Le candidat à la primaire socialiste a entamé la course de fond avec une campagne axée sur les jeunes et le social. Et l’environnement ? « Terra eco » lui a posé la question.
Terra eco : François Hollande, la transition énergétique, qu’est-ce que ça vous évoque ?
Quelque chose d’inévitable. Nous allons passer d’un monde à un autre. Nous allons tourner le dos à cette civilisation d’énergies fossiles inépuisables, ce nucléaire peu coûteux, cette croissance qui n’appartient qu’aux pays industrialisés et cette consommation de matières premières forte au Nord et réduite au Sud. Ce monde-là est révolu ou en voie de l’être. Il faut passer à autre chose. ça ne se fera pas en quelques années mais en deux ou trois décennies. En revanche, c’est dès maintenant qu’il faut engager cette transition, pour des raisons qui tiennent à l’environnement, au réchauffement de la planète, à l’économie, à la croissance durable et enfin, pour des questions qui touchent à la sécurité. Pour tout cela, pour ce que j’appellerais nos modes de vie de croissance durable, nous devons passer d’un système à un autre.
Ce discours est plutôt atypique dans la classe politique…
Je ne peux pas répondre pour tout le monde. Moi, je ne veux pas me situer dans la facilité. Nous avons intérêt ensemble à être dans une moindre dépendance par rapport aux énergies fossiles. Nous avons aussi besoin d’une économie capable d’investir dans les nouveaux secteurs. La croissance verte est riche d’incroyables gisements d’emplois et d’innovations. Vous savez, si on donne cet objectif clair et cette direction à notre pays, si nous expliquons les intérêts catégoriels ou individuels qu’il faut dépasser, alors la France redeviendra un pays prêt à se lancer. Ce projet de croissance verte peut unir les générations actuelles et à venir, les catégories sociales et les intérêts conflictuels.
Mais ce passage d’un monde à un autre implique un renchérissement du prix des énergies.
C’est inévitable, effectivement, et la tendance est déjà amorcée. Nous devrons amortir ces hausses par des politiques de redistribution sociale. Sinon, on court le risque d’accroître les inégalités au sein des pays industrialisés d’une part et entre le Nord et le Sud d’autre part.
Evoquer la hausse des prix de l’énergie est politiquement incorrect. Vous l’assumez ?
Je ne suis pas favorable à cette hausse. J’affirme que c’est un mouvement, une tendance, et qu’il n’y a pas de raison qu’on y échappe. Nous assistons à un épuisement général des énergies fossiles. Alors d’accord, nous sommes capables d’aller trouver de nouvelles ressources comme les gaz de schiste. Mais vous en connaissez comme moi les conséquences. Il faut d’ailleurs arrêter tout ce qui a été engagé à ce sujet, même si la recherche et l’évaluation doivent se poursuivre. Je pense que la seule loi à ce sujet ne rassure pas et n’est pas suffisante.
Reconnaissez-vous tout de même que les Français ont été bercés par un discours sur le nucléaire qui leur assurait la sécurité et la garantie d’un prix plancher de l’énergie ?
Nous avions dit – la classe politique dans son ensemble – que le prix de l’électricité issue du nucléaire était moins élevé de 30 % à 40 % que le prix de l’électricité en Allemagne
(qui recourt dans une bien moindre mesure au nucléaire, ndlr). Mais les conditions de sécurité, les investissements, de toute manière, vont renchérir le coût de cette électricité. Les énergies renouvelables, nous y sommes favorables mais leur prix est, lui aussi, pour le moment, supérieur
[au nucléaire]. Donc nous n’avons pas le choix. Si nous voulons davantage de renouvelable, davantage de sécurité, moins de nucléaire et une politique en matière d’énergies fossiles prenant en compte la rareté, alors il faudra accepter de payer plus cher.
Le nucléaire, faut-il en sortir ?
Je propose d’ouvrir, au lendemain de la présidentielle et des législatives de 2012, un grand débat, que j’appellerais de la démocratie écologiste. Ce débat portera sur l’énergie en général et sur les grandes infrastructures de transport. Nous avons besoin de cette grande concertation.
Le Grenelle de l’environnement a déjà essayé cela, non ?
Oui, mais on avait laissé le nucléaire et les infrastructures de côté. J’insiste sur la question énergétique. Il faut donner aux Français ce droit au débat. Nous y aborderons les questions de sécurité, l’indépendance énergétique, la diversité à travers les gaz de schiste, le nucléaire, le charbon, le pétrole… Ce grand débat sera ponctué par une loi qui fixera ensuite le programme à suivre. Je vois ce débat au Parlement. Il sera citoyen, mené par une commission indépendante, porté par toutes les collectivités locales qui ont légitimité à s’exprimer, les partenaires sociaux, les organisations syndicales.
Le Parlement actera-t-il les conclusions de ce débat ?
Il prendra ses responsabilités.
C’est donc lui qui décidera la sortie ou non du nucléaire ?
Ma position personnelle à ce jour – vous comprendrez que je ne préjugerai pas du résultat du débat –, c’est qu’il faut diminuer la part du nucléaire dans notre production d’électricité. Je vais vous faire une confidence : si je suis élu, je ne le serai pas pour trente ans, pour des raisons d’âge et de Constitution. L’engagement qu’un Président doit prendre est un engagement sur la durée de son mandat et celui qui vient après. Moi, je donnerai l’impulsion pour qu’en 2025, nous puissions faire passer la part du nucléaire de 75 % à 50 %. C’est considérable. Les Allemands qui sont à 25 % envisagent la sortie complète en 2025
(Depuis l’entretien, Berlin a raccourci l’échéance à 2022, ndlr).
