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L’Argentine rentre dans le rang (suite)
jeudi, 21 octobre 2004 / Angeline Montoya

...La population civile, elle, et particulièrement les plus pauvres, n’a pas vu grand-chose des améliorations macro-économiques. Le chômage a baissé de presque dix points, certes. Mais c’est parce que les bénéficiaires des allocations aux familles sans emploi (40 euros par mois contre quatre heures de travail communautaire par jour) ne sont plus comptabilisés comme chômeurs.

En les incluant, le taux de chômage atteint 19%. La pauvreté touche toujours 44% de la population (contre 54% l’an dernier) et l’indigence, 17% (contre 25%). Les salaires n’ont pratiquement pas augmenté malgré l’inflation. "La situation est meilleure qu’il y a trois ans, mais parce qu’alors nous touchions le fond, explique Roberto, qui accumule trois petits boulots pour survivre. Disons que Kirchner a au moins réussi à nous redonner confiance en l’avenir. Aujourd’hui, je commence à sortir la tête de l’eau".

La prolifération des cartoneros

En parcourant les rues de Buenos Aires, nul ne dirait que l’Argentine est en crise. La vie nocturne est intense, les restaurants, les cinémas, les théâtres sont à nouveau pleins. Mais les cartoneros, ces milliers d’hommes et de femmes qui fouillent les poubelles chaque nuit pour en récupérer le carton, le papier, le verre et les vendre au kilo à des entreprises de recyclage, rappellent que le pays souffre. A Santiago del Estero, l’une des provinces les plus pauvres du pays, 35% des enfants de moins de cinq ans sont victimes de malnutrition. "La situation à Buenos Aires n’est pas représentative du reste du pays", rappelle Silvia Borsellino, qui travaille au sein de l’ONG Prodemur (Promotion de la femme rurale). Ramon, un paysan de Santiago del Estero donne dans le sarcasme. "Dieu est partout, mais il reçoit à Buenos Aires".

Que se passera-t-il lorsque la croissance faiblira, comme semblent l’indiquer les prévisions pour 2005 ? "Le chômage, la pauvreté et l’indigence ont certes baissé de 10 points depuis le pire moment de la crise. Mais pendant le premier trimestre de cette année, alors que la croissance était de 10%, ces indicateurs n’ont plus baissé que de 3,5 points, analyse le politologue Rosendo Fraga. Il est probable qu’à présent, ces chiffres stagnent. Même si l’économie continue de croître et si le parti au gouvernement gagne les élections législatives de 2005, la question sociale continuera d’être le grand défi de l’an prochain."

La crise nourrit la création

Tout n’est pas noir pour autant au pays du tango. La crise économique, et particulièrement la dévaluation du peso, ont eu des effets très positifs sur le tourisme et la culture. Les Argentins n’ont pas eu d’autre choix que de (re)découvrir les trésors de leur pays. Le septième art en fournit l’exemple le plus frappant. "Pour que le cinéma fonctionne, je serais presque tenté de dire qu’il faut une crise, soutient même le ministre de la Culture, Torcuato di Tella. Car la crise est un appel à la réaction, pendant laquelle les artistes déploient des trésors d’imagination pour trouver des ressources et créer." De fait, la crise économique a provoqué celle du système des grandes productions. "Du coup, la place était libre pour les films indépendants tournés avec des budgets ridicules. Et grâce aux subventions, des cinéastes issus comme moi de la classe moyenne ou populaire, peuvent réaliser des longs-métrages et les présenter au grand public", raconte Pablo Reyero, l’auteur de La Cruz del Sur.

Les jeunes metteurs en scène comme Reyero ou Pablo Trapero (Mundo Grúa, El Bonaerense) osent désormais montrer une réalité - chômage, misère, violence, corruption - qu’ils vivent au quotidien et qu’ils filment presque à la manière d’un documentaire. Les résultats sont là. En 1992, neuf longs métrages seulement avaient vu le jour. Ce chiffre est passé à 53 l’an dernier, et pourrait atteindre plus de 80 en 2004. En tout, une cinquantaine de films ont raflé 115 prix internationaux l’an passé. Un record absolu dans l’histoire du cinéma argentin.

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