Comme toutes ses voisines, Lardy était accro. Cette année, la commune fête avec fierté ses quatre ans d’abstinence et pas question de rechuter. Pendant des décennies, cette bourgade de 5 700 habitants située dans l’Essonne s’envoyait au bas mot 32 litres d’herbicides par an. Aujourd’hui, la municipalité ne veut plus en entendre parler.
Aujourd’hui, les stocks de produits ont été détruits et les roses trémières qui grimpent le long des rues tentent de faire oublier que quelques pissenlits poussent à leurs pieds.
Pourtant, avant même de prendre sa bonne résolution, Lardy était déjà moins portée sur le bidon que ses semblables. « Prenons une commune de 15 à 20 000 habitants, elle peut consommer jusqu’à 1 000 litres de pesticides par an », estime Romain Cassard, ingénieur agronome spécialisé en gestion de l’eau et de l’environnement pour le bureau d’études Envilys, installé dans le Languedoc-Roussillon. En France, tous pesticides confondus, 1150 tonnes source UPJ (Union des entreprises pour la protection des jardins et espaces publics) de produits phytosanitaires sont utilisées chaque année pour l’entretien des espaces verts, des cimetières, des parcs et stades municipaux.
« Moins on met d’herbicides, plus il faut de bras »
Comme Lardy, ville pilote des projets « zéro-phyto » une cinquantaine de communes d’Ile-de-France se disent aujourd’hui sevrées. A l’échelle nationale, le ministère de l’Ecologie n’a pas de chiffres précis, mais elles seraient plusieurs milliers. Même les grandes villes sont concernées. Dans le cadre du plan Ecophyto 2018, 60% des villes de plus de 50 000 habitants se sont donné « un objectif zéro-phyto ». Mais les conversions se font encore à petit pas.
« Il n’y a pas de secret, moins on met d’herbicides, plus il faut de bras », souligne Patrick Maheu, responsable des espaces verts à Lardy. « Avant, on vaporisait deux fois par an et on n’en parlait plus », se souvient-il, en effectuant son inspection bimensuelle du cimetière. Entre les graviers, de jeunes pousses ne tarderont pas à être carbonisées. Mais le brûleur thermique ne suffit pas. Depuis le printemps, son équipe de quatre personnes désherbe tous les quinze jours. Pour les soulager, trois ou quatre salariés en insertion les rejoignent pendant les semaines critiques. « Mais c’est un cinquième poste qu’il faudrait » estime le jardinier.
« Pas forcément », rétorque-t-on à la mairie. Selon Claude Jaillet, directeur général des services « réorganiser les pratiques permet déjà de libérer du temps. » Ainsi, dans le parc municipal, le ballet des tondeuses est devenu moins fréquent. Sans que les Larziacois n’y voient d’inconvénients. « On constate une barrière psychologique lorsque l’herbe atteint 25 centimètres, au-delà seulement les gens trouvent les terrains sales » explique Romain Cassard. Envylis, la société pour laquelle il travaille, coache les communes qui veulent un plan « zéro-phyto » à moindre frais [1].
Le cimetière, bête noire des plans « zéro-phyto »
Depuis quatre ans, la petite équipe de Patrick Maheu peaufine donc ses tactiques. Sa principale stratégie : occuper les sols avant les mauvaises herbes. Sous les massifs de fleurs, quelques centimètres de mulch – un paillis provenant en partie du broyage des arbres de la commune – empêche les adventices de s’installer. Et le sedum, une plante rasante aux nuances rouges, règne désormais en maître dans le cimetière.
Le cimetière, bête noire des plans « zéro-phyto ». « C’est là que la plupart des municipalités se cassent les dents », constate Romain Cassard. Principal consommateur de pesticides d’une commune, ce lieu cristallise les critiques. « Evidemment c’est sensible, confirme Michel Lavollay, le premier adjoint de Lardy, chargé de l’urbanisme et du développement durable, quelqu’un qui vient régulièrement entretenir la tombe d’un proche supporte mal les mauvaises herbes autour. »
« Sans désherbant, ce n’est jamais parfait »
Après le passage au désherbage écologique, l’élu a donc reçu quelques courriers d’administrés mécontents : « On revient cinquante ans en arrière », « cette ville n’est plus tenue ». Michel Lavollay et Patrick Maheu l’admettent : « Sans désherbant ce n’est jamais parfait, les gens doivent être un peu plus tolérants. » Et se laisser convaincre par les deux entomologistes larziacois qui ont constaté le retour de certains papillons.
Sauf qu’en 2009, la transition a été brutale. « On a préféré tout supprimer d’un coup pour éviter que les jardiniers ne soient tentés », reconnaît Claude Jaillet. « La plupart des villes passées en “zéro-phyto” progressivement n’ont pas tenu dans le temps. » Or, pour les élus larziacois, l’enjeu est de taille : « On a mis en place une station de pompage d’eau potable dans la Juine (la rivière qui traverse la ville) nous n’avons pas intérêt à ce qu’elle soit polluée ». C’est sans compter la grande plaine agricole qui surplombe le village. « Nous n’avons aucun contrôle sur ce qu’ils pulvérisent là-haut, mais ce n’est pas une raison pour baisser les bras », abrège Michel Lavollay.
Alors à grand renfort de pancartes et de bulletins municipaux, les partisans du « zéro-phyto » ont fait taire les protestations des villageois. A la boulangerie, les mauvaises herbes ne font plus parler d’elles. « Au contraire, il y a un effet d’entraînement chez les particuliers affirme Michel Lavollay, aujourd’hui à Lardy, utiliser des pesticides dans sa cour ou son jardin est plutôt mal vu. » Un questionnaire distribué l’année de la transition lui donne raison. A l’époque, 70% des administrés se targuaient déjà d’avoir abandonné les désherbants ou de vouloir le faire.
Désormais, les seules personnes à qui les plantes indésirées donnent encore du fil à retordre ce sont les jardiniers. John Mary, chef d’équipe à la Société francilienne des espaces verts (Sfev), un sous-traitant employé aussi bien par Lardy que par des communes utilisant toujours des pesticides, le reconnaît : « Le désherbage c’est chiant. » Pour ses équipes, venir travailler dans la commune « zéro-phyto » passe parfois pour une corvée.
« Pourtant au fond je suis d’accord avec ce qui se fait ici », lâche le salarié. Travaillant dans les espaces verts depuis douze ans, ce trentenaire s’inquiète pour sa santé. « Aujourd’hui on suit des stages sur l’utilisation des pesticides, on obtient un certificat pour les manipuler, on adapte le débit de produits pulvérisés à notre pas, on porte des combinaison et des masques » énumère-t-il mais il y une dizaine d’années, je me suis pris du produit à la figure car il n’y avait rien de tout ça. » Patrick Maheu, lui, soupçonne trente ans de proximité avec les pesticides d’être responsables du polype cancéreux qu’on lui a retiré. Pour chasser ses angoisses, son jeune collègue a pris les devants. John Mary vient de demander à la MSA (Mutualité sociale agricole) de lui faire passer une série d’examens destinés aux personnes exposées.
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