https://www.terraeco.net/spip.php?article18508
J’ai testé le covoiturage
lundi, 18 juillet 2011 / Agathe Mahuet

C’est promis, la prochaine fois, vous ne vous ferez plus avoir par les tarifs SNCF. Et puisque faire du stop, c’est has been, lancez-vous (enfin) dans le covoiturage.

« Offre à saisir, dernières places disponibles ». Si vous prenez le dernier train ce vendredi, un Paris-Bruxelles vous coûtera 55€. Mais dépêchez-vous donc de réserver. Sinon, si vous avez la chance de vous extirper du boulot avant 18 heures, il vous faudra compter entre 66 et 90€. Aller simple, bien sûr. Autant dire que pour votre week-end en Belgique, vous auriez dû vous y prendre plus tôt. Mais voilà, partir sur un coup de tête, vous aimez bien l’idée.

Alors oui, garer définitivement nos voitures et emprunter les chemins de fer, d’accord. Mais protéger la planète à ce prix-là, bof, pas très motivant. Soyons donc bien clairs. Ce n’est pas franchement pour vous, lecteurs de Terra Eco, que j’ai décidé de tester le covoiturage. Disons, pas exclusivement. Quand l’expédition m’est tombée dessus 10 jours plus tôt, j’ai bien pensé rappeler Bruxelles pour dire aux copains qu’il ne fallait pas compter sur moi. Moins de vingt-cinq ans, donc fauchée. À 100€ l’aller-retour en deux jours, je dis non. Tant pis pour les frites/Jupiler.

Par bonheur, ça a fait tilt’. Allons-y gaiement par la route, me suis-je dit, et tâchons de remplir une automobile. Évidemment, personne autour de moi ne vise Bruxelles en plein mois de juillet, et les amis, eux, sont déjà sur place. J’ai donc décidé d’être un peu moderne.En trois clics et deux mails échangés, j’avais trouvé une voiture, son conducteur, et l’addition. 22€, qui dit mieux ? Le Thalys en regarde encore, tout penaud, le bout de ses rails.

Nous voilà donc en bonne voie vers le Nord, dans une grande voiture. Ah, j’ai passé une étape, essentielle : le premier contact physique, après les SMS qui disent « rendez-vous à 19h porte d’Italie, à la station essence ». La rencontre donc, à 35 mètres, par téléphone. « Je te vois pas. Ah, le monospace bleu, c’est toi ? » Serrage de cuillère, sac dans le coffre, bonjour tout le monde. Et c’est peu dire qu’il y a en a du monde. Cinq passagers, un conducteur, quatre pays représentés. Avec l’ami marocain installé au fond, on a refait le printemps arabe. Les deux Camerounais ont ri de leurs souvenirs, réunis par hasard. Devant, un type de Sciences-Po dodelinait régulièrement du chef, et ma voisine vietnamienne a ri tout le long du trajet. Enfin, pendant deux heures. Ensuite ça dormait sévère.

Gare du midi, tout le monde descend. Et Georges, au volant, de nous confirmer son tarif, visiblement fixe quel que soit le chargement : 22€ par personne. Quand la voiture est pleine, cela fait une jolie marge – 110€ de recettes, pour un coût réel estimé à 55€, péages compris. Mais, arrivé à Bruxelles, chacun y trouve son compte... à moins d’être vraiment pressé : il nous a fallu trois bonnes heures pour faire un trajet que ce cher Thalys fait en 1h20. Le temps, l’argent... ?

Sûr que si nous avions été voisins dans le train, nous n’aurions jamais autant jacassé. Le covoiturage crée du lien, ça vous étonne ? Alors certes, les 123envoiture.fr, vadrouille-covoiturage et autre pouce-pouce.com n’ont pas inventé le concept, mais ils pullulent aujourd’hui sur le net. La plateforme à privilégier ? Celle qui compte un bon million de membres, et sur laquelle on trouve forcément son bonheur ; j’ai nommé covoiturage.fr.

Mais tiens, d’ailleurs, comment ça se passait avant, ces trajets à plusieurs ? À une époque qui précède même le Minitel, certains débrouillards s’organisaient déjà pour faire des économies. Il fallait alors composer les lettres de « Provoya » sur son cadran téléphonique, et l’ancêtre d’Allostop s’occupait ensuite de vous trouver une auto ou des camarades de route, contre une petite participation, histoire de soutenir le service. Demandez-donc à vos parents s’ils s’en allaient souvent de la sorte, au début des années 60.

Profitez-en aussi pour les interroger sur leur gestion des rendez-vous manqués, au temps où les téléphones portables n’étaient que de braves outils de science-fiction. Pas de « kS tu fou, T où ? on taten », par SMS, mais sans doute un peu plus de patience. Une qualité que n’avait pas, manifestement, le type avec qui j’ai covoituré au retour, entre Bruxelles et Paris. 17H, Gare centrale. Nous étions trois à l’heure au rendez-vous, à attendre un quatrième passager qui n’est jamais venu. Ce qui n’a pas plus à Matthieu, pour qui les serveurs belges étaient déjà trop lents, et les automobilistes bruxellois bien trop mous. Laisser un message vocal au poseur de lapins, pour lui dire qu’on part ? « Attends, je vais pas dépenser de crédit pour lui. »

Même si un des passagers sèche le voyage, cela fait toujours quatre personnes dans une voiture. On ne va pas vous refaire le coup du calcul d’émissions de CO2, mais évidemment, ça fait trois voitures de moins sur la même route, au même moment. Le premier site de covoiturage en France se vante même d’avoir permis une économie de 200 000 tonnes de CO2, en quelques 5 millions de trajets.

Le nôtre s’est déroulé sans heurts, peut-être moins gaiement qu’un vendredi soir - quand le week-end est devant nous. Et puis à quelques centimètres les uns des autres, cela devient vite bizarre de parler de DSK en regardant la route. Dans l’habitacle, les conversations de bistrot tournent souvent court. Surtout si le chauffeur enchaîne sur le profil binational d’une candidate pour 2012. « Franchement, elle parle pas français, on comprend rien. » Tais-toi et roule. Faire du covoiturage, ça veut dire s’adapter, rester cool et ne pas poser de questions si le pilote ne te réclame que 20€. Et si vraiment tu n’accroches pas avec les compagnons de route, ferme un oeil, voilà que tu dors.