Dans la salle de conférence de la Ferme de Paris, on se serre comme des poulets de batterie. Les chaises manquent, certains s’adossent au mur. Il est 9h30 passées ce matin-là, et la porte n’en finit pas de s’ouvrir sur de nouveaux participants : hommes et femmes de 20 à 70 ans, les joues rougies par cette excursion hivernale aux confins du bois de Vincennes. Le thème de l’atelier – « Comment faire un poulailler en ville ? » – ne laissait pourtant pas présager un tel engouement. Sur la feuille d’émargement qui passe entre les rangs, chacun des soixante inscrits indique où il en est : la plupart ont écrit « en réflexion », une dizaine « en projet », quelques-uns « en place » et un « en rêve ! ».
Assise le long de l’allée, il y a Guylaine qui songe à ouvrir la cafétéria la plus autonome possible. Des poules capables d’engloutir 150 kg de déchets par an seraient pour elle de parfaites alliées. Deux rangs devant, Gérard, retraité du XIXe arrondissement voit dans le poulailler un moyen « d’augmenter » son jardin partagé. « Ça mettra de la vie, sans compter le compost », explique-t-il. Dans le XVIIIe arrondissement, Frédéric tente de transformer un terrain abandonné en un haut lieu de la vie de quartier. « Les animaux sont un bon moyen d’attirer les gens », dit-il. A côté de lui, un couple d’étudiants est juste venu par curiosité, en se disant : « Un jour, qui sait ? » Côté élèves, une poignée de permaculteurs passionnés et de professionnels de l’agriculture urbaine complètent l’assemblée.
Côté estrade, Ahcene Boukaiba, vétérinaire avicole, et Jean-Jacques Fasquel, formateur en prévention des déchets, endossent à tour de rôle l’habit du professeur. La présentation commence par le chapitre « réglementation ». Les questions fusent. La salle se prend à tenter de résoudre collectivement un épineux problème de maths. Sachant qu’une poule produit 90 grammes de fiente par jour, qu’il y a 26 kg d’azote organique par tonne de fiente et que le sol est capable d’en absorber 170 kg par hectare, quelle superficie requiert l’adoption d’une poulette ? L’assemblée est larguée. Laborieusement on parvient à se mettre d’accord sur 340 mètres carrés pour quatre poules. Juste pour l’épandage. Ce à quoi il faut ajouter le terrain, sur lequel les gallinacés pourront gambader. « En bio, on compte 4 mètres carrés par poule », indique Ahcene Boukaiba. « Et pour les poules naines ? », relance l’élève la plus zélée. Face à tant de pugnacité, le professeur sèche. Fin du chapitre.
Chacun tire la même conclusion de cette première leçon : le premier défi d’un poulailler urbain, c’est l’espace. « Même à Paris, la ville la plus densément urbanisée, il y a encore des possibilités », veut croire Jean-Jacques Fasquel qui, avec quinze autres familles, a accueilli, il y a plus d’un an, six poules au sein du jardin Santerre, dans son immeuble du XIIe arrondissement. Terrains vagues, cours d’immeubles peuvent faire l’affaire, « Et pourquoi pas les toits ? Il suffirait de fixer solidement les grillages pour qu’ils résistent au vent », imagine l’homme, par ailleurs maître-composteur.