Pourquoi ne pas utiliser la voie référendaire ?
Mais quelle question poserions-nous aux Français ? Faut-il ou non sortir du nucléaire ? En 2040 ou en 2050 ? Comment interroger les citoyens ? Je préfère le débat parlementaire, qui peut régler beaucoup de grandes questions.
Quelle est votre solution pour réduire la part du nucléaire ?
La première condition consistera à baisser la consommation. Il faut – enfin – engager le travail de sensibilisation des Français. Croyez-moi, c’est la voie la moins coûteuse, la plus utile et la plus efficace car durable. Cela suppose, par exemple, une politique volontariste en matière de logement et d’isolation thermique, qui améliorera de surcroît le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Le premier effort qu’il faudra mener portera sur l’économie d’énergie et l’efficience.
Un tarif modulé, est-ce une idée que vous envisagez ?
Cela vaut pour l’énergie mais aussi pour l’eau. L’accès de tous les biens « publics », donc rares, doit être garanti pour tous. Il y a deux principes : l’égalité, qui fait référence à la solidarité, et la progressivité. Etre certain de pouvoir disposer de cette ressource à un prix maîtrisé et progressif selon sa consommation.
Quelle place donneriez-vous au développement durable dans le gouvernement que vous nommeriez ? Celle d’un vice-Premier ministre ?
J’ai déjà entendu évoquer cette question en 2007 si ma mémoire est bonne (sourire). La question de la hiérarchie ne suffit pas. Ce qui compte, c’est avoir une architecture gouvernementale qui fasse de ce numéro 2 chargé du développement durable un ministre au large champ : celui de l’énergie, des transports, du logement, des grandes infrastructures et capable d’avoir prise sur les questions fiscales. Je veux placer la réforme fiscale dès le début de législature comme la première de toutes les réformes. Elle sera conjointement présentée par le ministre de l’Economie et des Finances et celui du Développement durable. Elle devra concerner les ménages et les entreprises. Pour moi, cette fiscalité écologique est d’abord celle des entreprises qui rejaillit ensuite sur les particuliers.
Vous affirmez vouloir remettre l’économie avant la finance. Qu’est-ce que cela veut dire ?
La finance doit servir l’économie et pas l’inverse. Les bénéfices, la création de richesse, l’emploi sont d’abord tirés d’une activité qui crée, permet d’avoir mieux, et pas simplement plus. La finance doit prendre sa vraie place : favoriser le financement et non capter la valeur. Dans une économie, le mot clé, c’est bien la valeur. Et c’est en fonction de ces nouveaux indicateurs de richesse qu’il faut faire des choix économiques.
Un gouvernement nouvellement formé au sein de l’Union européenne pourrait-il prendre la main sur la Banque centrale européenne ?
Avant de prendre la main, je propose une mesure immédiate : la taxe sur les transactions financières déjà votée par le Parlement européen. Il ne reste plus aux chefs d’Etat et de gouvernement qu’à prendre les décisions nécessaires ! Cette taxe doit être appliquée. Au moins par la zone euro qui en aurait bien besoin pour disposer de nouvelles ressources et dissuader la spéculation.
L’Europe a besoin de nouvelles ressources… Nous ne sommes donc pas sortis de la crise ?
Elle est devant nous. Si la récession arrive aux Etats-Unis, la Banque centrale américaine la combattra notamment en laissant filer le dollar. Cela engendrera une montée de l’euro et une distorsion dans les règles de l’échange qui provoquera un chômage accru et un effet sur les exportations pour l’ensemble des pays, y compris les émergents. La question est, à mes yeux : s’engage-t-on dans une période de transition d’une économie vers une autre ou, à défaut de réussir cette transition, entrons-nous dans une guerre économique, commerciale et monétaire ? Je réponds que nous devons nous situer dans un progrès partagé. La volonté politique permet de créer la confiance et de l’emploi supplémentaire. C’est un réflexe de vie. Je prône cela : faire prévaloir la vie.
Les semaines passées ont mis les pays arabes à la une et provoqué des réactions de prudence voire de réserve en Europe face aux vagues d’immigration. Qu’en pensez-vous ?
Nous ne devons pas avoir peur de cette émulation démocratique. Elle ne signifie pas que nous connaîtrons un afflux de population. On peut même penser le contraire. Si ces pays accèdent à la démocratie et au progrès, leurs populations seront d’autant plus incitées à rester dans leur univers. Je ne comprends pas la frilosité des Européens face à ce printemps arabe qui ne demandait qu’à être accompagné. Il se trouve que 20 000 à 30 000 Tunisiens sont arrivés en Europe. Et il aurait fallu suspendre Schengen, mobiliser les bateaux de la Marine nationale pour les repousser ? A-t-on la moindre parole de compassion sur ce qu’acceptent les Tunisiens qui viennent en aide à leurs voisins libyens ? Donc, pensons un peu plus aux autres et nous servirons au mieux nos intérêts.
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François Hollande en dates
1954 Naissance à Rouen (Seine-Maritime)
1979 Entre au Parti socialiste
1980 Diplômé de l’ENA, intègre la Cour des comptes
1988 Elu député de la première circonscription de la Corrèze (jusqu’en 1993)
1997 Devient Premier secrétaire du PS (jusqu’en 2008) et est réélu à l’Assemblée nationale
2001 Devient maire de Tulle en Corrèze (jusqu’en 2008)
Mars 2011 Réélu président du Conseil général de Corrèze, il se déclare candidat à la primaire socialiste
9 et 16 octobre 2011 Primaire du Parti socialiste en vue de l’élection présidentielle.