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Mode d’emploi pour dictateur du monde arabe
jeudi, 3 février 2011
/ Şahin Alpay / Professeur au département de sciences politiques et relations internationales à l’Université de Bahçeşehir à Istanbul (Turquie). |
Pourquoi les nations arabes sont-elles si souvent des dictatures ? Parce que, riches en pétrole, elles peuvent faire vivre leur population sans leur accorder trop de pouvoir, souligne Şahin Alpay, professeur au département de sciences politiques à l’Université de Bahçeşehir à Istanbul.
La semaine dernière j’ai assisté à une conférence sur l’état de la liberté d’expression et de la presse dans le monde, organisée par l’Unesco à Paris. Un des intervenants était un journaliste palestinien, Khaled Abou Aker, directeur du réseau internet des médias arabes (AMIN). Pendant sa prise de parole, Abou Aker a soutenu que l’arrivée d’internet dans les années 1990 ainsi que la création de la chaîne de télévision Al-Jazzera fut une véritable révolution pour le monde arabe. D’après lui les récentes rébellions contre les régimes autoritaires sont en grande partie dues à l’action de ces nouveaux médias. Ces moyens de communication ont renforcé le pouvoir du peuple en lui permettant de surpasser la censure.
Les révoltes populaires en Tunisie et en Egypte ont provoqué un débat sur les raisons pour lesquelles les régimes autoritaires dominent le monde arabe. En fait, il n’y a jamais eu de démocratie dans les seize pays qui composent le monde arabe, à part pour le Liban avant la guerre civile de 1975. Pourquoi ? La meilleure analyse selon moi est donnée par l’éminent spécialiste en sciences politiques Larry Diamond. On retrouve cette analyse dans un article publié il y a un an et intitulé « Pourquoi n’y a-t-il pas de démocraties arabes ? » (Journal of Democracy, Vol. 21, No. 1, January 2010). Selon Larry Diamond, l’absence de démocratie dans le monde arabe ne s’explique pas par la prépondérance de la religion — l’Islam — car il existe déjà des Etats démocratiques musulmans (comme la Turquie, l’Albanie, le Sénégal et la Malaisie). Cela ne peut pas non plus s’expliquer par la culture politique car des études montrent qu’une majorité de personnes dans les pays arabes est favorable à la démocratie et à plus de libertés politiques. Et cela ne varie pas en fonction du degré d’implication dans la pratique religieuse.
Les revenus du gaz et du pétrole permettent à l’Etat de développer une police intérieure très répressive et des services secrets performants. Les régimes autoritaires arabes sont les premiers au niveau mondial en termes de PIB (Produit intérieur brut) dépensé pour la « sécurité ». Cependant, ils ne se reposent pas seulement sur la répression. Dans des pays comme l’Egypte, l’Algérie, le Maroc, la Jordanie ou le Koweït, les mécanismes de représentation politique sont utilisés pour perpétuer les régimes avec, par exemple, des élections truquées. L’aide étrangère qu’ils reçoivent est le principal facteur extérieur qui aide ces régimes autoritaires à survivre — auparavant de la part de l’Union Soviétique, et depuis la fin de la Guerre froide de la part des Etats Unis et de ses alliés européens — en termes de ressources économiques, d’aide sécuritaire, et de légitimité politique. Un autre facteur extérieur est lié au conflit israélo-palestinien, qui permet à ces régimes de déplacer la frustration de leurs concitoyens vis-à-vis de la corruption et de la répression vers le problème palestinien. En outre, un autre facteur est la solidarité entre les régimes autoritaires. Une telle solidarité a transformé les vingt-deux membres de la ligue arabe en ce que Diamond appelle un « club d’autocrates convaincus ».
Cet article a initialement été publié sur le site Zaman