son alimentation (2 649 kg). La viande rouge surtout mais aussi les produits laitiers, ça dégage énormément. Or Eve en fait consommer à sa petite famille à tous les repas ou presque. En numéro 2 vient le poste transport : 1 710 kg. A cause surtout de sa voiture, un modèle de base sans option, qui roule à l’essence. Elle lui est indispensable au quotidien, pour accompagner ses enfants à l’école, se rendre à son travail ou faire ses courses. Prendre l’avion oui, c’est très énergivore, mais cela lui arrive rarement, le prix des billets est trop élevé.
Son troisième poste d’émission de GES est tenu par la famille des biens de consommation : 1 519 kg au compteur. Cela comprend principalement les vêtements. Le transport de toutes ces marchandises dégage lui aussi pas mal de gaz. Quant à l’ordinateur, il n’est pas encore entré dans la maison. La télé est un vieux modèle et elle n’a pas été renouvelée depuis des années. L’équipement en électroménager est réduit au minimum. Aussi les émissions liées à la consommation de high-tech d’Eve sont-elles encore marginales. Ça ne va pas durer. Elle aimerait un lecteur DVD, son mari lorgne un ordinateur et l’ainé de ses enfants revendique une console de jeu.
Quatrième poste ? Celui des énergies avec 1 518 kg. Eve chauffe sa petite famille au fioul, une plaie pour le climat. Mais ramené au nombre d’occupants de la maison au mètre carré, le bilan n’est pas si mauvais. En services publics (école, santé, etc.) et en services privés (restaurants, banque, etc.), Eve pèse presque autant que pour chauffer sa maison, soit 1 504 kg.
Commençons tout de même par la bonne nouvelle. Son poste alimentation a baissé de 7,2 %. Eve a compris que l’entrecôte saignante à chaque repas n’était pas indispensable et a décidé de freiner des quatre fers. Elle est en revanche devenue une dévoreuse de yaourts et autres spécialités laitières qui pullulent au rayon frais et a une fâcheuse tendance – pour son compteur carbone – à préférer les produits transformés aux produits simples et frais.
Des progrès à part ça ? Pas vraiment… Pour le poste énergie de son logement c’est le statu quo ou presque : il est en augmentation de « seulement » 2,5 %. Eve a troqué son chauffage au fioul contre des radiateurs électriques, qui émettent beaucoup moins de gaz à effet de serre. Son nouveau logement a par ailleurs une performance thermique bien meilleure que l’ancien. Mais la surface qu’elle occupe – seule désormais – est plus grande, comparée à la surface par personne dans son ancien pavillon. Et Eve bénéficie de tout le confort post-moderne, gourmand en électricité : télévision à écran plat, ordinateur, sèche-linge et autres appareils dont les lumières de veille clignotent 24 heures sur 24.
Côté voiture, Eve a fait des progrès relatifs. Elle prend plus souvent les transports en commun. Elle possède un modèle diesel qui consomme moins de litres au kilomètre qu’en 1990… Mais qui est pourvu d’un système de climatisation, dont le liquide frigorigène climatiquement ravageur anéantit une bonne part des progrès effectués. Et puis l’avion, grâce aux compagnies low cost, coûte beaucoup moins cher que dans sa jeunesse. Alors elle s’offre quelques virées supplémentaires. Au final, son poste transport s’est alourdi de 7,5 %.
Nous vous l’avons dit plus haut, elle a succombé, comme tous ses concitoyens, aux charmes des nouvelles technologies. Télé, ADSL, lecteur DVD, téléphone portable, ordinateur… Elle ne peut plus vivre sans. « Depuis 1990, précise l’équipe de Carbone 4, la croissance de la consommation de nouvelles technologies a été très forte : +13,2 % en volume par an, contre +1,9 % pour la consommation dans son ensemble. » Or toute cette production électronique est très lourde pour la planète. « Il faut extraire puis transformer des minerais divers – fer, cuivre, cadmium, coltan… – aux quatre coins de la planète, avec pour certains des dépenses énergétiques par kg extrêmement élevées. La production puis le travail du silicium de qualité électronique, notamment, requiert beaucoup d’énergie. Il faut également disposer de très nombreux produits dérivés de la pétrochimie ou de la chimie minérale. Enfin le procédé de fabrication est distribué, ce qui occasionne beaucoup de transport de marchandises, avec une part importante de fret aérien. » Et ça, quand Eve parle sur Skype avec son fils étudiant en Chine, elle a un peu tendance à l’oublier ! —
(1) Sachant qu’elle émet d’autres sortes de GES, comme le méthane, on parle « d’équivalent CO2 » ou « d’équivalent carbone » ce qui permet d’évoquer tous les gaz émis avec une unité commune.
Emissions carbone, le mode d’emploi
Comment calcule-t-on son poids carbone ? Il existe plusieurs indicateurs. Et selon les critères d’évaluation retenus, les résultats peuvent s’avérer complètement opposés. Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa) mesure par exemple chaque année les émissions de gaz à effet de serre directes des Français. Celles qu’ils émettent sur leur sol, sans tenir compte du poids en carbone des biens consommés en France mais fabriqués à l’étranger. Du coup, sur vingt ans, il semblerait que nous ayons fait des progrès ! Normal, puisque nous importons de plus en plus de biens de consommation.
Chez Carbone 4, cabinet de conseil en stratégie carbone, dont les chiffres ont été utilisés dans l’article ci-contre, il en va autrement.Ses dirigeants, Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean, ont créé « ECO2Climat », indicateur incluant les émissions de tout ce qui est consommé par les Français, même produit ailleurs. L’évolution sur vingt ans est inverse : une augmentation de 12,4 % par personne. ECO2Climat comptabilise aussi bien les dépenses directes des ménages que les transferts sociaux en nature des administrations vers les ménages (dépenses de santé, d’éducation…) et les dépenses de consommation collective (justice, défense, police, etc.). « L’idée, explique Emmanuelle Paillat, consultante du cabinet, c’est de vulgariser le sujet carbone et de donner des ordres de grandeur pour ensuite être capable de réduire nos émissions. »
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