Ferme des 1 000 vaches en Picardie, usine aux 92 000 poulets dans le Nord, aux 6 000 porcs dans l’Aisne… La taille de ces troupeaux font frémir les opposants à ces projets. Pourtant, les experts s’accordent sur un point : ils sont bel et bien des exceptions dans le paysage français. « Sur 71 000 exploitations laitières, on a à peine 5 000 ateliers de plus de 100 vaches, 128 de plus de 200 vaches et peut-être deux ou trois de plus de 300 vaches », souligne Gérard You, responsable du service économie des filières à l’Institut de l’élevage. Des chiffres bien loin de rivaliser avec les statistiques à trois chiffres des troupeaux allemands. Même constat pour les porcs : « En France, un élevage de 3 000 porcs est exceptionnel. On est plutôt sur des ateliers de 200 ou 300 truies et de 1 000 porcs à l’engrais », assure Jean-Louis Peyraud, chercheur à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique).
Certes, « la taille va augmenter », poursuit l’expert de l’Inra. « Dans cinq ou dix ans, il ne sera sans doute pas rare de voir, par exemple, des troupeaux de 150 ou 200 vaches ». La raison ? La fin des quotas laitiers, qui ouvrira les vannes des superproductions laitières. « Ça a tracé une ligne d’horizon. Dans la tête des paysans, on a introduit l’idée qu’il faut grossir pour s’en sortir, explique Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne. Même ceux qui ont 40 vaches veulent passer à 80 en pensant qu’ils survivront mieux. Et on leur fait croire qu’avec Tafta (le traité de libre-échange transatlantique, ndlr), ils vont trouver des débouchés à l’exportation vers la Chine et les Etats-Unis. Mais le marché chinois est tourné vers l’Australie, tandis que les Etats-Unis ne sont plus acheteurs. »
Pas de bouleversements en vue
S’ils font grossir leurs cheptels bovins, c’est aussi pour tenir la corde, assure Jean-Louis Peyraud : « En ce moment, la France se fait tailler des croupières par les Hollandais, les Allemands, les Danois, parce qu’elle a de trop petites structures. Si on veut que l’élevage perdure, il faut que les tailles des ateliers augmentent et que l’industrie se modernise. Aujourd’hui, on n’a pas atteint la taille critique pour éponger les investissements, et les abattoirs ne sont pas suffisamment grands pour lutter contre la concurrence allemande », assure-t-il. Idem pour les poulets : « La crise de la volaille en France s’explique en partie par une trop petite taille de nos poulaillers. Les Allemands produisent plus que nous et à plus bas prix. Dans la restauration collective, 70% de la volaille vient d’ailleurs. » Un point de vue repris par les autorités et qui fait grincer des dents Laurent Pinatel : « On a l’impression que le gouvernement a perdu la main sur l’agriculture. Qu’ils choisissent de privilégier l’alimentation destinée à l’exportation par rapport à une agriculture de qualité. »
Parfois encore, l’augmentation de la taille des cheptels n’est pas affaire de décision de la part de l’éleveur, précise Gérard You : « Le manque d’appétit dans la reprise d’exploitation par les enfants d’agriculteurs conduit à une logique de regroupement. » Pour l’expert cependant, pas de « bouleversements en vue. On va surtout assister à un accroissement de la diversité des tailles de cheptel. Les tailles seront sans doute moins homogènes que maintenant ». La généralisation des mégafermes en France ? Ce n’est pas pour demain, poursuit Jean-Louis Peyraud. « C’est un sacré investissement, alors que l’élevage a un retour sur investissement faible. Il faut avoir les reins solides pour investir de telles sommes. Ou alors il faudrait une modification du modèle de financement agricole. Mais on n’en est pas encore là. » « Ces mégafermes sont très compliquées à installer, abonde Gérard You. Dans beaucoup de régions, il y a des contraintes. On ne passe pas de 50 à 100 vaches si on n’a pas les surfaces agricoles pour l’épandage, par exemple. » « Ce n’est pas un phénomène de fond qui va tout transformer, concède Laurent Pinatel. Mais ces mégafermes ont tendance à se développer, et ce n’est pas anodin. On remplace les paysans par des financiers, la mécanisation ou le salariat. »
TAILLE MOYENNE DES ÉLEVAGES EN FRANCE
Bovins (Chiffres : Système professionnel d’information en élevage – Base de Données Nationale d’Identification – 2013)
Pour des exploitations d’au moins 5 vaches :
Troupeau moyen (vaches laitières) : 51
Troupeau moyen (vaches allaitantes) : 42
Caprins (Chiffres : Service de la statistique et de la prospective, 2013)
Pour les exploitations d’au moins 10 chèvres :
Troupeau moyen caprin : 152 chèvres
Ovins (Chiffres : SSP et Eurostat, 2013)
Troupeau moyen (brebis laitières) : 324
Troupeau moyen (brebis allaitantes) : 98
Porcins (Chiffres : Recensement agricole, 2010)
Troupeau moyen : 620 porcs ; 141 truies par élevage comprenant des truies
Volailles (Chiffres : Recensement agricole, 2010)
Atelier moyen : 16 021 poulets (30 000 pour un poulet élevé dans des conditions standard et 8 000 pour un poulet élevé sous signe de qualité différenciée)
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