Cet automne, le groupe céréalier In Vivo a acquis 50% de la start-up Life Scientific, une société irlandaise spécialisée en recherche et développement (R&D) sur les produits phytosanitaires (alias pesticides). In Vivo était déjà actionnaire de Phyteurop, un groupe spécialisé dans le développement, la production et la commercialisation de produits phytopharmaceutiques. Le premier groupe coopératif agricole français renforce ses investissements dans la production de pesticides au moment même où la France veut réduire leur consommation.
Autre paradoxe, la stratégie d’In Vivo intervient dans un contexte où la réglementation européenne sur les produits chimiques va continuer à se durcir. La toxicité avérée des pesticides sur l’environnement et la santé conduit à la réévaluation de leurs nombreuses molécules. Certaines seront interdites à terme sur le marché. Même les géants de la chimie se tournent vers d’autres marchés que l’Europe.
Laurent Martel, directeur du pôle Agriculture d’In Vivo, explique que justement l’objectif du groupe est de sécuriser les approvisionnements pour les agriculteurs. Si les géants de la chimie se détournent du marché européen, il revient aux coopératives agricoles d’assurer le développement de produits phytosanitaires pour leurs adhérents, selon le dirigeant. En soulignant que le groupe assurera l’innovation nécessaire pour s’adapter au nouveau cadre réglementaire.
Producteurs, prescripteurs et vendeurs
La stratégie d’intégration et de concentration des coopératives agricoles n’est pas nouvelle. Ces organisations se sont adaptées à un contexte économique où le secteur agricole est encadré par des géants de la chimie en amont et par la grande distribution en aval. In Vivo fournit les engrais, les produits phytosanitaires et les semences, et achète, stocke et commercialise les céréales. Le groupe est un acteur agricole international sur le marché du grain.
La concentration correspond aussi à une logique de profit. Concernant les produits phytosanitaires, les coopératives sont à la fois prescriptrices et vendeuses. Elles ont longtemps fait leurs marges sur la vente des intrants, explique l’économiste Lucien Bourgeois. En devenant productrices, elles confortent leur position sur ce marché. Selon Maryline Filippi, économiste à Bordeaux sciences Agro, le modèle économique a néanmoins changé. Aujourd’hui, le profit des coopératives serait moins lié à la vente de produits et plus aux conseils agricoles. Mais le conseil porte toujours sur… la vente de produits phytosanitaires.
Quid alors de la réduction des produits chimiques en agriculture ? L’idée dominante dans le milieu agricole est que la baisse de la consommation de pesticides passe par une agriculture de précision. Cibler exactement le jour de la pulvérisation, la quantité de produits nécessaires, etc., grâce notamment aux nouvelles technologies et au conseil agricole en temps réel. Pour l’instant, cette stratégie ne porte pas ses fruits, comme le montre l’échec du plan Ecophyto. La consommation de pesticides a augmenté de 5% en moyenne depuis 2009.
Un modèle agricole verrouillé
Pour de nombreux agriculteurs et agronomes, baisser la consommation de produits phytosanitaires nécessite un changement radical de système de cultures : le choix des variétés doit être lié à la résistance aux parasites plus qu’à la productivité, les rotations de culture doivent être réintroduites pour limiter le développement des mauvaises herbes et des maladies, etc.
Or, le modèle agricole est figé, notamment à cause de l’intégration très forte de toutes les étapes de la filière au sein des coopératives. Des filières alternatives ont du mal à émerger. En investissant dans la production des produits chimiques, la coopérative In Vivo conforte évidemment leur place dans la filière agricole. Mais elle contribue aussi à verrouiller le système. Les pesticides et autres produits chimiques semblent avoir de beaux jours devant eux.
Le gouvernement a livré la nouvelle version du plan Ecophyto ce 30 janvier. Il n’a pas abandonné l’objectif de réduire les pesticides de 50%, mais d’ici à 2025 et non plus à l’horizon 2018, comme le prévoyait le Grenelle de l’environnement signé en 2008.
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Cet article de Magali Reinert a initialement été publié sur Novethic le 29 janvier 2015
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