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Essence : du plafonnement des prix.. aux tickets de rationnement
jeudi, 14 juillet 2011 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Quand le prix à la pompe grimpe, les politiques s’interrogent. Faut-il limiter la hausse du carburant ? Et si oui, comment ? En limitant les taxes pour certains, en grignotant les marges des pétroliers pour d’autres. A moins qu’il faille plutôt contraindre les citoyens à la sobriété.

Le prix de l’essence a atteint un nouveau record. François Hollande a à son tour proposé de plafonner les prix du carburant ce jeudi 19 janvier.

A l’heure des départs en vacances, l’arrêt à la pompe fait plutôt mal. Ce mardi 13 juillet, beaucoup de stations affichaient 1,6 euros le litre de sans plomb. Et la tendance ne risque pas de s’améliorer. Car la demande – portée notamment par les pays émergents comme l’Inde et la Chine – augmente tandis que l’offre – diminution des ressources de pétrole oblige – baisse. Alors pour quelques politiques ou associations, la solution s’impose, limpide : il faut plafonner le prix de l’essence afin que les Français, déjà assommés par la crise économique, ne retrouvent leur pouvoir d’achat fondu comme neige au soleil.

Plafonner le prix oui, mais en agissant par quel bout ? Première solution : commencer par réduire les marges des pétroliers. Ceux-là ont justement été épinglés par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en mai. Ils seraient coupables de répercuter les augmentations du baril à la pompe mais pas – ou peu – les baisses. « Je suis plutôt sceptique sur cette question, avoue Patrice Geoffron, professeur d’économie à l’université Paris Dauphine et directeur du centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières. En France, depuis que la grande distribution a fait de l’essence un produit d’appel, le niveau des marges est plutôt faible. La structure de marché est assez concurrentielle. » « C’est vrai qu’il faut une transparence des marges. Malheureusement à un certain niveau de prix, un ou deux centimes ne font plus vraiment la différence », soupire Thierry Saniez, délégué général de l’association de consommateurs CLCV.

Baisser la fiscalité

D’ailleurs, l’association préconise plutôt de s’attaquer au gros du problème : les taxes. « Pour le super, on a 62, 63% de taxes par exemple. Ce n’est pas une bagatelle, précise Thierry Saniez. Cet outil fiscal a été créé dans les années 50 et 60, à un moment où le carburant n’était pas cher. Mais dans une situation de renchérissement des prix avec un impact sur la population, ce n’est pas illégitime de demander une refonte de la fiscalité. » Une fiscalité composée de deux morceaux : : la TVA d’une part, la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers) de l’autre. Si modifier le niveau de la première nécessite l’autorisation de Bruxelles, pour l’autre, « il n’y a rien à demander à personne souligne Thierry Saniez. Il suffit d’inscrire une réforme dans la loi de finances pour 2012 ». D’ailleurs au début des années 90, le gouvernement Jospin avait adopté le principe d’une TIPP flottante. Abaissée quand le prix du carburant augmentait, elle était relevée dans le cas inverse. « Mais c’était avant qu’il y ait une grande pression sur le marché de la part des émergents. Il n’était pas question à l’époque d’un pétrole à 100 dollars de manière continue », rappelle Patrice Geoffron.

Quelle que soit la méthode adoptée, un plafonnement des prix n’est pas souhaitable pour Yves Cochet, député Vert. « C’est un très mauvais signal pour les exportateurs de pétrole. Ils se diront : ‘Le prix du baril peut augmenter à souhait, ce sont les contribuables français qui paieront pour les automobilistes. C’est aussi un très mauvais signal pour les économies d’énergie ». Et ça risque de creuser un trou dans les caisses de l’Etat, déjà malmenées par la crise. « C’est une politique de gribouille », conclut Yves Cochet qui voudrait quelque chose d’un peu plus radical.

Difficile de réagir assez vite

Patrice Geoffron non plus ne penche pas pour un plafonnement dans un marché « ou aucun acteur ne maîtrise quoi que ce soit. Le seul qui ait un pouvoir c’est l’Arabie Saoudite et encore, son pouvoir est très limité. Tout ce qu’on pourra faire en aval sera artificiel dans ce grand marché mondial ». Et même si l’on voulait agir, encore faudrait-il pouvoir agir vite. « Les prix des carburants sur le marché français répercutent pratiquement instantanément les prix de gros importés. Et il y a une forte volatilité. Comment pourrait-on bloquer les prix à la pompe ? Par quel dispositif instantané ? Avec la variation des prix internationaux, les marges des distributeurs seraient compressées ou augmenteraient. Or les marges françaises sont parmi les plus faibles. Elle n’ont pas la latitude de servir d’amortisseur aux cotations internationales. Et il faudrait bloquer aussi de façon différenciée selon les régions. Car les frais de camionnage ne sont pas les mêmes quand la pompe est à proximité d’un pôle d’importation ou en Auvergne par exemple. Tout cela me paraît très sophistiqué », ajoute Frédéric Plan, de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C).

Alors comment faire pour alléger le poids des carburants sur les épaules des consommateurs ? Distribuer des coupons de carburant aux plus pauvres ? Mettre en place des tarifs sociaux pour les transports en commun ou réinstaurer une prime à la casse réservée aux plus démunis ? « Mais quand on aura fait la liste de tout ça, on se rendra sans doute compte que c’est très insatisfaisant, tempère Patrice Geoffron. La seule réponse efficace avec certitude c’est la sobriété énergétique. En consommant moins, on se met forcément à l’abri des soubresauts de la denrée énergétique ».

Le temps du rationnement a-t-il sonné ?

La sobriété énergétique, ça parle à Yves Cochet. Mais mieux vaut l’imposer que la souhaiter. Son idée à lui se décline en deux temps. « Pour 20% des familles les plus défavorisées, oui, il faut un plafonnement du prix du carburant par le biais d’une aide de l’Etat. Jusqu’à Noël : le temps qu’ils s’habituent au fait que le carburant va devenir plus cher, ce qui est inéluctable », souligne le député Vert. Puis viendra le temps du rationnement. « Je sais que ça fait peur, parce que ça n’est pas une mesure de notre monde où tout coule à flot... » En clair, le gouvernement devrait instaurer un système de quotas individuels de carburant et, pourquoi pas, inventer un marché d’échange pour contenter les plus gourmands et récompenser les plus économes. De quoi réduire assurément les émissions de gaz à effet de serre. De quoi « habituer les Français à une situation de partage. Car les ressources de la planète sont limitées », souligne Yves Cochet.