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Acheter une forêt : ça rapporte ?
jeudi, 15 juillet 2010 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Acheter son petit lopin d’arbres, c’est possible. Les sociétés spécialisées dans l’investissement forestier vantent les mérites d’un placement sûr, rentable... mieux, écologique. Promenons-nous dans les bois...

Refroidi(e) par le yoyo des marchés mais soucieux de gonfler votre bas de laine pour les jours de pluie, vous vous demandez où placer votre argent. Ça tombe bien : une publicité traîne dans votre boîte mail. La forêt ? « Un placement enraciné dans la durée » dit la jolie plaquette. Et de vous vanter le mérite de ce produit financier stable, fiscalement intéressant et écologiquement bénéfique. L’œil vissé à l’écran, vous vous voyez déjà planter votre hamac à l’ombre d’un grand chêne ou plonger le nez dans la mousse. Vous n’êtes pas le seul. Depuis 2006, le montant des transactions dépasse le milliard d’euros chaque année.

Combien ça coûte ?

En 2008, acheter un hectare de forêt vous aurait coûté 5 380 euros en moyenne. Mais les prix varient fortement en fonction de la région où s’enracinent vos arbres. « Dans le Nord, un hectare peut se vendre 12 000 euros, confie Stéphane Ledentu, patron de European Forest, une société spécialisée dans l’investissement forestier. Dans l’Ouest ou le centre Est, 5000 » Et dans le Sud-Est ? Peanuts. La faute au risque d’incendies, à une faune composée de simples sangliers et à une flore peu rentable. Car la nature des animaux (pour la chasse) et des bois gonfle ou rapetisse la valeur de vos terres. Un chêne de bois imputrescible très utilisé en construction vaudra plus qu’un vulgaire conifère. Tout dépend encore de la taille de la parcelle (les plus petites se vendent plus chères) ou de son accessibilité qui fait du travail des forestiers une sinécure ou un chemin de croix.

Combien ça rapporte ?

A l’heure où les plans d’épargne jouent les pingres, le rendement est devenu bon. Votre petit bout de forêt, « c’est 2,5 à 3% » de votre investissement empoché par an selon European Forest. Mais pas d’emballement. La première qualité d’un acheteur de forêt c’est la patience. « La forêt c’est un pari, confirme François Lefèvre, en charge des politiques forestières auprès de France Nature Environnement (FNE). Quand on choisit une essence, on fait une prévision financière sur la valeur de ce bois à 40 ans. »

Mais d’où viennent donc les pièces qui atterrissent dans la poche du propriétaire ? Des baux payés par les chasseurs ou de la vente du bois. En 2008, les cours ont baissé, entraînés par la déroute du marché immobilier. Mais les sociétés sont optimistes. Car le bois peut se faire biomasse et produire de l’énergie renouvelable, un secteur fortement en vogue. Du coup, quand vous en aurez assez de compter vos troncs, vous pourrez toujours revendre et encaisser une plus-value. Sur dix ans, la valeur d’un bout de forêt non bâti a gagné 6,7% par an.

Mais si certains choisissent la forêt, ce n’est pas pour aller tirer le cerf ou encaisser le produit du bois. Mais pour dé-fis-caliser. Car vos quelques hectares ne pèsent, au regard du fisc, que 25% de leur montant. « C’est un moyen qu’on trouvé les propriétaires pour transmettre leur patrimoine à moindre frais », opine M. Lefèvre.

Quels risques ?

Évidemment. Une forêt c’est bien beau. Mais ça brûle ou ça s’arrache par grandes tempêtes. A European forest, on brandit la solution : l’assurance. Obligatoire pour tout acheteur, elle dédommage le propriétaire au prorata de ce qui est tombé, permet de nettoyer les parcelles et de replanter. Reste qu’une forêt de jeunes pousses se vend moins bien qu’un bois mûr. Et avec la montée des risques climatiques, les primes risquent de prendre de l’embonpoint

Et l’environnement dans tout ça ?

Si European forest parle de « gestion durable des forêts », la foncière forestière promet la « protection de l’écosystème ». Deux sociétés qui promettent d’accompagner leurs clients jusqu’à l’obtention du label PFEC. Et ailleurs ? D’autres acteurs se contentent de jouer les agents immobiliers. Et « si la personne n’a pas la culture forestière et qu’il s’en occupe seul, ça peut être catastrophique », dénonce Stéphane Ledentu. D’autant que l’attrait du profit peut conduire à faire de bien pauvres calculs. « On peut avoir tendance à remplacer les arbres existants par une monoculture à la croissance plus rapide. Ça peut dégrader la forêt », alerte M. Lefèvre.

La protection de la forêt d’accord, mais grimpons d’un cran : les investissements forestiers pourraient-ils un jour aider la France à atteindre ses objectifs environnementaux ? « Le protocole de Kyoto autorise un pays à déduire de ses émissions la capacité de ses puits forestiers. Sauf qu’il y a un plafond que la France a atteint aujourd’hui. Un nouveau texte pourrait changer les choses », souligne Jérôme Frignet de Greenpeace. Les États pourraient-ils alors rémunérer les propriétaires de forêts pour les services rendus dans la diminution des émissions de C02 ? « Des études ont montré que la production forestière ne représentait que 10% de la valeur des services forestiers, rappelle M. Lefèvre. Il y a bien sûr la séquestration carbone, la qualité de l’eau, les champignons mais aussi le bien être et la qualité du paysage. » Traduction : si les experts arrivent un jour à se mettre d’accord, votre petit bout de forêt pourrait bien valoir son pesant de cacahouètes.

- Le montant des transactions dépasse le milliard d’euros par la Société Forestière de la Caisse des dépôts de la Caisse des dépôts`
- European forest
- La Foncière forestière