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Aux Etats-Unis, la microfinance gagne du crédit
lundi, 24 mai 2010
/ Anne Sengès / Correspondante de « Terra eco » en Californie, Anne Sengès est l’auteur de « Eco-Tech : moteurs de la croissance verte en Californie et en France », paru en novembre 2009 aux éditions Autrement. |
Minés par la crise et snobés par les banques, les Américains se tournent de plus en plus vers le microcrédit, autrefois considéré comme l’apanage des pays en voie de développement.
William Ortiz Cartagena, le fondateur de Gentle Parking, convie un groupe de visiteurs à se rendre sur le toit d’un parking municipal de North Beach, quartier de San Francisco réputé pour ses restos et cafés italiens. De ce sommet méconnu, la vue est à couper le souffle. Mais pour ce petit homme rondouillard, élevé dans le quartier mexicain de Mission parmi les gangs – et dont il fut, à une époque, un membre actif –, ce panorama symbolise son American dream. « J’ai fait de la prison. Aujourd’hui je gère trois garages dont celui-là. Et j’ai même réussi à empocher un contrat municipal alors que j’étais en compétition avec des grosses boîtes qui ont la mainmise sur ce business », assure-t-il, fier de ce combat digne de David et Goliath. « Aujourd’hui, j’emploie 25 personnes, ma famille, mes voisins, des gens de ma communauté qui ramaient jusqu’à présent », précise-t-il.
Pourtant, le conte de fées n’avait pas pas bien commencé. « Lorsque je suis allé voir une banque pour solliciter un prêt, ils n’ont même pas daigné me voir », raconte William Ortiz Cartagena qui s’est finalement tourné vers Opportunity Fund, un organisme à but non lucratif fondé en 1995. Là, on accorde des prêts – 5600 euros en moyenne, avec un taux d’intérêt de 8% – aux entrepreneurs désireux de monter un business mais dont la situation financière est telle qu’ils sont ignorés par les banques. « Selon une étude que nous venons de réaliser, chaque dollar que nous prêtons génère deux dollars d’activité économique, les gens qui reçoivent nos prêts utilisant cet argent pour embaucher du personnel, louer des bureaux ou acheter des équipements », assure Eric Wiever, le pédégé d’Opportunity Fund, au cours d’une conférence de presse organisée à l’occasion de « Microfinance USA 2010 », une conférence réunissant les acteurs américains de la microfinance, qui se tenait à San Francisco les 20 et 21 mai.
Longtemps associé aux pays en voie de développement, le microcrédit commence à jouer un rôle important aux Etats-Unis alors que les banques, dans la tourmente, ont fermé le robinet du crédit. « Contrairement aux banques qui jugent les individus sur l’état de leur finances personnelles, nous nous concentrons sur le potentiel du client, sur sa volonté de travailler dur et de créer une entreprise qui enregistrera des profits », explique Devin McAlpine, un employé d’Opportunity Fund dont la mission est d’aider les entrepreneurs à monter leur business et à le croître.
En juin 2009, Opportunity Fund s’est allié avec Kiva, le premier site de microcrédit reliant prêteurs et demandeurs du monde entier. Jugeant que la microfinance n’était pas un outil seulement réservé aux pays pauvres, Kiva, basé à San Francisco, a cependant dû lutter après avoir annoncé sur son site son intention d’étendre son action au territoire de l’Oncle Sam : 45% des habitués du site étaient contre cette expansion.
« Cela m’énerve d’entendre les Américains dire que le microcrédit est un outil réservé aux pays du tiers-monde. Nous en avons vraiment besoin ici. Bien entendu, la taille des microcrédits est plus élevée aux Etats-Unis que dans les pays en voie de développement mais le microcrédit y joue un rôle tout aussi important », estime pourtant Simonida Cvejic. Cette dernière a fondé en 2004 Bay Area Medical Academy, une école qui offre des formations médicales, grâce à une série de micro-prêts accordés par Opportunity Fund. Originaire d’ex-Yougoslavie, cette jeune femme qui a immigré aux Etats-Unis en 2002, n’a peut être pas le profil traditionnel des candidats aux micro-prêts. « J’ai travaillé plusieurs années chez Goldman Sachs en tant qu’analyste financière. Mère célibataire, il m’était très difficile de m’occuper de mes deux enfants avec un tel job. Je voulais un emploi du temps plus souple. J’ai appelé Bank of America ( l’une des plus grandes banques du pays, ndlr) pour avoir un prêt afin de monter ma propre entreprise. Ils n’ont même pas répondu à mon appel », confie-t-elle.
Alors que dans les pays en voie de développement, les taux d’intérêt des microcrédits sont en moyenne de 35%, « aux Etats-Unis ils tournent autour de 10% », précise Premal Shah, le pédégé de Kiva qui explique cette différence par le fait que le coût de gestion d’une multitude de micro-prêts est très élevé dans les pays en voie de développement. « Mais ce que je trouve extraordinaire est de voir qu’une personne basée à Nairobi peut aujourd’hui prêter de l’argent à une personne dans le besoin installée à San Francisco », ajoute-t-il, histoire d’illustrer que la pauvreté n’est pas l’apanage des pays en voie de développement.
Kiva a commencé à s’intéresser au marché américain le jour où l’entreprise a reçu la visite surprise de Maria Shriver, l’épouse du gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger. « Il y a deux ans, elle s’est pointée à l’improviste dans nos bureaux, alors que j’étais chaussé de tongs, pour voir comment on s’y prenait et surtout pour me suggérer de permettre aux internautes d’aider des entrepreneurs basés aux Etats-Unis », raconte Premal Shah qui animait un débat avec la première dame de Californie lors de la conférence qui réunissait les acteurs du secteur. « Dès que je posais la question, on m’expliquait que le microcrédit était un outil réservé aux pays en voie de développement. J’ai donc fini par frapper à la porte de Kiva car j’espérais que leur naïveté, leur optimisme et leur expérience en la matière feraient qu’ils seraient prêts à considérer cette option aux Etats-Unis », explique Maria Shriver qui consacre son mandat de First Lady californienne à aider les femmes en difficulté à devenir financièrement indépendante.
Interrogée par Terra eco sur les obstacles au développement du micro-crédit aux Etats-Unis, Maria Shriver explique que le principal challenge vient du fait que le concept est trop souvent associé à la pauvreté. « La bonne nouvelle est que l’attribution en 2006 du prix Nobel de la paix à Muhammad Yunus, le pionnier du microcrédit, a popularisé le concept. En revanche, les gens se sont mis dans la tête que la microfinance était un outil fait pour les pays pauvres alors qu’il existe, plus que jamais, un vrai besoin aux Etats-Unis, pour ce type de prêts. Ma discussion avec Kiva a pris plus longtemps que ce que j’avais imaginé car nous avons dû résoudre un certain nombre de problèmes légaux afin de permettre aux gens d’effectuer des micro-prêts via la plateforme de Kiva. D’autre part, on a tendance à penser que prêter 25 ou 50 dollars peut avoir un impact considérable pour un individu qui habite au Nicaragua sans réaliser qu’on peut avoir le même impact aux Etats-Unis en reliant des communautés de prêteurs et emprunteurs », assure Maria Shriver. Et l’épouse de Schwarzy de confier qu’elle utilise même Kiva pour montrer à ses quatre enfants que la pauvreté est un phénomène mondial mais que grâce au microcrédit des entrepreneurs localisés aux quatre coins de la planète peuvent s’en sortir…