« Et ça caquette beaucoup ? »
Les membres de jardins partagés forment le gros de l’auditoire. Le Pouce vert, Vergers urbains, le jardin des Deux Lauriers et les autres associations présentes ce matin-là pourraient sans trop de difficultés emboîter le pas du jardin Santerre. Le terrain trouvé, le dernier défi reste l’approvisionnement en paille. « En jardinerie, ça coûte plus cher que le pétrole », soupire Jean-Jacques Fasquel. Sa stratégie : ramener une botte dans ses bagages à la fin de chaque week-end à la campagne. Autre option : trouver un paysan de mèche au sein du réseau d’Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) qui livrera la paille en ville en même temps que ses produits. L’alimentation ne pose, en revanche, aucun souci. A quelques denrées près, la poule a le même régime qu’une poubelle de table ! Ajoutez à vos restes une poignée de graines (100 grammes par jour) et quelques coquilles d’huitre et le tour est joué. « Les coquilles, c’est pour le calcium qui sert à la fabrication de l’œuf », rappelle Ahcene Boukaiba. Dans ce cours de rattrapage pour citadins, on revoit les bases. « Un paysan qui nous entendrait se paierait une bonne tranche de rigolade, glisse en aparté Jean-Jacques Fasquel : on réapprend la vie. »
« Et ça caquette beaucoup ? Je dis ça par rapport aux voisins », lance une brune au foulard rouge assise au premier rang. « Oui, ça caquette, répond le maître-composteur. Mais c’est rien par rapport à la récré du collège d’à côté. » Les foudres des voisins, ce pionnier connaît. « Un soir, je buvais un apéro avec un ami véto qui me parlait des animaux abandonnés avant les vacances. Je suis rentré chez moi avec trois grammes et l’engagement d’accueillir deux nouvelles poulettes », raconte-il à l’assemblée. Sauf que pour l’une d’entre elles, la croissance ne s’est pas passée comme prévu. « On s’est rendus compte que la poulette était en train de devenir un coq, poursuit-il. Imaginez, au milieu d’une cour d’immeuble, ça résonne… Le temps que l’on procède à son exfiltration, on s’était déjà fait quelques ennemis ! »
En réalité, la loi, voilà la seule menace pour un poulailler urbain. « En cas de nuisances et de plainte, vous tombez sous le coup des articles 22 et 126 du règlement sanitaire », sermonne le vétérinaire avicole. « En fait, le poulailler n’est ni interdit ni autorisé, on est dans un vide juridique », reconnaît Sonia Sarmiento, conseillère environnement à la Ferme de Paris. La municipalité, à l’initiative de l’atelier du jour, regarde d’un œil bienveillant les gallinacés. « La mairie n’est pas vraiment moteur, mais elle ne nous met pas de bâtons dans les roues », résume Jean-Jacques Fasquel. Pour l’éleveur urbain, il est pourtant crucial que l’animal regagne sa place en ville. « A une époque pas si lointaine, il y a avait des vaches à Montparnasse », assure-t-il. « Quand mes enfants rentrent de l’école, ils passent voir les poules, sourit le formateur. J’ai l’impression que prendre soin d’elles, ça nous rend plus humains. »
« Tu te souviens que tu es de poules demain ? »
Après le cours magistral, place aux travaux pratiques. Le groupe se dirige vers le poulailler de la ferme pédagogique. Sous leurs filets, protégées des prédateurs et des pigeons, quinze poules picorent sans se préoccuper des bipèdes qui déambulent entre elles. « Une fois par semaine, on change le paillage et on désinfecte l’abreuvoir », explique Sonia Sarmiento. Dans l’assemblée, Marie Dehaene ne perd pas une miette des instructions. Ingénieure paysagiste, la jeune femme prospecte : « Les promoteurs immobiliers et les bailleurs sociaux se montrent de plus en plus intéressés à intégrer des poulaillers collectifs dans leurs projets. En termes de lien social, de gestion des déchets, c’est une démarche très positive. »
La poule sera-t-elle la locataire incontournable des immeubles de demain ? « Les bailleurs, ce ne sont pas des preneurs de risque, il ne vont pas investir et augmenter les charges pour des infrastructures qui ne serviront plus au bout de trois mois », tempère l’ingénieure. Or, deux menaces planent sur la longévité du poulailler. D’abord, les épidémies : « Vu la densité de population à Paris, en cas de grippe aviaire, les autorités les interdiront purement et simplement », prévient Ahcene Boukaiba. L’autre risque, moins hypothétique, est celui du désengagement. Les sessions hebdomadaires de nettoyage, le passage quotidien et les séjours ponctuels chez le vétérinaire peuvent lasser les moins déterminés. « Quand le poulailler est collectif, il faut un responsable, quelqu’un qui, si besoin, rappelle aux autres leurs obligations. » Pour Jean-Jacques Fasquel, le SMS du dimanche soir est donc devenu rituel. « Tu te souviens que tu es de poules demain ? », envoie-t-il à l’un des coresponsables de la basse-cour. Son devoir rappelé, le copropriétaire ira nourrir les bêtes et récupérer les œufs en partant au travail. Un goût de campagne avant de prendre le métro.
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