https://www.terraeco.net/spip.php?article18520
|
Ce que le cochon chinois fait à l’Amazonie
mardi, 19 juillet 2011
/ Agathe Mahuet
|
Carnivores, les Chinois ? Oui, tendance porc. Heureusement, le soja brésilien est là pour nourrir leurs cochons. La Chine n’hésite d’ailleurs pas à coloniser les terres de son camarade émergent, au mépris de l’Amazonie.
Nourrir 1,3 milliard de personnes n’est sans doute pas chose aisée. Pour les autorités chinoises, le ravitaillement des populations est depuis longtemps une priorité. À la fin des années 1970, Pékin a donc lancé un ensemble de réformes économiques, lesquelles ont privilégié une industrialisation de la production de viande, et non plus l’élevage traditionnel. Sans trop se soucier de l’impact environnemental de telles mesures. Dans un article publié sur fastcompany, Greg Lindsay revient sur les conséquences de ces décisions. Objectif, donc, on s’en doute : développer une production de porc stable et peu coûteuse. Les citoyens chinois ont suivi sans rechigner, multipliant par 4 leur consommation de viande en trente ans, et par 2 celle de porc entre 1990 et 2010.
Aujourd’hui plus que jamais, la population chinoise est sacrément carnivore, avec une préférence pour le cochon (65% de la viande consommée en Chine). Loin devant l’Union européenne, les voilà devenus premiers mangeurs de porc au monde. Tout en restant leaders planétaires en termes de production : avec un recensement de 600 millions de porcs dans ses exploitations cette année (soit près d’un groin pour deux hommes !), la Chine est loin devant. Seconds dans la course, les États-Unis produisaient au même moment 100 millions de cochons.
Dans ce contexte, la Chine s’angoisse de toute hausse du prix du porc, d’autant qu’elle en a déjà fait l’expérience récemment. Lorsqu’en 2006, un syndrome respiratoire surnommé « l’oreille bleue » a tué quelques millions de porcs – donc une infime partie de la population porcine chinoise -, le prix de la bête a subi dans la foulée une hausse de 85,8%. Soit des sommes multipliées quasiment par deux en à peine un an. La traumatisante épizootie a alors poussé la Chine a créer une gigantesque réserve de porcs : à travers tout le pays, sont désormais entreposées dans des chambres froides des quantités de viande de porc congelée. Des stocks uniques au monde, dans lesquels on prévoit de piocher en cas de pénurie.
Avant 2009, une large partie de ce cochon glacé venait tout droit des États-Unis. Quelques trente millions de kilogrammes de porc achetés chez Smithfield Foods, un géant de l’agroalimentaire. Puis vint le temps de l’indépendance, et la Chine a souhaité gérer seule son congélateur géant, relançant de plus belle son élevage personnel. Seulement, pour nourrir toutes ces bêtes, Pékin a dû se rendre à l’évidence. Difficile de produire autant de céréales, alors même que les désastres naturels et l’urbanisation ultra-rapide ont eu raison de ses terres agricoles : plus de 8 millions d’hectares ont ainsi disparu en Chine entre 1997 et 2009.
Seule solution, donc : faire ses courses à l’étranger. La liste est courte : pour les cochons chinois, ce sera maïs ou soja. Dans les deux cas, Pékin est un bon client : l’an dernier, elle importait 1,5 million de tonnes de maïs – il est même prévu que ce chiffre double l’an prochain. Pourtant, c’est le soja qui bat, de loin, tous les records. En 2010, la Chine a importé plus de 50 millions de tonnes de graines de soja - principalement depuis les États-Unis et le Brésil – ce qui représente une large moitié du marché mondial de l’oléo-protéagineux. « Plutôt que de garantir sa propre subsistance, analyse Greg Lindsay dans son article, l’appétit de la Chine pour le porc l’a donc complètement rendu dépendante des fermiers du Midwest (aux Etats-Unis) et de Minas Gerais (un Etat du Brésil, ndlr.) »
Pour la Chine, la solution était d’envoyer sur place ses entreprises d’État, pour qu’elles y achètent ou louent des millions d’hectares de terres agricoles. C’est notamment ce qui s’est passé l’an dernier en Argentine, où la plus grande société agricole chinoise - le Heilongjiang Beidahuang Nongken Group - s’est installée sur quelques 400 000 hectares. Depuis, une autre compagnie chinoise a signé un accord de 2,5 milliards de dollars (1,8 milliards d’euros) pour s’installer au Brésil et y produire des graines de soja.
Sans rire, le fait est que le soja latino pousse deux fois plus vite que l’américain. Notamment parce que le Brésil a développé depuis le début des années 1990 des techniques de production de soja hyper-performantes, permettant notamment de transformer une zone de savane sèche en une riche terre agricole. Brasilia a ainsi multiplié son rendement par 4, entre 1995 et 2009. Et détruit dans le même temps un million de kilomètres carré de son Amazonie.
Les responsables brésiliens n’étant pas complètement idiots, ils commencent à s’interroger sur les bienfaits de ce commerce avec leur petit camarade du groupe des BRICS (1). Car si Brasilia envoie majoritairement en Chine une matière « première » (dont les graines de soja), ce qui lui revient est au contraire manufacturé et ne coûte presque rien (cf. votre T-shirt en coton « made in China ») - ce qui n’aide pas, bien sûr, le secteur industriel brésilien. Or, le pays est en plein essor, certes, mais ses ménages s’endettent toujours plus, explique Greg Lindsay.
Au-delà du (déjà vaste) problème Brésil-soja-Chine-porc, ce petit commerce pose d’autres questions, notamment sur l’avenir des BRICS : Peut-on vraiment former un solide bloc politico-économique lorsque l’on soupçonne son allié d’essayer de nous ruiner ? Récemment, Inde, Russie et Brésil ont tenté de négocier pour que la Chine leur achète moins de matière première et plus de produits manufacturés. La requête peut étonner, pourtant c’est bien l’idée à l’origine des BRICS : s’unir pour défendre ensemble les intérêts de chacun. Mais dans le monde de demain, la priorité pourrait redevenir la subsistance alimentaire de chaque Etat plus ou moins développé. Dans ce contexte, nationalisme des ressources et volonté de contrôler les moyens de production ne sont jamais très loin. Quoiqu’en pensent les Indiens d’Amazonie.
(1) Les BRICS regroupent au sein d’un même « bloc » plusieurs pays qu’on appelle "grandes puissances émergentes" : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, et depuis peu, l’Afrique du Sud.