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Bhoutan : le pays où le bonheur est (vraiment) roi ?
mardi, 27 septembre 2011
/ Raquel Hadida
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Face au libéralisme débridé, le Bhoutan détonne. Ce petit pays asiatique, démocratique depuis trois ans, oriente sa politique selon la mesure du Bonheur national brut. Explications avec le ministre du Travail et une anthropologue.
Il y fait froid, il n’y a pas la mer et on n’y gagne en moyenne que 2 100 dollars (1 560 euros) par an. Qu’importe : au Bhoutan les gens semblent heureux. C’est du moins ce que constatait, en 2007, une étude du Leicester Institute. Il y ressortait que le Bhoutan se situe au 8ème rang mondial, sur 178 pays, dans le classement du bonheur.
Démocratique depuis trois ans seulement, ce pays du cœur de l’Himalaya décline toute sa politique autour de quatre piliers liés au bien-être de la population – développement socio-économique, préservation de l’environnement, bonne gouvernance et vivacité culturelle. Sa technique ? Une commission de planification qui analyse les lois et projets selon les 72 indicateurs du « Gross national happiness » – le Bonheur national brut (BNB) –, instauré en 1972, forcément différent du Produit intérieur brut (PIB).
Un peu plus petite que la la Suisse et peuplée de 700 000 habitants, cette discrète monarchie enclavée entre l’Inde et la Chine montre sa capacité à se préserver sans se scléroser, à s’ouvrir sans se perdre. Interview de Françoise Pommaret, ethnologue et anthropologue, directrice de recherche au CNRS, spécialiste du Bhoutan où elle vit depuis 30 ans et de Dorji Wangdi, ministre du Travail, rencontré à l’occasion des 1ères assises du bonheur à Sète.
Françoise Pommaret : Les Bhoutanais sont loin d’être un peuple servile. Comme les Français, ils se plaignent tout le temps et attendent tout de l’État ! Mais ils sont entendus. Dans un pays aussi petit, avec neuf hebdomadaires et un journalisme d’investigation performant, la mobilisation est rapide. D’autant plus que les moins de 40 ans sont éduqués et branchés sur internet, avec les réseaux sociaux et forums qui tournent à plein régime. Il suffit d’un tollé sur Facebook contre un projet de golf privé par exemple pour le faire suspendre. Avec une telle foi dans ses institutions – y compris la police – la population a confiance en l’avenir. Et le gouvernement fait tout pour ne pas démériter.
F.P. : Selon les critères de l’ONU, 25 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Pour autant, il n’y a pas de mendiants et les gens parviennent à bien s’alimenter et se vêtir. 90 % possèdent des terres, avec un champ à cultiver et parfois une maison, au moins en bambou. L’université est gratuite même si elle est accessible après un concours très sélectif. Le problème, c’est qu’une fois éduqués, les jeunes se désintéressent des métiers manuels – nous sommes en pénurie de plombiers et d’électriciens – et veulent devenir fonctionnaires !
F.P. : Le développement des routes et des communications permet aux paysans de vendre leurs productions, donc de rentrer dans une économie monétaire. Même pour 400 personnes, on installe une antenne mobile, et chaque chef-lieu a son cybercafé gratuit.
F.P. : L’investissement étranger est très encadré : depuis 2010, chaque projet doit apporter 500 000 dollars (370 000 euros) au minimum, et être approuvé par le ministère concerné et par la commission du BNB. En outre, les étrangers ne peuvent pas acheter des terres et exproprier les gens : ils doivent signer un contrat avec un partenaire local.
Les réfugiés népalais, oubliés du Bhoutan
« Jusqu’en 1959, le pays était à 100 % bouddhiste », explique le ministre du Travail bhoutanais. Puis « il a accepté des migrants économiques népalais et indiens, avec des familles nombreuses. » Le sort de ces populations s’est dégradé au tournant des années 1980 avec la loi de citoyenneté et le programme de bhoutanisation, lancé par le roi. Violentés, harcelés, 100 000 Bhoutanais d’origine népalaise, en majorité hindous, quittent alors le pays pour des camps au sud-est du Népal, à la frontière avec l’Inde. Depuis 2005, dans le cadre d’un programme du Haut-commissariat des réfugiés aux Nations-Unis, ils peuvent être accueillis par des pays anglophones, notamment les États-Unis.
Reste quelques autres. « Aujourd’hui, les Bhoutanais d’origine népalaise, appelés les gens du Sud, composent encore 30 % de la population », commente Françoise Pommaret, « ils sont intégrés et ont les mêmes droits que les autres. »
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